Chronique depuis un plateau ensoileillé

Pendant une semaine, Fantôme et moi sommes privés de nos rendez-vous matinaux chez Muguette avec laquelle nous nourrissons ses moutons jumeaux, Kiki et Nénette. Muguette accueille Inouk le chien de chasse aussi jeune que peu amène de l’un de ses deux fils parti en voyage avec sa famille. Muguette s’inquiétait beaucoup de la présence d’Inouk que son fils aime comme un enfant. Elle avait peur qu’il se batte avec les chats faméliques du voisin qu’elle nourrit ou qu’il ne prenne le chemin buissonnier, celui qui serpente derrière sa maison et file à travers champs au milieu d’une haie de hautes herbes dans laquelle les bouquets de cigüe, les bleuets et les coquelicots rescapés de la moisson jettent des taches colorées.

Depuis dimanche, quand nous quittons la maison, Fantôme ne comprend pas pourquoi nous ne prenons pas à gauche et ne rejoignons pas Muguette et ses animaux. Je suis obligée d’entraîner Stéphane dans mes sorties pour que Fantôme consente à prendre le chemin qui part à droite. Stéphane bénéficie d’une autorité naturelle que je n’ai pas. Sur le vélo, en ce moment, toutes sortes de pensées se bousculent et il me semble moins profiter de la magie du matin: le soleil montant au-dessus de la ligne bleu horizon, les meules roulées en escargot, les petites queues blanches des lapins détalant à notre approche, les papillons butinant les coeurs des bleuets, la paille répandue sur le sol brillant tel de l’or. De son côté, Stéphane pédale sans un mot. Il finit de se réveiller. Ce matin, dans le champ moissonné et déjà déchaumé, nous avons surpris une colonie de mouettes. En presque treize ans, c’est la première fois que nous en voyons ici.

Nos deux filles sont en Haute-Corse avec leur cousine, Louise, qui habite en Roumanie. Leur mamie aime avoir ses trois petites-filles, ces jeunes adolescentes pleines de vie et de joie qui ont des caractères faciles et organisent leur petite existence dans une autonomie quasi totale. Depuis qu’elles sont à Lumio, ce ravissant village adossé à la montagne et ouvrant ses bras sur la baie de Calvi, elles nagent plusieurs heures par jour depuis la plage du « Pain de sucre », nom du restaurant où on peut dîner les pieds dans le sable, guetter le rayon vert ou voir la silhouette des Alpes se détacher avec netteté de l’autre côté de la Méditerranée. Avec l’argent que je lui avais donné, le samedi avec ses amies qui avaient dormi à la maison, le lendemain de la fin des épreuves du brevet et de leur toute dernière boum de leurs années collège, Céleste avait été dévaliser les rayons du magasin Yves Rocher. Elle avait pensé à acheter toute la panoplie indispensable pour les soin des pieds. Elle voulait offrir une pédicure à sa mamie. Malheureusement, au passage des contrôles et parce que les filles n’avaient pas pu enregistrer les valises mais avaient dû prévoir des bagages de taille « cabine » la plupart des produits sont restés à Lyon. Très déçue, Céleste a essayé de se consoler à la pensée que les filles de l’une des hôtesses en profiteraient.

Ce matin, les deux bras verts du portail se sont refermés après que notre mère et sa première petite-fille, Margot, soient reparties. Une courte étape sur le chemin du Gard. Une voiture chargée jusqu’à la gueule des affaires de bébé, dont le moïse bleu (je devais être un garçon…) qui ne reprendront maintenant plus de service avant la naissance des enfants de nos enfants. Notre mère était toute pimpante dans une robe blanche à fleurs bleues. Elle avait très bien dormi. Les nuits demeurent fraîches à la campagne. Un collier en fines perles de lapis lazuli que notre grand-mère portait souvent dissimulait la fine trace laissée par l’ablation de la thyroïde avant ses cinquante ans alors que sa vie était si dure. La thyroïde est une petite glande essentielle à notre équilibre qui sait si bien nous parler de nous…

Comme toujours, avant de partir, elle n’a pas pu s’empêcher de me dire que l’une des serviettes de bain sentait le chien mouillé. Comme toujours, j’ai réagi vivement car ce genre de réflexion me donne à penser qu’elle ignore tout de la réalité de mon existence depuis que j’ai quitté Paris. Nous sommes vite passées à autre chose. Notre mère est maladroite et, de mon côté, je sais trop tout ce que nous lui devons! Dans le Gard, il fait très chaud. Notre bonne et vieille maison conserve la fraîcheur au rez-de-chaussée mais la chaleur monte dans les étages où se trouvent les chambres. Les nuits peuvent être particulièrement pénibles quand la température ne tombe pas, qu’on ne peut pas faire de courants d’air et que la peau colle sur les draps. Les fenêtres largement ouvertes, on ne perd pas une miette des rumeurs de la rue et de la vie dans les autres habitations: miaulements rauques des chats en quête d’amour, éclats de voix des couples s’agonisant d’injures hautes en couleur, cliquetis de la vaisselle dans l’eau de l’évier, pleurs des bébés ne trouvant pas le chemin du sommeil, dialogues des acteurs sortant des postes de télévision et, aux premières lueurs du jour, chants stridents des hirondelles revenant dans les nids nourrir les petits après avoir chassé au-dessus du Rhône.

Louis est ravi: Valentin va passer toute la semaine à la maison. Hier, déjà, les cousins s’en sont donné à coeur joie dans la piscine improvisant un match de waterpolo entre deux longueurs de crawl. Des vagues d’eau venaient s’écraser sur les fenêtres du salon. Maintenant Louis, devant l’écran de la télévision, dispute un match de foot virtuel grâce au jeu Fifa que sa tante paternelle lui a offert pour ses dix ans. Il attend que Valentin sorte de son sommeil mais Valentin est, comme tous les adolescents, un grand dormeur qui récupère de son année de quatrième.

Mon unique patiente de ce lundi va bientôt arriver. Je l’entendrai garer sa voiture le long de la maison et Fantôme aboiera une fois avec vigueur pour me signaler sa présence avant même qu’elle ait sonné. J’ai organisé une semaine allégée pour avoir du temps pour Valentin et Louis. Cette après-midi, nous irons au cinéma voir le dernier film de Pixar « Les Indestructibles 2 ». Quatorze ans après, nous reprendrons les aventures de cette famille si attachante là où nous l’avions laissée. On sera bien dans la salle obscure. Les garçons mangeront des bonbons qui ont l’avantage de ne pas faire de bruit. Je ne suis pas allée au cinéma depuis très longtemps. Je crois que la dernière fois, c’était en janvier, à Paris, avec Stéphane, « la villa » dans une salle que je n’aime pas du tout car on n’a pas de place pour les jambes et qu’il y fait très chaud, « L’Escurial », un ancien théâtre.

Ma patiente est partie. En cinq petites séances, elle va infiniment mieux. Cela faisait plus de vingt ans qu’elle s’était endormie dans sa vie. Maintenant, elle est réveillée et, son corps réparé, sa féminité restaurée, elle a envie de légèreté. J’entends les voix des garçons depuis la chambre de Louis. Vendredi, ma soeur arrivera avec son mari, leur petite Charlotte et le chat. Dimanche, nous fêterons les quatorze ans de Valentin auquel je vais offrir une maquette d’avion ou de bateau. Ce matin, sa soeur alors qu’elle croquait dans les tartines que je lui avais fait griller a validé mon choix. j’ai pensé que Mathieu, le papa, pourrait aider son fils. J’espère que le beau temps va se maintenir, que, dans le ciel, les feux d’artifice se déploieront avec générosité, que dans les bals des pompiers, l’ambiance sera à la fête, que de jeunes couples se formeront et se garderont d’échanger des promesses qu’ils ne sauraient se tenir, que, dans les couples installés dans la durée, on saura retrouver des gestes plus tendres, des paroles plus douces et que notre petite nièce pourra enfin profiter du cadeau de ses un an: une petite piscine gonflable avec jeux et jet d’eau.

Dans l’après-midi, notre mère m’appellera pour me dire que Margot et elle sont bien arrivées, que les pigeons ont à nouveau dégradé la cour et que la glycine est couverte de pétales mauves. Margot sera désignée pour mettre en route le karcher et venir à bout des tas de fientes laissés par les grands copains de notre mère. Cette dernière envisage d’acheter un pistolet à billes pour tirer dessus depuis l’une des fenêtres de l’escalier à vis. Notre mère reconvertie en Ma Dalton!

Mon esprit de sophrologue en sabots fatiguée par une année vraiment éprouvante prend de plus en plus souvent la route des Cévennes et retrouve Stevenson et Modestine. La marche se rapproche. Comme je m’en réjouis! Je ne connais rien qui fasse plus de bien qu’une randonnée dans la durée avec piques-niques, bains dans des rivières, nuits sous tente ou à la belle étoile et présence rassurante d’ânes malicieux. Espérons que la cohabitation réputée difficile entre les ânes et les chiens se passera bien car, bien sûr, notre berger australien, notre fidèle Fantôme, écrira avec nous cette nouvelle aventure. De son côté, Stéphane passe en revue notre matériel dont une partie a été acquise en 2000, avant notre départ pour une année de tribulations autour de la terre. C’est toujours avec joie que nous ressortons tous ces objets qui nous ont accompagnés de la Nouvelle-Zélande à l’Inde et au Népal en passant par les Amériques. J’ai un faible pour la douche solaire seulement utilisée sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande.

L’heure tourne. Je pourrais continuer encore mais il faut que je pense au déjeuner de Valentin, Louis et Stéphane. Pourquoi les repas ne se préparent-ils pas seuls? Pourquoi, parfois, ne suis-je pas dotée des mêmes pouvoirs que Mary Poppins? Il suffirait d’un claquement de doigt et la table serait mise et le déjeuner préparé! On fera simple: une grosse salade composée avec les restes d’une pintade, des tomates anciennes, des radis en rondelles, des olives vertes, des cubes de féta, des oignons blancs et du riz. Quel dommage qu’il ne reste plus rien de la tarte aux citrons non traités (recette à la fin de la chronique) apportée à Geneviève et à Arnaud samedi soir et que nous avons fini hier à l’heure du thé russe. On va déjeuner à l’ombre des canisses que la glycine prend d’assaut nous offrant une douce ombre.

Très bonne semaine à vous tous et à très vite pour une chronique Muguette post fête nationale!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: La recette de la tarte aux citrons. Je n’ai pas mis de poudre d’amandes dans la pâte. J’ai fait une pâte brisée très sablonneuse, très bonne mais difficile à étaler.

https://www.atelierdeschefs.fr/fr/recette/22922-tarte-au-citron.php

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