Chronique d’un sixième été en Balagne

Le quotidien a repris dès le passage de la porte par une nuit parsemée d’étoiles. Après trois semaines, la maison sentait bon le champignon, de magnifiques araignées s’épanouissaient au fond de l’évier, le jardin avait des allures de forêt tropicale, la boîte aux lettres étaient grosse de factures et de prospectus, le lierre avait envahi la fenêtre côté plateau de mon Ar-Men et, dans le garage, je retrouvais la pile de linge tout sec que je n’avais pas eu le temps de repasser avant le départ. Les vacances étaient clairement finies!

Les enfants étaient ravis de se couler dans les draps tout frais que j’avais changés avant que nous ne nous envolions pour la Corse. Le plus heureux, c’était Fantôme, notre enfant quatre pattes tout poilu. Enfin, il retrouvait sa maison, sa campagne. Cette année, nous avons décidé de ne plus peser sur ma mère en lui demandant de venir s’installer chez nous. Les années passent et je souhaite qu’elle profite pleinement de sa maison dans le Gard. Fantôme ne nous a accompagnés qu’une seule fois en Corse. Il avait quelques mois et nous avions pris le bateau. Les voyages en soute l’ont beaucoup stressé et je ne crois pas que les granules d’homéopathie l’aient aidé. A l’aller, il aura mis deux jours à se remettre refusant catégoriquement de sortir. Bien sûr, la première semaine, la température oscillant entre 38 et 41 degrés n’était pas propice aux promenades et un de ses coussinets était fendu. A l’aller comme au retour, nous avons vu arriver notre Fantôme sur un tapis avec les bagages. A l’aéroport de Calvi, il est arrivé sur l’unique tapis mais, à Orly, il a fait son apparition sur le tapis réservé aux bagages gros gabarit au milieu des poussettes, maxi-cosy et sacs de golf ou de kitesurf.

A la sortie de la cage dont le sol était trempé du fait d’une hyper salivation, son poil blanc paraissait jaune et son corps dégageait une odeur très forte, l’odeur de la peur. J’avais cherché à dédramatiser cette expérience en songeant à tous ces réfugiés et ces migrants qui sont entassés sur des embarcations par des passeurs criminels et ne sont sûrs ni jamais de revoir leur pays ni d’atteindre la côte de cette Europe en laquelle ils ont placé leur dernier espoir. Je me rappelle combien l’été dernier, en Haute-Corse, pendant les JO de Rio, j’avais été choquée de lire dans quelles conditions de luxe voyageaient les chevaux des équipes d’équitation car je n’avais pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec la traversée de la Méditerranée par des familles syriennes. Les corps sans vie des petits enfants rejetés par les vagues sur le rivage italien n’étaient rien au regard des chevaux à haut pédigrée!

Depuis mercredi, le quotidien a repris entre patients, enfants, amis des enfants à la journée, amis des enfants à dormir, courses, cuisine, repassage, vérification des fournitures scolaires, organisation des activités sportives, écriture en fin de nuit et récupération des objets les plus hétéroclites abandonnés aux quatre coins de la longère et même au-delà! En matière d’abandon d’objets, l’imagination de Louis ne connaît pas de limites! Comme Fantôme était heureux mercredi matin quand il m’a vu enfiler mes vieilles baskets bleues et aller chercher mon vélo dont Stéphane avait eu la gentillesse de regonfler les roues. Quelle joie pour lui de retrouver tout un monde d’odeurs familières, de sentir sous ses coussinets la douceur de l’herbe fraîche, de pouvoir saluer ses amies, Ella, le Malinois et Nella la petite king Charles. Quant à moi, je remerciais la nature qui rendait possible la rencontre avec une maman chevreuil et ses deux petits.

La sixième édition de nos vacances en Haute-Corse s’est refermée mardi aux alentours de treize heures, après que nous ayons gagné nos places dans l’avion d’Air Corsica depuis le tarmac sur lequel flottaient des odeurs de maquis grillé et que les roues de l’appareil aient quitté le sol granuleux de la piste. Le moment où l’avion prend de la puissance, que les dos des passagers sont collés à leur fauteuil, c’est celui que je préfère depuis mon tout premier vol à l’âge de cinq ans dans un Boeing 737 à destination de Fort-de-France, en Martinique.

Notre séjour corse s’est ouvert sur un départ épique comme dans une chronique de Violaine de la Bigne (récit à venir prochainement) et s’est achevé, comme tous les étés, sur un rangement et un nettoyage de la maison, de la piscine, des voitures et du bateau digne des hommes du 2é REP de Calvi qui fêtait ses cinquante ans sur l’île de beauté. Nous aimons tous voir le C-160 Transall traverser la baie de Calvi et larguer des paquets de parachutistes, petits points noirs dans un ciel limpide disparaissant vite avalés par la forêt.

Cette année, enfin, les enfants grandissant, mon mari accueillant mes désirs, nous avons passé des vacances selon mon coeur: des vacances où on part à la découverte de lieux qu’on ne connaît pas, où on alterne montagne et mer, marche et navigation. L’âme corse se cache loin, haut, dans ces villages perchés, accrochés au flanc des montagnes depuis lesquels les habitants pouvaient guetter l’envahisseur et se préparer à le repousser. La Corse, c’est un long chapelet de citadelles, de tours génoises et d’églises romanes. Tous les villages sont ravissants. A Sant’Antonino, Montemaggiore, Pigna, Calenzana, Monticello, on  rencontre des vieilles dames charmantes heureuses de prendre le temps de bavarder avec les étrangers de passage, des artisans travaillant la terre, le cuir ou le bois, des randonneurs à gros mollets avec des bosses sur le dos et des Italiens comme s’il en pleuvait.

Longtemps, au moment de l’ouverture des successions, les hommes héritaient des biens dans les montagnes et les femmes des biens le long du littoral. Le littoral ne valait pas grand chose et puis, les choses ont changé et les femmes sont ressorties riches des études notariales dans lesquelles j’imagine toujours des maîtres au teint cireux, les corps replets sanglés dans des costumes noirs avec des clercs embusqués derrière des bibliothèques abritant des vies entières de Dalloz et de Gazette du Palais. J’ai lu Daumier. J’ai vécu dans des villes de Province. Ceci explique cela!

De ces trois semaines en Haute-Corse, je retiens de magnifiques souvenirs:  une promenade dans les rues colorées de Corte, la découverte de la vallée de la Restonica avec une marche jusqu’au lac de Melo situé à 1771 mètres, la joie de renouer avec la vie sous tente, vie que j’ai apprise à apprécier en faisant la connaissance de Stéphane. Mes deux années de jeannette dans la Sarthe, jupe culotte en velours marron, chemise bleue, grandes chaussettes ultra seyantes, m’avaient dégoûtée de la vie au grand air. Au printemps comme en hiver, les tentes militaires étaient déployées dans les champs généreusement prêtées par des agriculteurs sarthois. Nous nous lavions à l’eau froide. Le sol des tente était boueux. Nous étions gelées dans nos sacs de couchage et rendues à nos familles avec poux et oxyures! Bien des années plus tard, j’ai découvert que la vie sous tente pouvait être vraiment merveilleuse et synonyme de liberté et de communion avec la nature.

De ce séjour, je retiens des marches avec notre amie Emmanuelle- une amitié née autour d’un sac en plastic à l’effigie d’un poulet patte bleue de la Bresse- au départ de villages escarpés, en suivant des sentiers muletiers et en humant l’odeur des figuiers; les trois jours magiques passés avec des copains de Stéph: Anne et Manu, Wendy et Pierre, Julia et Bernard et les enfants Thelma, Ninon, Milo et Elmo. les deux marches jusqu’au village abandonnée d’Occi, au-dessus de Lumio, un lieu absolument unique d’où l’on peut contempler le soleil basculer dans la mer et, parfois, admirer la chaîne des Alpes se découpant en ombres chinoises en respirant le parfum des immortelles. Des ruines d’Occi s’élèvent des voix qui vous racontent l’histoire des hommes et des femmes qui y ont vécu jusqu’au début du vingtième siècle. Devant la chapelle se tient une chaise en bois et sous un olivier se trouve une vieille baignoire servant d’abreuvoir aux vaches. La chapelle et sa chaise m’évoquent les crèches de mes Noël gardois.

Je retiens encore la toute petite crique située sous le phare de la Revellata que Stéphane a baptisée la crique de Maryvonne, prénom de ma marraine. Dans cette crique, on se sent vraiment comme la famille des Robinson suisses. Les enfants et leur papa y nagent jusqu’à un rocher depuis lequel ils peuvent sauter et plonger d’une hauteur de cinq mètres. Dans cette crique, ce sont les images du magnifique film sur Cousteau « l’Odyssée » qui s’invitent. La joie des enfants d’embarquer sur un zodiac, d’avoir le corps léché par les embruns, d’être bousculés par la houle, de jeter l’ancre, de nager, d’escalader les rochers, d’observer les fonds marins, avoir la chance de voir passer un banc de dauphins (cela ne m’était plus arrivé depuis un séjour dans les Cyclades, l’été de mes quinze ans), tout cela a le goût d’un bonheur qu’on voudrait universel.

De ce séjour, je garde ce dîner au Padula, les pieds dans le sable depuis la plage d’Algajola avec un coucher de soleil magnifique, un tartare de daurade délicieux qu’accompagnait à merveille un vin blanc « Clos Culombu » 2015. Le monsieur qui s’occupait de nous semblait tout droit sorti d’un roman d’espionnage. Agé de soixante ans, un visage cuivré et marqué par de belles rides d’expression, des yeux d’un bleu vif, il nous racontait vivre à Corfou depuis plus de vingt ans, avoir été directeur dans la restauration et l’hôtellerie, avoir évolué douze ans dans l’univers pailleté du show-biz et avoir fait le choix de travailler très dur six mois en Haute-Corse pour, ensuite, retrouver son petit paradis grec. C’était un homme vraiment surprenant et, certainement, il avait dû connaître un revers de fortune pour être encore obligé de travailler comme chef de rang au Padula.

Le 15 août, alors que les cloches de l’église Santa Maria sonnaient, nous nous mettions en route. Nous étions au complet: Emmanuelle, les enfants, Stéphane et moi. En cette fête de l’Assomption, l’église était vite pleine. Une chaleur lourde y règnait et les feuilles de messe se transformaient en éventail. Je cherchais du regard Anne et sa petite famille. L’an passé, dans les mêmes circonstances, nous avions fait connaissance. Nous avons le même âge, avons étudié dans la même université. Nous aurions pu nous retrouver dans le même TD quand nous avions vingt ans et aurions pu être collègues quelques années plus tard. Mais si j’ai quitté l’université, Anne y enseigne en qualité de professeur agrégée de droit privé et est spécialisée en droit de l’informatique, droit qu’une cousine par alliance de notre mère a imaginé quand elle était elle-même en thèse, une cousine qui se cache derrière la loi « informatique et libertés ». Anne était à deux rangs derrière nous mais je ne la voyais pas. Nous avions bon espoir cette année de nous retrouver autrement qu’entre l’eucharistie et l’envoi.

La messe était très belle portée par les voix des confrères ou de la chorale Argentella. Je me rappelais ces fêtes de l’Assomption dans notre famille où presque toutes les femmes portaient le prénom de Marie. Pour le 15 août, nous étions le plus souvent dans la bonne et vieille maison de Pont, dans le Gard et notre père préparait un délicieux déjeuner de fête. C’est pratique un athée épris de cuisine dans une famille pratiquante car tandis que celui-ci se soucient de nourritures terrestres, les autres sont concentrés sur des nourritures spirituelles.

Après la messe, nous avons suivi la procession dans les ruelles de Lumio. Il faisait chaud, comme l’année dernière. Anne et moi avons pu échanger un peu et nous promettre de nous retrouver à Paris ou ici. En Haute-Corse, je retrouve la même ferveur religieuse que dans le Finistère sud. A un jour près, j’aurais été heureuse de pouvoir assister aux célébrations organisées autour du prêt par les Capucins de Paris de la relique du manteau de Saint François d’Assise à la ville de Calvi. Saint François d’Assise est la figure catholique dont je me sens la plus proche. Certainement car elle trouve un fort éco en moi: besoin de partage, communion avec la nature, égalité entre les hommes et combat contre soi-même pour accepter de vivre dans l’ombre quand on se sentait fait pour la lumière.

Ce n’est que sur la toute fin de notre séjour que notre fils Louis a pu trouver des amis, Milan et Elmo. Sans son cousin Valentin et sans copain, il s’est beaucoup ennuyé et a sollicité son père sans arrêt. L’écart s’est creusé entre Louis et ses deux soeurs, deux jeunes adolescentes manquant d’envie s’agissant de disputer des parties de baby-foot, de suivre leur frère sur le terrain de rugby flambant neuf de Lumio ou de pratiquer la lutte romaine! Louis est un enfant dont l’énergie assez exceptionnelle n’est pas toujours facile à vivre. Avec Milan et Elmo, Louis avait enfin trouvé des camarades capables de le suivre dans toutes ces activités et de partager son univers.

Cette année, ma soeur, les siens et mes « vieilles » amies m’ont manqué. Aurélie, la marraine de Louis avait l’opportunité de partir en Asie avec ses deux enfants et Sandrine a laissé les siens partir sans elle. Quant à Soline, la marraine de Céleste, elle nous a avertis de son désir de venir nous voir depuis le sud de la Corse alors que nous avions déjà programmé notre déplacement à Corte et notre campement dans la vallée de la Restonica. Farida et les siens, eux, étaient dans le Sud en juillet.

A chaque séjour s’attache une musique et cet été sera marqué par le légendaire « Il jouait du piano debout ». Cette chanson écrite par Michel Berger et chantée par France Gall envahit les ondes et est fredonnée par tous les adolescents. Pour moi, cette chanson est associée à un souvenir à la fois très ancien et très précis: celui de ma tante et marraine conduisant sa Fiat 5OO depuis l’Estérel jusqu’au cabinet médical située à Cannes et nous demandant à son unique fille et à moi de prier pour qu’elle trouve une place! C’était en août 1980. Notre cousine germaine allait avoir neuf ans ans et moi onze. Je ne le savais pas mais dans moins d’un an, François Mitterrand serait élu Président de la République, une immense vague rose recouvrirait la France en général et la haute fonction publique en particulier et notre père ne s’en relèverait jamais. Ceci est une autre histoire!

Encore quelques images ou ressentis avant de refermer l’album de notre séjour en Balagne: Fantôme couvert de boue et de feuilles lors d’une marche en montagne, Manue plongée dans la lecture du magnifique roman japonais « les mémoires d’un chat » de Hiro Arikawa, Anne évoluant avec la grâce d’une danseuse sur la stackline tendue entre deux rochers au-dessus de l’eau par Manu, le ballet des canadairs pour éteindre les feux criminels menaçant la forêt de Bonifatu, l’odeur de bois calciné, mes moments d’écriture, seule, sur la terrasse face à cette vue imprenable sur la baie de Calvi me rappelant celle de Saint Pierre à la Martinique, le cookie géant des filles, un groupe de nains de jardins ayant envahi la terrasse la nuit, le défilé de mode avec Milan dans le rôle du top modèle et Victoire dans celui de la styliste, nos filles se muant en petites mamans de Thelma et Ninon, les chorégraphies des enfants, une complicité immédiate avec des personnes que je connaissais à peine ou pas du tout, une nuit d’observation des étoiles filantes, des bains dans l’eau limpide de la Restonica, la lumière dorée enveloppant les ruines d’Occi et l’amour amazonien de Louis pour son papa.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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