En juillet, déjà, à la fin de leurs vacances en Balagne, numéro un avait fait la liste des petits camarades qu’elle voulait inviter pour son neuvième anniversaire. D’une écriture appliquée, elle avait inscrit, sur une feuille à carreaux, arrachée à un cahier de brouillon, les noms de ses amis. Sur la liste, en plus des amis datant de la première année de l’école maternelle, deux, plus anciens, de l’époque crèche, une petite fille arrivée en cours d’année de CE1 et la grande amie de numéro deux. Elle avait même pensé à un ami pour son petit frère. Numéro un avait eu à cœur d’inviter des garçons qui s’entendent bien entre eux et avait écarté ceux qui avaient gâché les épreuves du jeu de piste que sa maman avait mis tant de temps à imaginer pour ses sept ans.
La maman avait plié la liste et l’avait religieusement rangée dans son portefeuille. A leur retour de vacances, elle l’avait sortie de son sac, dépliée et accrochée avec une pince à linge à une grande corde que le papa avait eu la bonne idée de suspendre au-dessus de l’évier. Il avait imaginé cette installation un matin où il en avait eu assez de voir s’accumuler mille et un pense-bêtes sur le plan de travail et cacher, à la vue des grands cuisiniers, les suspensions métalliques accueillant les épices.
Très régulièrement, la petite fille parlait de son anniversaire à venir. Elle imaginait les activités qui pourraient être les leur le jour venu, les gâteaux que sa maman confectionnerait et les décorations qui leur donneraient un air de fête. En revanche, il n’était jamais question de cadeaux. Hormis le renouvellement d’un abonnement à son magazine préféré, une paire de bottines et des vêtements que sa maman l’avait accompagnés choisir et essayer, elle disait ne pas avoir d’envies particulières. Comme à chaque fois, la petite fille avait été heureuse de ce tête à tête avec sa maman et la maman, de son côté, avait été ravie de ce moment privilégié. Leur joie se lisait dans leur sourire, l’expression de leur regard et était contenue dans ces deux mains qui se tenaient tendrement et se communiquaient l’une l’autre une douce chaleur confiante. Dans la boutique, la petite fille avait mis beaucoup de temps à se décider. Elle avait essayé plusieurs choses avant de trouver son bonheur. En rentrant à la maison, la petite fille avait montré à sa sœur le contenu du sac. Numéro deux avait approuvé les choix de sa sœur. Elle était heureuse pour elle. La cadette avait élaboré elle-même un calendrier uniquement en vue des neuf ans de sa grande sœur. Elle l’avait scotché sur la porte de sa chambre et, tous les matins, elle cochait les cases de ce calendrier éphémère qui n’allait pas au-delà de la date du 15 septembre.
Le 14 septembre, on était à la veille du grand jour et cette année, pour la première fois, la petite fille organisait sa journée d’anniversaire exactement le jour de sa naissance. En éteignant sa lumière, la maman avait très fortement espéré qu’il fasse beau et même assez chaud pour que les enfants puissent se baigner, chose qu’ils attendaient tous. Comme à chaque fois, elle s’était rappelée les quelques heures qui avaient précédé la venue au monde de son premier enfant avant de revivre sa naissance. Elle n’oublierait jamais combien sa petite fille lui avait semblé longue et rose, la chaleur qui régnait dans les chambres de la maternité en cette fin d’été caniculaire durant lequel tant de personnes âgées devaient tragiquement mourir. Dés le réveil, dans la maison, flottait un agréable parfum gourmand. La veille, la maman avait confectionné les deux gâteaux commandés par la grande fille : un gâteau au chocolat « croustillant sur le dessus et mou à l’intérieur » et un gâteau marbré « avec de jolis dessins ». Le fondant au chocolat était impossible à démouler, preuve qu’il était « mou à l’intérieur ». Elle n’avait pas insisté et en avait décoré le dessus avec des dizaines de pastilles colorées. Elle avait choisi des bougies traditionnelles et non pas ces bougies qui s’allument encore et encore. Au début, cela amuse les enfants. Ensuite, cela les exaspère ! En revanche, elle n’avait pas oublié les fontaines lumineuses que, dans la branche maternelle de son chêne généalogique, on n’avait jamais appelé autrement que « WunderKerzen ».
Ce matin-là, un peu avant neuf heures et demie, un papa et son trio avaient quitté la maison pour le poney-club et la maman avait accueilli, dans son cabinet, un patient dans l’impossibilité de venir travailler un autre jour de la semaine. Cela n’était pas vraiment pratique pour l’organisation familiale et cela durerait certainement jusqu’aux vacances de la Toussaint mais elle avait, en quelques instants, fermé son esprit à tout ceci pour ne plus penser qu’à son patient et lui offrir la meilleure des séances de sophrologie. A onze heures et demie, le patient partait laissant derrière lui l’odeur de son parfum et les pneus de la voiture paternelle crissaient sur les gravillons du parking. L’héroïne du jour portait dans ses bras le cadeau de sa mamie et de son papi qu’on avait été chercher à la Poste. Numéro deux tenait dans ses mains une nouvelle paire de baskets pour le gymnase, une ravissante veste avec faux mais très doux col de fourrure et numéro trois une paire de chaussures en prévision de l’entrée dans l’automne. On avait déjeuné « vite fait sur le gaz », selon l’expression d’un grand-père n’ayant connu aucun de ses cinq petits-enfants, d’un roboratif plat de saucisses aux lentilles et on avait mis les dernières touches à la préparation de l’anniversaire.
A 14h30, tous les enfants arrivaient soit quatre garçons et sept filles. Comme il faisait beau et de plus en plus chaud, la bande avait pu largement profiter du jardin. Tandis que certains sautaient dans le trampoline, d’autres se balançaient à qui mieux mieux dans le hamac rapporté de Guyane, à l’ombre bienfaisante du prunus, et d’autres encore revisitaient, depuis le portique, certaines des épreuves olympiques de gymnastique. L’après-midi était passée très vite. Les parents n’avaient pas hésité à donner de leur personne dans une partie de passe à dix âprement disputée.
Ensuite, la maman avait disposé sur la table de la terrasse toute la collection de chapeaux de la maison dont certaines pièces tout à fait improbables ou désormais introuvables illustrent une certaine originalité parentale et, selon un oncle et parrain, la non croyance totale que le ridicule tue ! Les enfants devaient en choisir un, avancer jusqu’au magnolia, s’immobiliser dans la pause de leur choix pour y être photographié par un papa ayant sorti ses appareil, retourner à la table pour changer de couvre-chef et revenir pour une nouvelle photo. Cette séance photos a particulièrement amusé les enfants et, après avoir soufflé les neuf bougies du gâteau d’anniversaire, ils découvraient les clichés sur l’écran d’ordinateur du photographe qui, le soir même, les envoyaient par mails aux parents.
Les enfants se sont aussi follement amusés au jeu de la pomme. Pour celles et ceux qui n’ont pas été guides ou n’ont pas fréquenté de colonies de vacances dans leur folle jeunesse, le jeu de la pomme est très simple. Il consiste à placer une pomme dans une bassine remplie d’eau. Alors qu’il a les mains croisées dans le dos, le joueur doit essayer d’attraper la pomme. A première vue, cela peut sembler facile mais cela ne l’est pas et on ne gagne pas sans s’être copieusement mouillé. Le secret consiste à bloquer la pomme au fond de la bassine. Une fois qu’elle est immobilisée, on peut arriver à la saisir avec les dents ! Les ravissantes petites reines des reinettes n’avaient pas de queue. Elles étaient difficiles à saisir ! Entre deux joueurs et dans un souci d’hygiène, l’eau de la bassine était changée. La pomme sauvée des eaux était ou mangée par celui qui ne voulait plus jouer ou conservée pour un nouveau passage.
Comme ils étaient déjà amplement mouillés, les parents ont laissé les enfants prendre d’assaut la piscine et s’amuser à tenir en équilibre sur le grand matelas acheté, par le passé, pour servir de couchage d’appoint. Quand, vers 18 heures, les premiers parents sont revenus chercher leur progéniture, les filles étaient encore en maillots de bain, étendues sur des serviettes, dans les rayons du soleil et elles décoraient des silhouettes avec l’une des boites créatives offertes à numéro un. Les garçons jouaient dans la piscine. Des papiers de bonbons donnaient un effet jachère fleurie à l’herbe desséchée et une maman de deux, tranquillement installée devant une tasse de café et une tranche de gâteau au chocolat, semblait se demander où certains parents trouvaient l’énergie folle de se transformer en super animateurs pour un groupe de quinze enfants pas toujours facile à canaliser !
A sept heures passées, la dernière maman repartait avec ses deux enfants qui faisaient semblant de ne pas avoir compris qu’il était temps de rentrer et cela rappelait à la maman de trois toutes ces heures passées, à la fin des dîners, dans les cuisines ou les entrées, parce qu’on n’avait pas envie de se quitter.
Quand, le soir venu, elle s’est penchée au-dessus du lit de numéro un pour l’embrasser, cette dernière, heureuse, vraiment heureuse, lui a dit : « c’est bête, maman, on a pas eu le temps de fabriquer des balles de jonglage avec la farine ni de peindre sur les pots en verre ». « Ce sera pour une prochaine fois » lui a répondu sa maman qui, chaque année et trois fois par an, se demande comment son mari et elle pourront amuser des enfants qui ne veulent pas délocaliser leurs anniversaires !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner