Chronique d’un adieu au Courrier International et d’une fin d’année scolaire

Les lycéens sont en vacances. Les collégiens ont rendu leurs manuels. Plus de devoirs notés sur les pages des cahiers de texte ou des agendas. Les sacs à dos et les cartables se font légers sur le dos des enfants. Les galas, spectacles, kermesses, boums et autres festivités de fin d’année ont presque tous eu lieu. Céleste et Victoire ont déjà fait leur valise. Céleste rejoint dimanche sa mamie et Louise, sa cousine franco-roumaine au pays des étangs, des grenouilles et des poulets pattes bleues. Victoire, de son côté, partira dimanche neuf juillet pour une classe de mer en Vendée avec sa jumelle de naissance, Léa. Elle a noté elle-même ses initiales avec un marqueur noir à l’encre indélébile sur ses vêtements. Louis, lui, devrait partir pour le Gard et y être rejoint par son cousin Valentin par le train. A Paris, Valentin va profiter de ses amis américains et fêter ses treize ans. Je me rappelle tous ses anniversaires que nous avons fêtés dans le Gard, dans le Loiret ou en Corse depuis qu’il est né. Pas facile d’organiser des anniversaires avec les amis pendant les grandes vacances !

La kermesse de nos deux écoles se déroule sur un jour et demi. Je suis très attachée à la promenade aux lampions dans les rues du village. J’aime cette ambiance d’un autre âge, marcher dans le sillage de la fanfare, voir les personnes âgées sourire et saluer depuis leur fenêtre, les mines réjouies des enfants tenant fièrement leur lampion fabriqué dans un fond de boîte de coulommiers avec du papier ignifugé, le spectacle sur la place de l’église. Je regrette le grand feu de la saint Jean qui a disparu un peu avant que ne ferme la caserne des pompiers. J’aurais aimé qu’on y danse tous en rond comme dans les scènes anciennes de vie villageoise. J’aime cette ambiance de début d’été avec, dans l’air, cette odeur délicieuse de blé et de foin coupés. Moi, la citadine, la parisienne, la fleur de bitume, je sens bien que ce sont d’anciennes attaches rurales qui me font tant apprécier la campagne en cette saison.

Cette année, j’étais trop fatiguée pour suivre le défilé des lampions. Le vendredi soir, les filles, ma filleule et une amie de Céleste étaient rentrées bien tard de la boum du collège et, le samedi matin, je m’arrachais au drap en lin du lit pour accompagner Victoire et tout le groupe d’aumônerie de sixièmes de Montargis. Dix kilomètres à l’ombre des charmes, des hêtres et des chênes de la forêt, entrecoupés de jeux, de prières et d’un quizz, après le pique-nique, en face de la petite église de Paucourt. Mathurin, scout toujours, m’impressionnait par ses connaissances. C’est grâce à lui que j’apprenais pourquoi, avant l’Eucharistie, on reprend cette phrase « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guéri ». En voyant Mathurin plein de vie, pétillant, difficile à canaliser, je pensais que le scoutisme pourrait plaire à notre Louis qui refuse de suivre un enseignement religieux. La célébration de la messe dans le souvenir de la naissance de saint Jean le Baptiste fut un moment très heureux avec les nombreuses interventions des enfants. Les messes en tout petit comité m’émeuvent toujours beaucoup car elles me rappellent les premiers temps de l’église à l’époque des persécutions des chrétiens et les persécutions actuelles.

C’est Stéphane qui a accompagné Louis au défilé aux lampions, Louis si heureux de monter avec d’autres petits camarades à l’arrière de la voiture des pompiers. Tandis qu’avec Victoire, devant un des épisodes de Hercule Poirot, je luttais pour ne pas m’endormir (Victoire me guettait du coin de l’œil !), une partie de mon cerveau imaginait les stands éclairés dans la nuit, les garçons et les papas tirant à la carabine ou jouant au chamboule-tout, des groupes de mamans échangeant à des tables avec des tout-petits cherchant le sommeil dans des poussettes, et, plus tard, des couples et des enfants dansant sur la piste en plein air sur de la musique des années 80. J’avais fait peur à mon trio en lui annonçant que je me déguiserais pour aller danser. Les filles ont atteint cet âge où l’on n’aime pas que les parents attirent l’attention sur eux. Heureusement, notre nièce, Margot, qui attend les résultats du bac et doit partir étudier en Angleterre sur un campus, m’a dit qu’elle serait ravie de m’y accueillir même si je portais mon pantalon de Bozo le clown. Il faut dire que les Anglais ont une approche très naturelle de l’excentrisme ! Tandis que David Suchet lissait sa fausse moustache et faisait phosphorer ses neurones belges, je voyais passer tous les visages bienveillants qui portent la kermesse depuis toutes ces longues années ou qui l’ont portée : Françoise, Sandie, Christelle, Christian, Sarah, Rijka, Carlos, Yann, et, maintenant que l’APE a été renouvelée, Alice, Delphine, Yohann et tous les autres dont les prénoms m’échappent mais qui s’investissent toute l’année sans relâche pour le bonheur des enfants.

A la kermesse, le dimanche après-midi, tous les enfants des deux écoles montent sur l’estrade de la salle des fêtes, dans une chaleur moite digne d’une saison humide martiniquaise, pour chanter et danser devant un parterre de parents, grands-parents, tantes, oncles, parrains, marraines et cousins. C’est ma dixième kermesse et mon avant-dernière en tant que maman d’élève. Dans ma tête, quel beau kaléidoscope ! Je garde un souvenir particulier de cette flash mob que les élèves de l’école de Gy-les-Nonains avaient faite sur la chanson du groupe Avicii « Hey brother ». Cela faisait deux ans que je ferraillais ferme pour que les institutrices consentent à préparer quelque chose avec leurs élèves, ce qu’elles refusaient de faire. Je trouvais cela désolant pour les élèves qui sont majoritairement heureux et fiers de participer à un spectacle et, aussi, parce que les enfants ne faisant rien, les parents désertaient la kermesse et c’était un vrai manque à gagner pour la caisse de l’APE. Cette année-là, nous avions également organisé un campement pour les élèves de CM2 et Stéphane avait réalisé deux films magnifiques sur le campement et la kermesse. J’espérais pouvoir reconduire d’une année sur l’autre le principe du campement mais la canicule, les inondations et, cette année, ma fatigue et un manque d’investissement des parents me faisaient renoncer.

Le dimanche après-midi de kermesse passe vite. Le spectacle des enfants ayant joué les prolongations, je ne peux pas tenir la buvette mais j’ajuste les bombes et fais monter sur le dos des poneys des enfants. Les poneys s’exécutent avec gentillesse. Les enfants sont ravis. Les parents immortalisent ce baptême. Je laisse les trois poneys et vais m’asseoir à côté de Delphine et l’aide pour le trombinoscope. Presque tous les membres des deux écoles ont consenti à prêter des photos d’eux quand ils étaient tout petits. Victoire s’installe sur mes genoux et, toutes deux, nous essayons de savoir qui est qui. Le plus facile, Hervé, le directeur de l’école de Saint Germain des Prés. C’est le seul homme ! Le plus difficile, reconnaître le bébé âge de neuf mois allongé dans son landau ! Brigitte, si vous me lisez, sachez que je ne vous ai pas reconnue ! Ce stand a beaucoup de succès et c’est mon amie Virginie, institutrice une année au tout début de sa carrière à Saint Germain qui, aidée de son mari, fait un sans faute et gagne pour les siens un séjour au Puy-du-Fou !

Vers seize heures, Stéphane vient chercher toute une grappe d’enfants et les ramène à la maison pour qu’ils puissent se rafraîchir et jouer dans la piscine, sorte d’énorme soucoupe volante grise, dénaturant le jardin mais tellement appréciable pendant cet épisode de grosse chaleur !

Le soir, quand, enfin, je ferme les yeux sur ces derniers jours bien remplis, je me sens heureuse et le bonheur engrangé, partagé l’emporte sur la fatigue, immense, profonde. Encore une réunion d’éveil à la foi samedi matin et je serai en vacances de mes engagements extra-professionnels que je vais tous reconduire en septembre. Donner de son temps, cela me semble tellement important ! J’aimerais encore faire plus mais, cette année, je me suis sentie submergée. C’était la première fois que je ressentais ce sentiment. Depuis quelques semaines, je sors rarement avant vingt-heures de mon cabinet. Il est de plus en plus exceptionnel que nous ayons fini de dîner avant vingt et une heure si bien que je n’arrive plus à raconter des histoires à nos enfants. Pendant de longues années, je ne gagnais plus ma vie. Je ne m’achetais rien mais j’ai toujours offert des livres aux enfants et j’ai toujours eu beaucoup de joie à les leur lire le soir. J’ai toujours aimé ce moment calme et tendre où on je me couchais dans le lit des enfants et que chacun à son tour, il se blottissait contre moi et que je lui racontais une histoire. L’hiver, c’était dur de quitter la chaleur du dernier lit, du dernier petit corps pour aller me couler sous mes draps froids.

Hier, j’exprimais aux enfants ma tristesse de ne plus pouvoir le faire et je déplorais également que l’entrée dans leur vie des téléphones portables avec leur palette d’applications les aient éloigné de la lecture. Alors que j’étais dans mon lit, Louis a poussé la porte de la chambre et m’a tendu le portable qui a appartenu à la grand-mère maternelle de Stéphane avant de passer à Céleste et à Victoire et il m’a dit « maman, garde-le. Je n’en veux plus. Il me rend bête. Je veux revenir au temps ancien (je cite !) ». Cela m’a touchée et fait sourire. A ces mots d’ancien temps, je me suis imaginée dans une masure, faiblement éclairée par une bougie à la flamme chancelante, devant un feu avec mes trois enfants, portant un châle tricoté main leur narrant l’histoire du Petit Poucet. Une vraie toile de Millet! Alors, ce soir, comme je vais terminer plus tôt, j’irai chercher dans la bibliothèque le livre que j’avais acheté dans la librairie du Grand Palais en sortant de l’exposition sur les jardins. Un livre magnifique écrit par Jean Giono « l’homme qui plantait des arbres », une magnifique fable écologique publiée en 1953. Une histoire qui devrait figurer au programme de lecture de tous nos élèves. Dans cette courte histoire, Giono atteint un degré de simplicité dans l’écriture qui épouse à merveille la terre aride et désolée de Haute Provence qu’il décrit. Cette histoire plairait beaucoup à Salgado qui, avec le soutien indéfectible de sa femme, a replanté la propriété familiale au Brésil. En poussant, les arbres ont ramené la pluie qui avait disparu.

Cette chronique, la trois-cent-soixante-sixième, est la dernière qui sera mise en ligne sur le site du Courrier International. Le vendredi 30 juin, le magazine auquel nous avons été longtemps abonné Stéphane et moi fermera définitivement la plate-forme qui accueillait les blogs. Il ne conservera que ceux de ses journalistes. J’aurais pu écrire au directeur pour faire valoir que, souvent, mes notes étaient les plus lues mais j’ai préféré voler de mes propres ailes. J’ai publié ma première chronique le 29 novembre 2008. Elle s’intitulait « Chronique du temps de l’Avent et du temps de l’Après ». Louis venait d’avoir un an. Comme sa grande sœur avant lui, il me tenait éveillée de longues plages la nuit. J’avais définitivement renoncé à ma thèse et ma joie d’être maman pour la troisième fois était assombrie par le deuil d’un travail de recherche et d’écriture qui m’avait mobilisée pendant huit années ! Les thèses en droit, quand on souhaite s’ouvrir les portes de l’Université, n’ont rien à voir avec les thèses dans d’autres disciplines. J’enterrais ma thèse mais, aussi, une carrière de maître de conférences à l’Université. Et c’est ce deuil-là qui me faisait le plus souffrir tant j’aimais transmettre, capter un auditoire, voir la lumière s’éclairer dans un regard! A l’époque des premières chroniques, je n’illustrais pas mes textes. J’ai, ensuite, commencé à ajouter des photos trouvées de-ci de-là avant de n’utiliser presque que les miennes et celles de Stéphane. Je consacre toutes les semaines plusieurs heures à l’écriture, de préférence la nuit, quand la maison dort, que mon Ar-Men est calme et que les parfums de mes patients flottent encore dans l’air. J’espère que mon lectorat ne se diluera pas trop. La fidélisation d’un lectorat se mérite tout comme la réputation d’une sophrologue en sabots !

En presque neuf ans, j’ai beaucoup écrit autour des thèmes qui me sont chers : la famille, les racines, mon père, la transmission, la maison de famille, l’enfance, la mémoire, la psycho-généalogie, l’analyse, les petits bonheurs, la campagne par tous les temps et toutes les saisons, les arts, Paris, le Finistère, le Gard, la Haute-Corse. Ma vie de famille ne me prédisposait pas au bonheur. Il y avait beaucoup de freins, d’histoires plombées et plombantes mais j’étais née avec un instinct de vie et de survie très fort. Alors, j’ai tout fait pour être heureuse. Le bonheur se travaille comme un métal. Et le partage, le respect et l’intérêt profond portés aux autres sont autant d’outils à employer pour le forger.

Je suis un peu triste de penser que cette chronique est la dernière que je publie sur le Courrier International. J’ai toujours du mal avec ce qui se termine. Je vous donne rendez-vous à partir du 30 juin et, encore, pour de longues années, sur le site http://horscadre.ovh/

Merci pour votre fidélité et pour vos gentils messages !

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

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