Chronique d’un départ épique pour la Haute-Corse

Hier soir, cela faisait une semaine que nous retrouvions la maison, le plateau et les champs à perte de vue. La vie a repris son cours avec un naturel désarmant et ces semaines de travail avec des enfants éclatés façon « puzzle » aux quatre coins de la longère ne sont pas une sinécure!

Vous sortez passablement fatiguée de votre cabinet où des heures durant vous avez plongé dans les profondeurs abyssales de l’être humain et vous découvrez des serviettes mouillées en boule sur la terrasse, des maillots dans l’herbe, tant de verres sur les tables qu’une garden-party se sera déroulée sans qu’on ait pensé à vous adresser un bristol, des traces de doigts graisseux sur les baies vitrées, des baskets près du trampoline, des restes de pâte de cookies écrasés sur le plan de travail, dans votre trousse de toilettes vos rares produits de beauté ont disparu quand vos filles en possèdent assez pour rivaliser avec n’importe quelle youtubeuse tendance, du gâteau à la farine de châtaigne préparé entre deux rendez-vous, il ne reste que des miettes collées au fond du plat, du Giens, service Alice, cadeau de mariage et comme il y a toujours un, voire deux amis de vos enfants à rester dormir, il ne vous reste plus qu’à ceindre un tablier autour de vos hanches et à vous muer en mama napolitaine!

Cela tombe bien car avant le départ pour la Haute-Corse vous avez préparé une importante quantité de sauce tomate que vous avez congelée. Elle devait faire revenir le soleil sur la table des dîners hivernaux mais au rythme où vont les choses l’automne ne sera pas là que la sauce aura disparu engloutie par une armada d’enfants gourmands et de jeunes adolescentes en pleine croissance! Parfois, votre mari aura pitié de vous. Alors, il chargera toute la troupe dans sa voiture et les comblera de bonheur en leur offrant un menu dans l’un des temples de la mal-bouffe!

Le soir, quand vous voudrez prendre une bonne douche pour vous délasser, les enfants et leurs amis auront eu raison de l’eau chaude du ballon. Comme dehors il fait 34 degrés vous vous en accommoderez. Vous aurez plus de mal en constatant que votre peignoir aussi vieux que rêche est détrempé comme le tapis de la salle de bains, somme toute un détail dans tout cette joyeuse pagaille!

Mon mari moque souvent ma nature « Tartarin de Tarascon ». Ce tableau était encore vrai voici peu mais les filles ont compris que j’avais besoin de soutien et leurs amies sont toujours très attentives. C’est Louis qui, en bon fils, a encore de gros efforts à fournir! Le grand défi de cette année est d’obtenir de lui qu’il passe plus de cinq minutes à table et ne sème pas derrière lui toutes ses affaires tel un petit Poucet désireux de retrouver le chemin de sa maison. Du haut de ses neuf ans et demi, Louis a peur de nous perdre, peur que la mort nous sépare, peur de plus nous voir. Alors, son papa, en lui exposant mon approche chrétienne de cette vie de lumière qui nous attend, parvient à l’apaiser un peu.

Lundi, Louis aura repris le chemin d’une école qu’il s’est mise à détester et, mardi, les filles, au collège, auront découvert leurs professeurs et leur planning. Le soir comme tant d’autres mamans, j’aurai mille et un documents à remplir, à signer et des pièces à fournir. La maison sera étonnamment silencieuse et notre Fantôme pourra enfin se reposer en paix entre deux patients qu’il aime accueillir et raccompagner de sa démarche tranquille. J’aimerais le former à la prise de rendez-vous et à la comptabilité mais il préfère courir avec moi entre champs et bois, jouer avec les enfants, offrir son ventre à caresser et méditer à sa condition de berger australien sous le hamac ou le noisetier.

Le texte qui va suivre a été écrit au début de nos vacances depuis la terrasse de la maison située à Lumio dont la vue imprenable sur la baie de Calvi permet de suivre les largages de légionnaires parachutistes du 2è REP.

Lundi 31 juillet, jour de notre dix-huitième anniversaire de mariage, noce de turquoise, Stéphane et moi attendons, avec Louis tout excité de retrouver ses soeurs, dans la masse compacte et transpirante des passagers du hall 2 de la gare de Lyon. Comme chaque fois que je suis dans cette gare, je pense au « Train bleu » où j’ai toujours eu envie d’aller dîner et, ensuite, mon esprit me conduit au « Nain bleu », mythique magasin de jouets ouvert en 1836 entre Madeleine et Concorde et dans lequel mon père m’avait trouvé un Babar qui parlait quand j’avais quatre ans. A Montparnasse règne une pagaille sans pareille. Joie de l’informatique: trains retardés, passagers déroutés gare d’Austerlitz. Compassion pour ces voyageurs. Je ne sais pas ce qui nous attend demain…

Voiture 17, les filles apparaissent élancées, bronzées, lumineuses. Louis se précipite et les sert dans ses bras. Il n’a pas vu Céleste depuis presqu’un mois. Céleste, sa grande soeur, sa petite mère qui le gronde autant qu’elle partage ses bêtises. De nos trois enfants, Louis est le plus démonstratif. L’expression de ses joies, de ses peines, de ses chagrins est spectaculaire. Il a été conçu à Budapest. C’est un petit bonhomme romantique et tourmentée, tendre et colérique. Cela fait dix-huit ans que nous sommes mariés. C’est un jour que ma mère n’évoque plus avec moi et elle a fini par s’habituer au fait que je retourne ou cache systématiquement notre photo de mariage qui se trouve avec celle de ma soeur et de son mari dans le petit salon de la bonne et vieille maison de Pont-Saint- Esprit.

J’écris depuis la terrasse de la maison de ma belle-famille, à Lumio, petit village en pierre adossé à la montagne aux fenêtres tournées vers la baie de Calvi. Un Transall vient de décoller de l’aéroport Sainte Catherine. Dans quelques minutes, il va larguer une grappe de parachutistes. La devise du 2è REP est More Majorum (à la manière des anciens). Seul régiment parachutiste de la légion étrangère encore en activité, il a quitté Bou-Sfer, en Algérie, en 1967. Ses hommes ont été engagés sur tous les fronts: Indochine, Algérie, Tchad, Zaïre, Djibouti, Liban, Rwanda, Bosnie-Herzégovine, République centrafricaine, République du Congo, Kosovo, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Gabon, Nouvelle-Calédonie, Emirats arabes unis, Jordanie, Mali, Niger et France métropolitaine dans le cadre de l’Opération Sentinelle  visant à protéger certains points sensibles d’attaques terroristes.

Dans le couple qui possède la maison juste à côté de celle de ma belle-famille, le mari est médecin au camp Raffalli et grand marathonien. j’aurais aimé pouvoir l’interroger sur la vie du régiment, les pays d’origine des militaires, la présence de femmes dans leur rang, leurs rites mais c’est une famille qui ne cherche pas à établir de contact avec ses voisins. Dommage! Quand nous habitions à Castres et que notre père était souvent invité par au 8é RPIMA, j’étais encore un peu jeune pour me poser ce genre de questions.

Hier, avant de m’endormir, j’ai mis mon réveil à sonner à six heures. Cette précaution ne sert à rien car je suis toujours réveillée avant par la lumière du jour. Il fait déjà 28 degrés. Je voulais emmener notre Fantôme se promener mais, passé le portail, il refuse catégoriquement d’avancer et pour que je saisisse bien le message, se couche dans la terre sèche tel un sphinx. Je m’approche, le caresse, lui parle, essaie de le convaincre, lui explique qu’ensuite il fera trop chaud mais il ne bouge pas. Je respire un concentré d’odeurs merveilleuses. Je reconnais l’immortelle, le laurier rose, le figuier. Fantôme a besoin de se remettre de toutes ses émotions.

Hier, nous avons connu un départ épique comme dans une chronique de Yolaine de la Bigne, élue en 2007, femme en or pour avoir fondé l’évènement Fêt Nat à Paris, et engagée de longue date dans la protection de l’environnement et la reconnaissance de l’intelligence animale. Une journaliste fine et pétillante dont j’ai toujours aimé la voix joyeuse. Normalement, Stéphane devait nous déposer à Orly Ouest avec les enfants, Fantôme, les valises, les sacs à dos et la caisse mais je préférais que nous ne nous séparions pas. Nous avons dormi chez ma mère, à Sceaux. Stéphane nous laisse devant le RER où j’achète nos billets aller/retour. Il part se garer sur la place de parking de ma mère qui a pris ses quartiers d’été dans le Gard et nous retrouve. Jusque là, tout va bien. Fantôme refuse catégoriquement de porter sa muselière mais ce n’est pas grave. C’est un chien profondément pacifique.

Céleste n’est jamais rassurée quand nous partons pour la Corse car nous avons souvent eu des problèmes. Quand elle voit les bandes oranges et rouges qui interdisent l’accès à l’Orlyval, elle se retourne vers moi et me dit « je le savais. Il y a souvent un problème quand on va en Corse ». L’Orlyval a été interrompu à la demande de la police nationale. Une voiture stationne non loin des rails avec, à l’intérieur, une valise. Les démineurs vont intervenir. Que faire? Attendre que l’Orlyval soit remis en circulation ou monter dans l’une des navettes qui vont être mises à la disposition des passagers?

Nous  optons pour la navette sachant que de très gros embouteillages se sont formés tout autour de l’aéroport. Nous prenons place au milieu du bus. Nous sommes serrés comme des Parisiens aux heures de grande affluence. Il fait très chaud. Fantôme ventile. Les passagers ouvrent les fenêtres. Une ambiance très chaleureuse (dans tous les sens du terme!) règne à bord. Chacun interroge son voisin ou sa voisine sur sa destination et sur l’heure de son vol. Certains tentent de joindre la compagnie aérienne. Ma voisine directe est aussi jeune que charmante. Une belle brune, longue et souriante qui part à Malaga rejoindre des amis. Elle me parle des petits chats qu’elle a réussi à sauver en les nourrissant toutes les deux heures au biberon et de cet ami qui s’est installé chez elle et va veiller sur eux. Un quadragénaire part pour Edimbourg et sa voisine, elle, s’envole pour Corfou. Ce n’est plus l’auberge mais la navette espagnole!

Le bus ne bouge plus. Des passagers descendent de leur taxi. Certains attendent un tramway. Stéph, sur son portable, calcule la distance qu’il reste à parcourir pour arriver à bon port: deux kilomètres et demi. Nous décidons de descendre. Stéph tient Fantôme en laisse et il tire la caisse. Chaque enfant a une valise et un sac à dos et, de mon côté, j’ai la plus grosse valise, celle qui pèse vingt-deux kilos mais, tandis que je marche, je réalise que mes bras sont légers. Je ne tire rien…La valise parentale est restée dans le bus. Je m’en étais servie comme d’un fauteuil! Je cours en sens inverse, fais signe au conducteur, monte et, dans un grand sourire, lance: « on ne va pas vous faire deux fois le coup du bagage abandonné! ». Tous les passagers éclatent de rire!

Sur plus de deux kilomètres, nous charrions nos bagages. Victoire porte sur son dos l’un des deux sacs LowAlpine d’une capacité totale de quatre-vingt-quinze litres qui nous ont servi de maison pendant notre tour du monde. En plus de ce sac, elle tire sa valise. Victoire s’approche de moi et me dit se rappeler cette marche forcée dans le Queyras avec les chaussures de ski à bout de bras, les skis et les bâtons. Les têtes des deux doudous sortent du grand sac à main de Céleste. Louis ne se plaint pas. Il a aussi une valise et un sac à dos. Il avance. Tout le monde avance avec une seule idée en tête: monter dans l’avion!

Enfin, nous arrivons rouges, dégoulinants. Seul Fantôme a dû apprécier cette petite promenade après le RER et le bus. Bonne nouvelle: Air France a retardé tous ses vols pour ne pas laisser ses passagers en carafe. Le personnel au sol est charmant. Devant nous, c’est la fin de l’enregistrement du vol de Calvi prévu à 10h20 et de ceux de Nice et de Toulon. L’enregistrement des bagages terminé, Stéph part hall 3 avec Fantôme et la caisse. Le monsieur, charmant, qui nous a pris en charge revient de quinze jours de vacances à Calvi. Il envoie les enfants passer tous les trois la sécurité où nous les rejoindrons en salle d’embarquement. Au début, Céleste est hésitante. Elle ne veut pas se séparer de moi mais Victoire réussit à convaincre sa soeur. Les enfants partent et le monsieur m’accompagne à un  comptoir Air France où je dois à présent m’acquitter du prix des billets pour Fantôme. Tout est fait. Je n’ai plus qu’à retirer mes chaussures de randonnée qui, avec ma combinaison en toile bleue, sont du plus bel effet, et à passer le portail de sécurité. Rien ne sonne. Stéph et les enfants me font signe. Stéph me raconte que Fantôme ne voulait pas entrer dans la caisse et que l’expression de son regard était chargée d’inquiétude avant de partir sur le tapis et de disparaître derrière le rideau en plastic gris.

Quand nous montons à bord de l’appareil, nous sommes les derniers passagers et l’hôtesse nous dit qu’elle a entendu Fantôme aboyer. Enfin, nous pouvons respirer et nous détendre. Stéph ferme les yeux. Les enfants font des jeux. Je me plonge dans un numéro de « Géo ». A l’arrivée, à Calvi, la chaleur est torride. Fantôme apparaît sur le tapis avec les valises. Sa caisse est toute humide. Sa magnifique collerette de poils blancs est devenue jaune. Il saute partout. Il est en état de stress et il est assoiffé. Dans ma précédente chronique, j’ai écrit comment et pourquoi j’avais cherché à minimiser cette expérience pour Fantôme. Mais, de toute évidence, il a très mal supporté ce vol et il va mettre deux jours à retrouver un comportement normal. Je ne crois pas qu’il se rappelle être déjà venu dans cette maison quand il avait quelques mois.

Le texte que j’ai écrit le lendemain de notre arrivée, le 2 août, s’achève. De gros orages sont attendus aujourd’hui. Harvey continue de sévir. Certaines photos prises au Texas m’ont rappelé les inondations que le Loiret a connus au tout début de l’été 2016. Pour beaucoup de sinistrés, le traumatisme est encore présent. Les orages vont rafraîchir l’atmosphère. Les cartables et les sacs des élèves sont prêts. Les enfants savourent ces derniers jours de liberté. Hier, Céleste et son amie Kesia n’ont pas réussi à trouver le sommeil dans la tente et, ce matin, à six heures, je les ai découvertes dormant sur le canapé de la mezzanine. Comme Louis et son ami venaient de se réveiller, j’ai refait les lits et ai proposé aux filles de venir continuer leur nuit dans une chambre à l’abri de la lumière. Elles se sont exécutées en émettant des bruits dignes de ceux d’un ours quittant sa grotte à la fin de l’hiver! Victoire, elle, est chez une amie et les deux filles seront là en début d’après-midi.

La prochaine chronique reviendra sur le temps que nous avons passé dans un camping de la vallée de la Restonica. Une histoire assez amusante!

Je souhaite à tous les enfants une bonne rentrée en maternelle, à l’école primaire, au collège, au lycée ou bien encore à l’université ou en apprentissage et à leurs parents beaucoup de patience pour remplir, parfois en trois exemplaires, les formulaires et autres papiers administratifs.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

2 commentaires sur “Chronique d’un départ épique pour la Haute-Corse

  1. Un petit Coucou de la vie
    Je suis olivier Pages
    C est avec beaucoup de plaisir que je lis tes écrits et que me souviens de ses années lointaines ou nous avion s 13 and
    Nous étions en classe ensemble à Jean Jaurès à Castres et nous avons fêté nos anniversaires avec Anne Bousquet à la sous préfecture
    Bise

  2. Chère Anne Lorraine J ai la joie de lire ton message que m’a transmis Olivier, j’y retrouve intacts les moments heureux passés tous ensemble, notre amitié les prolongent et le 27 octobre sera tjrs une date à part ! Pour la petite histoire j ai toujours ce pull en mohair jaune tricoté main qu Eva m’a convaincue de garder, il a même un double bleu ! Je t embrasse, nous te souhaitons Emmanuel et moi plein de belles choses. Anne Je suis sincèrement très attachée à Anne Bousquet « Nini » devenue Anne Coma, Anne Serdan devenue Anne Casey et toi, toutes trois de très belles personnes.

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