Chronique malouine par une Finistérienne

malouin suis.jpg« Ni Français, ni Breton. Malouin, suis ». Voici la phrase que je trouve inscrite sur un écriteau en bois gris clair accroché sur la porte de l’entrée de l’appartement. Nous venons de poser nos bagages après une longue, longue route, une route aussi longue que lorsque nous allons dans le Finistère. Pour ce grand pont de l’Ascension, les Français et les Anglais, les Japonais et les Hollandais convergent vers la Bretagne comme les bancs de sardines vers Douarnenez à la grande époque des conserveries et du communisme sardinier. A la vue de ce panneau, je me dis que le ton est donné ! Deux jours plus tard, en me plongeant dans le « guide secret de Saint-Malo » écrit par Olivier de la Rivière, je comprends mieux la phrase. Je découvre que le 11 mars 1590, Saint-Malo s’est érigée en République. Saint-Malo, la catholique, refusait de se soumettre à l’autorité du huguenot Henri IV. Dix-huit ans après le massacre des protestants durant la nuit de la Saint Barthélémy, les guerres de religion ensanglantaient notre pays. Paris valant bien une messe, Henri IV abjurait sa foi protestante et se convertissait au catholicisme. Il était couronné en 1594 et Saint-Malo réintégrait la couronne de France mais elle allait conserver les franchises et les libertés de commerce acquises lors de l’indépendance.

Céleste dans le soleil.jpgC’est au XVIème siècle que Saint-Malo entre dans son âge d’or. Les négociants accostent sur les côtes brésiliennes et, quelques années plus tard, les bateaux partent à la découverte des grands bancs de Terre-Neuve. Cela marque le début de la grande aventure de la pêche à la morue. Au dix-huitième siècle, en quatre grandes étapes, Saint-Malo s’agrandit en gagnant sur la mer. En trente-cinq ans de travaux pharaoniques, la ville passe de 15,5 hectares à 24 hectares. C’est 40% gagnés sur la mer ! Nous logeons dans la partie de la ville qui correspond au deuxième accroissement, le quartier de la rue de Toulouse s’ouvrant par la porte de Dinan sur l’océan au sud. Ce quartier est encore surnommé la Californie car les Malouins pensaient que dans les entrepôts des hôtels particuliers les armateurs amassaient des richesses fantastiques.

Bigouden Plage.jpgNi Stéphane ni les enfants ne connaissent l’Ille-et-Vilaine. Avant de croiser ma route, dans un petit port parisien, au pied du Sacré-Cœur, Stéphane n’avait jamais mis les pieds en Bretagne. Il lui aura fallu trois escales par le Morbihan pour s’acclimater à la rudesse du Finistère. Pas facile pour quelqu’un dont les parents vouaient un culte au dieu soleil et à la douceur paisible des petites criques des îles méditerranéennes de s’habituer à la Bretagne du bout du monde, la Bretagne la plus granitique, la plus tellurique, la plus durablement enclavée, la Bretagne des calvaires, des plages immenses, la Bretagne des enfers et des coiffes hautes comme des clochers. Mais, maintenant, il est pris ! Il a succombé au charme mystérieux du Finistère. Il s’est mis à aimer les plages sans fin, les vagues venant se fracasser avec fureur sur les rochers par jour de tempête à la pointe du Raz, les gros nuages noirs roulant dans un ciel furieux, les chevaux d’orgueil galopant à la nuit tombante, montés par des farfadets, les boules bleues des hortensias se nourrissant d’une terre d’ardoise, les langoustines dont la perfection de la cuisson se joue à la minute près, les étals des poissonniers aux mains noueuses comme les troncs des chênes, les tapis d’algues craquant sous la semelle des bottes, l’odeur de l’iode qui enivre, les galettes à la farine de sarrasin, le cidre brut et les marées. Les marées sont toujours un phénomène assez surprenant à observer pour un Méditerranéen. Pour un Breton pur jus, la mer sans marée est une mer stagnante, une mer morte. Le seul cap qu’il n’a pas encore franchi, c’est celui du beurre salé sur les tartines du petit-déjeuner !

plage lumio.jpgLes enfants sont comme moi : la Bretagne est inscrite dans leur ADN. Ils grandissent avec elle et si eux et moi aimons tant les rivages de la Balagne, c’est parce que nous y retrouvons un sentiment de bout du monde, une nature sauvage et une mer souvent creusée par de grandes vagues bouillonnantes. Je ne suis venue qu’une seule fois à Saint-Malo. J’avais dix ans. J’étais élève en CM2 et il s’agissait d’une sortie scolaire de fin d’année depuis Le Mans où nous habitions depuis notre retour de la Martinique. Comme toutes les veilles de départ, j’avais à peine dormi. Je redoutais toujours que ma mère n’oublie de me réveiller alors je ne me laissais pas monter dans le train du sommeil. Mes enfants n’ont jamais eu et n’auront jamais ce problème. Je suis une lève-tôt qui ouvre les yeux, le plus souvent, avant que ne sonne l’alarme de mon portable. Nous étions partis en car et, comme à chaque fois, j’avais eu mal au cœur. De Saint-Malo, je ne conservais que peu de souvenirs hormis les remparts, la couleur très bleue de l’océan et un bain de pied que nous avions pris sur la plage du Môle. Les vagues avaient trempé nos pantalons jusqu’aux cuisses et je n’avais pas oublié cette sensation très désagréable de la toile du jean qui sèche et, avec le sel, rétrécit et comprime les jambes.

clown malouin.jpgStéphane avait choisi, en mars, avec les enfants, un pied à terre, rue Feydeau, à l’intérieur des remparts, non loin de la plage du Môle, de la piscine naturelle dont l’eau de mer se renouvelle à la faveur des marées, du fort du Petit-Bé et du tombeau du père du romantisme français, le torturé et fougueux François-René de Châteaubriand dont Victoire a récemment découvert la vie en bande dessinée. Dans la cour de l’hôtel particulier découpé en appartements, nous sommes accueillis par une étrange vision, vision plutôt angoissante qui m’a rappelé un épisode de « Madame Colombo » rôle tenue par l’une des trois « drôles de dames » qui nous avait, ma sœur et moi, durablement terrifié : une tête de clown à la perruque mauve dépassant de la fenêtre d’une sorte de cagibis en bois blanc.

noeuds marins.jpgL’appartement est très agréable, incroyablement lumineux alors que les fenêtres du salon donnent sur les remparts. Les enfants dorment à l’étage dans une grande chambre et des rideaux permettent de s’isoler si on le souhaite. On trouve dans cet appartement ce qu’on trouve dans tout intérieur breton : cadre avec des nœuds marins, hublots, coquillages, mouettes, nécessaire pour décortiquer tous les coquillages et les crabes de la création atlantique, épuisette, seau et pelle. Les grandes marées vont attirer les pêcheurs à pied qui iront creuser le sable, à marée basse, pour y trouver palourdes, praires et coques. Je ne trouverai qu’une malheureuse coque mais laisserai dans le sable mouillé hérissé de cadavres de coquillages une partie de la peau de la plante de mes pieds ! La peau de mes pieds est la seule partie de mon corps à laquelle j’accepte de sacrifier quelques minutes de mon temps. Cet entretien quotidien est lié à une phrase prononcée par l’un de mes amis dont la fausse misogynie puise ses racines dans la lecture assidue de l’œuvre de Sacha Guitry. Cet ami m’avait dit que les femmes dont les plantes des pieds étaient rugueuses coûtaient chères en collants à leur mari…Maintenant mes pieds feraient bondir d’horreur une podologue !

quatuor remparts.jpgLa nuit est presque tombée quand nous prenons d’assaut l’un des nombreux escaliers qui dessert les remparts. Le ciel jette des éclats roses et orangés sur la mer et le sable. Les enfants sont ravis de découvrir la piscine et le plongeoir. Fantôme, lui, hume avec délice tous les pipis laissés par ses congénères. Cela le change de son océan céréalier, de la rosée des petits matins encore un peu frais. Pendant notre séjour, nous alternons découverte de la ville le matin et plage l’après-midi. De mémoire de demie bretonne, je n’ai jamais connu une telle chaleur ! Dès le jeudi, tous les enfants entrent dans l’eau sans sourciller, une eau à 14° et ils y passent de longs moments entre deux sauts depuis le plongeoir. Le premier jour, écrasée par la chaleur, je n’arrive pas à les imiter. Je suis trop fatiguée pour entrer dans une eau aussi froide. Même en Balagne, les premiers jours, j’ai le souffle coupé et le cœur qui s’accélère quand je nage. Signes d’épuisement. Mais, le vendredi, je suis décidée et je réussi à nager quarante-cinq minutes dans l’eau. Il faut dire que la température de l’eau anesthésie le corps. Après, on peut tranquillement, sur sa serviette, passer en mode « décongélation » et endurer la morsure du soleil.

Surcouf-roi-des-corsaires.jpgDans Saint-Malo, en fin de journée, à la faveur de ce long pont de l’Ascension, les badauds, le plus souvent vanille-fraise après quelques heures d’exposition au soleil, sont si nombreux dans les ruelles que cela en devient oppressant. Mais, dans certaines rues, on parvient à retrouver du calme. C’est dans la rue des Cordiers que je pousse la porte de la galerie de Kiki La Peste.

kiki la peste.jpgElle expose des toiles et des bijoux. Il me semble avoir reconnu l’artiste à laquelle nous avions acheté dans la ville close de Concarneau un tableau pour notre nièce, Margot, toile qui avait voyagé jusqu’à Los Angeles. Kiki, de son vraie prénom, Christelle, est une ancienne parisienne ayant voyagé eu gré de ses amours. Nous pourrions refaire le monde mais le temps passe. Les enfants nous attendent pour que nous allions tous ensemble dîner au restaurant. Le samedi, nous décidons de quitter la ville des corsaires, les aristocrates des mers qui, contrairement aux pirates et aux flibustiers, étaient des marins faisant partie de l’équipage d’un navire armé par le roi. En temps de guerre, ils étaient autorisés à attaquer tous les bateaux ennemis. Leur objectif principal consistait à couper les voies maritimes commerciales. Le Malouin Robert Surcouf oeuvra de longues années pour couper la route des Indes aux navires anglais.

plateau d'huitres.jpgNous laissons les corsaires et prenons la route pour Cancale qui rime avec huîtres plates, huîtres creuses, Daniel de La Touche, fondateur de la ville de Sao Luis, dans le Maranhao, au Brésil au dix-septième siècle, Olivier Roellinger et ses épices et quartier de la Houle dans lequel vivaient les familles des terre-neuvas, ces pêcheurs qui partaient au large du Canada, puis de l’Islande. Ces longues pêches laissaient dans leurs filets beaucoup de veuves et d’orphelins. En me plongeant, l’an dernier, avec passion, dans la lecture du roman de Catherine Poulain « le grand marin », il m’a semblé toucher du doigt la réalité de la vie des pêcheurs, une vie dont la dureté d’une nuit était adoucie par la poésie d’une aube naissante sur l’océan.

Cancale emeraude.jpgA Cancale, la mer est couleur émeraude. Ciel et nuages s’y reflètent. L’océan se retire. Les bateaux reposent sagement couchés sur le flanc. La marée basse découvre un immense plateau d’huîtres envasées. Le Mont Saint-Michel se dresse fièrement quelques quatre-vingt kilomètres plus loin. On dirait un mirage. Au bout du quai, des hommes et des femmes dégustent des huîtres à des tables en bois. Plus de cent millions d’huîtres plates sauvages étant extraites chaque année de la baie, Louis XIV prend en 1787 une ordonnance pour réglementer le dragage de manière à éviter l’épuisement du gisement naturel.

trio plage du môle.jpgNous ne dégusterons pas d’huîtres. Il fait trop chaud. Toutes les terrasses des restaurants donnent sur la route principale et des véhicules y roulent en file indienne. Nous revenons sur nos pas et découvrons dans le quartier de la houle, à l’abri du bruit et du soleil, un tout petit restaurant tenu par une musicienne, chanteuse, ancienne universitaire sémiologue, de souche lorraine, Agnès. C’est une femme charmante dont les trois enfants ont dix ans de plus que les nôtres. Elle chante sous le nom d’Ann Yes. Elle a beaucoup de talent. La conversation s’engage à bâtons rompus entre une galette œuf/fromage, une assiette de charcuterie et quelques bolées de cidre brut. Les enfants m’adressent des regards suppliants. Stéphane s’y met aussi. Agnès et moi aurions besoin de plusieurs jours et de plusieurs nuits pour mener à bien notre échange. Alors que je la quitte, les enfants, Stéphane et Fantôme sont déjà loin. La marée remonte. C’est sur la plage du Môle, adossés au mur chauffé par le soleil, autour d’un pique-nique, que nous vivons nos derniers instants à Saint-Malo. En ces jours de grandes marées, la mer remonte très vite. La plage diminue. Les vagues menacent les chevilles des enfants. Le fort du Petit-Bé et le tombeau de Chateaubriand sont à nouveau coupés du continent.

AL cour Pont.jpgCombien de fois ai-je entendu ma mère me comparer à Chateaubriand dont il lui semblait que j’avais les excès, les mêmes tempêtes, les mêmes tourments, les mêmes élans romantiques et la même passion pour la violence des éléments déchaînés ? Des centaines de fois ! Alors, je termine ma chronique malouine sur un extrait très connu de ses fameuses « mémoires d’outre-tombe ».

J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris: on m’a souvent conté ces détails; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées.

 

AL et F Saint Malo.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: je vous rappelle qu’au 30 mai, le blog du Courrier International sera fermé et que, dés maintenant, vous pouvez me suivre sur horscadre.ovh

4 commentaires sur “Chronique malouine par une Finistérienne

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