Chronique d’une presque fin d’année

L’horloge du clocher de l’église du village marque dix-neuf heures quand Louis et moi quittons la kermesse. Une belle lumière dorée éclaire la cime des arbres. Nous marchons jusqu’à la voiture garée le long d’une haie de thuya. Tous les bénévoles de l’APE ont commencé à ranger les tables, les bancs, à démonter les tentes et le manège que nous aimons tous, un vieux manège sans musique hystérique sans queue de singe mitée qui a déjà vu tourner deux générations d’enfants. Avec Alexandre, membre du comité des fêtes de Gy-les-Nonains, j’y ai passé trois heures trente. Si Alexandre en charge de ses rotations était à l’ombre, j’étais exposé au soleil. Je devine que mes épaules sont bien rouges. Laurent, la maman de Lisa et quelques autres rangent les dizaines de pneus qui délimitaient la piste de kart. Les deux Ferrari, une jaune, une rouge et les Harley Davidson ne sont plus là. Louis a fait un tour dans la Ferrari jaune et est aussi monté sur le dos d’une Harley. Stéphane, lui, aurait préféré la Ferrari rouge, plus ancienne, la Ferrari de Magnum! Quand j’étais étudiante en droit, j’ai regardé tous les épisodes de la série avec ma grand-mère maternelle. Ils étaient diffusés sur la petite chaîne montante, la 6. Mes amis m’avaient surnommée Higgins car j’étais incapable de raconter une histoire sans en faire une page des « Mémoires d’Outre-tombe »!

Tandis que nous arrivons à la voiture, je pense à ces douze kermesses que nous avons vécues: kermesses orageuses, kermesses pluvieuses, kermesses venteuses, kermesses glaciales et kermesses caniculaires mais, toujours, kermesses heureuses! En douze ans, j’aurais eu le temps d’expérimenter tous les postes possibles pour un parent bénévole: chamboule-tout, jeux en bois, pêche aux canards, pêche miraculeuse, virolet, château gonflable, poney, buvette et manège. Je n’ai jamais été réquisitionnée pour le tir à la carabine réservé à la gent masculine! Enfant, c’est mon père, dans les fêtes foraines, qui m’a initiée au tir à la carabine et j’adorais çà!

Les années passant, les visages changent tandis que certains demeurent. Je n’ai pas vu Françoise ni Christelle ou Carlos. Yann et sa petite Cerise ont rejoint la Sarthe. Sandie et Anthony sont toujours fidèles aux postes. Je regrette de ne pas tenir le manège avec Virginie installée au chamboule-tout. C’est sympathique de voir des amis de Céleste dont les parents se sont toujours beaucoup impliqués dans la vie associative s’investir à leur tour. Yann, Doryan, Joséphine et Alexandre veillent sur les jeux en bois. Les garçons portent des bandanas blancs autour de leur front. Lali, Sheyllie, Noémie, amies de Victoire, viennent m’embrasser et me demander si Victoire profite bien de son week-end à Londres avec sa marraine.

Au fur et à mesure, la salle des fêtes rend à l’air libre des grappes de jeunes enfants ayant dansé ou chanté pour le spectacle de fin d’année. Certains enfants sont tout de blanc vêtus. D’autres portent aux bras ou autour de la taille des bandes de tissu de couleur qui flottent au vent. Quand j’aide une petite fille à s’installer sur une moto, dans la toupie, l’avion, le camion ou le bateau, je veille à ce que les morceaux de tissus demeurent intacts. Les ATSEM sont toutes réunies autour de la pêche aux canards. Dans un grand bassin, de malheureuses truites attendent d’être pêchées. En fin de journée tandis que le bassin est vidé un élève apostrophe sa maîtresse Florence et lui dit: « Maîtresse, tu viens avec moi attraper une truite à mains nues? ». Florence nous laisse François, leurs deux filles Camille et Estelle et suit le garçon. Très vite, la voici qui revient avec une truite dans un sac en plastique. Sur les conseils du pêcheur, elle va la préparer en papillotte. Je me rappelle ces festins de truite auxquels Yann et Nadira, avant leur séparation, nous conviaient chez eux les soirs d’été. Yann venait juste de pêcher les truites et il les mettait à griller sur le barbecue. On se régalait!

Comme toujours quand le soleil est au rendez-vous, les enfants se poursuivent avec des pistolets à eau qu’ils vont recharger à intervalles réguliers aux lavabos des toilettes. Les claque-doigts, eux aussi, sont les stars de la fête. Hier soir, avant la retraite aux flambeaux, les enfants s’arrachaient les toupies aimantées qui brillent quand elles ont trouvé leur vitesse de croisière. Stéphane montrait à Héloïse comment y arriver.

Jusqu’à la dernière seconde, Louis a sauté et couru avec ses amis. C’est merveilleux ces moments, trop rares dans une année, où les enfants peuvent jouer en toute liberté tandis que leurs parents, eux, peuvent bavarder sans s’inquiéter de leur sort. La politique du tout sécuritaire et du principe de sécurité nous ont privé d’un grand espace de liberté. Quand nous sommes arrivés dans la région, le samedi de la kermesse, on faisait brûler un immense feu. Bien sûr, des pompiers stationnaient non loin de l’évènement mais il avait lieu et c’était magique de voir les flammes monter en direction des étoiles. Le défilé aux lampions partait quand la nuit était vraiment tombé et c’était si joli de les voir briller. Les lampions sont toujours fabriqués avec du papier ignifugé, un fond de boîte de coulommiers dans lequel est planté une bougie. Il n’y a plus qu’à le suspendre au bout d’un bâton et de prendre garde à ce que la bougie en se consumant ne mette pas le feu au couvercle. Quand le lampion brûle, c’est le drame! L’enfant qui a consacré beaucoup de temps à sa fabrication et qui l’a si joliment peint et décoré est désespéré.

Pendant plus de trois heures, j’ai échangé avec des parents, des enfants, fait des signes de la main à l’aviateur en herbe ou à la motarde à robe vichy et à chapeau de paille. Le manège est l’attraction que les jeunes enfants préfèrent. Il ne désemplit pas et, quand on annonce sa fermeture, les enfants sont tristes. Le manège va être méticuleusement démonté, rangé, stocké. Comme les santons, les sujets devront patienter une année avant de quitter leur boîte et retrouver la magie de la fête de l’école. Les enfants s’amusent comme des petits fous dans la toupie. Certains tournent si vite qu’ils déclenchent un mal de coeur terrible chez les autres passagers. Certains enfants ont une idée très précise du sujet dans lequel il veut monter.

Très tôt, les caractères se dessinent. Il y a cette fillette de six ans qui passe devant tout le monde, essaie de ne pas donner son jeton et s’assure d’occuper la place qu’elle veut! Il y a le petit bonhomme de trois ans aux joues bien pleines, aux cils immenses qui se laisse emporter dans son rêve au gré de la valse du manège. Il y a l’enfant de deux ans qui, depuis l’autocar où elle est assise, se met à pleurer puis à hurler à la vue de Tigrou évoluant dans la foule. J’essaie de la consoler mais ses pleures redoublent et son papa vient la chercher. A côté d’elle, une autre petite fille à peine plus âgée, tenant son ours en peluche sous le bras, reste impassible. Il y a Adèle, ma petite sorcière adorée, qui, dans sa jolie robe blanche, va essayer toutes les motos du manège! Dans l’herbe ou sur les bancs, j’observe quatre générations qui échangent: grands-parents, parents, enfants et petits-enfants. Quand les parents ont cessé de céder aux désirs des enfants, on voit revenir ces derniers avec une mamie ou un oncle, une marraine ou un grand-père.

Je regarde ce vieux monsieur qui a atteint le statut d’arrière grand-père. Il porte un jeans Levis tout neuf, un polo bleu marine. Il a le dos légèrement courbé et il prend appui sur une canne. Il porte une prothèse auditive et un chapeau de paille. A ses pieds, des parents et des enfants. Un grand sourire se dessine sur son visage. Il est heureux à la vue de toute cette jeunesse. Comme les enfants qui l’entourent il est dans le temps présent qui seul compte, le seul temps dont on est assuré. J’imagine que ce vieux monsieur passe beaucoup de temps dans son potager entre les allées d’oignon, de pommes de terre, de laitue et de courgettes. La semaine dernière, Muguette m’a entraînée dans son potager et elle m’a fait goûter des feuilles de pourpier. Elle m’en a ensuite donné pour le mélanger à de la salade. Les enfants ont beaucoup aimé.

C’est à regret que je quitte la kermesse. J’ai toujours apprécié les ambiances de fin de fête. J’aime ces moments où on range tous ensemble et où on échange ses ressentis sur ce qu’on a vécu. Avant de partir, je suis allée remercier le nouveau président de l’APE et sa compagne pour tous leurs efforts. J’étais assez réservée sur la façon dont ils avaient procédé pour organiser cet évènement assez unique dans son genre et qui repose sur une mécanique huilée et un grand nombre de bénévoles. Je craignais qu’il ne manque des personnes mais cela n’a pas été le cas. Cette année, le président et sa compagne ont voulu innover en proposant, tout au long de l’année, de nouveaux évènements. Les changements sont rarement bien acceptés. C’est un couple vers lequel il faut faire la démarche d’aller pour rompre la glace. Il faut avoir envie d’entrer dans leur univers. Sans cela la communication ne s’établit pas.

Dans seize mois, j’aurai cinquante ans. Il me semble avoir passé une partie de ma vie à aller vers les autres, à chercher à percer les mystères de leur mode de fonctionnement, à chercher à me faire ma place qui se rejouait à chaque nouveau déménagement. J’ai treize déménagement à mon actif. Dans l’exercice de mon métier, inlassablement, je décode, je fouille, j’exhume. Alors, quand je sors de mon cabinet, j’aspire à voir des personnes avec lesquelles la relation est saine et simple, des personnes qui vont aller autant vers moi que j’irai à elle, des personnes qui seront à même de me comprendre comme je les comprends. C’est sans doute la raison qui explique que je me sois toujours si bien entendu avec les enfants et que, tenir un manège en plein soleil alors que j’ai une angine, ne me pèse pas!

En rentrant à la maison, nous avons retrouvé Céleste, Stéphane et Fantôme. Stéphane avait quitté la kermesse pour aider Céleste à réviser son programme de maths en vue des épreuves du brevet des 28 et 29 juin. Stéphane sera en Suède à ces dates. Stéphane est très pédagogue et il réussit là où le jeune professeur de mathématiques ne trouve pas la clé. Céleste a le même esprit que moi. Il lui est impossible de retenir un principe si elle n’en comprend pas le sens. Stéphane parvient à lui expliquer pourquoi le produit de deux nombres négatifs donnent un nombre positif. Fantôme prend le frais sous la table de la terrasse. Le cerisier a donné quelques fruits. Victoire est dans l’Eurostar avec sa marraine. Natalie lui a donné à découvrir Londres dans des conditions idylliques!

Après une douche, je m’enduis de Biafine et sirote un verre de Bandol en écoutant les oiseaux chanter. L’année prochaine, pour la kermesse, si on a besoin de moi, pas de problème, je serai là! « Tout ce qui n’est pas donné ou partagé est perdu ».

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

3 commentaires sur “Chronique d’une presque fin d’année

  1. Oui, c’est vrai Anne-Lorraine : les kermesses de fin d’année scolaire laissent toujours un petit goût de nostalgie! Bravo pour votre investissement.
    Merci pour vos chroniques et bonnes vacances.
    Amicalement,
    Nelly

    1. Chère Nelly, avec retard, je vous remercie pour votre gentil message. J’aime vraiment beaucoup la kermesse. Curieusement, je n’ai aucun souvenir de mes kermesses d’enfant. C’est à se demander si dans nos écoles cela existait! A Saint-Germain-des Prés et à Gy, les membres de l’APE consacrent une énergie folle à l’organisation de cet évènement tant attendu qui commence le samedi soir et s’achève le dimanche soir. Je vous espère en forme et sur le poids de partir voir si ailleurs l’herbe est plus verte. Amicalement, Anne-Lorraine

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