Depuis de longs mois, la presse anglo-saxonne s’amuse à piétiner notre hexagone, à arracher des plumes à notre emblème national, à fouler du pied nos trois couleurs. On appelle cela le french bashing. Alors, en qualité de Française, je ne peux pas faire autrement que de voler au secours de mon pays que j’aime, auquel je suis résolument attachée et cela avant même d’avoir entrepris un tour du monde. Tant il est vrai que, parfois, il faut partir, contempler de loin ce qu’on laisse, pour mesurer la chance qui est nôtre d’avoir vu le jour en France. Mon pays, je peux me targuer de le bien connaître car depuis que je suis née, à Metz, dans le département de la Moselle, j’ai beaucoup roulé ma bosse.
Avant de décider de poser mes valises dans le Loiret, dans une campagne austère, voire hostile, où les champs s’unissent à la ligne d’horizon devenant, au lever ou au coucher du soleil, cet écran sans limites sur lequel se projette la silhouette des chevreuils, j’ai vécu à Paris, en Martinique, dans la Sarthe (en ville et à la campagne), en Charente-Maritime, dans le Tarn (en ville et à la campagne, bis repetita), à Paris, douze ans, dans la Loire, une année, et dans le Gard, quatre ans. Par ailleurs, le sang qui arrose mes veines est mélangé. Côté maternel, le Gard et le Queyras rencontrent la Lorraine et côté paternel la Bretagne du Sud règne en maître presqu’absolu dans le chêne généalogique car, avant la Révolution, des ancêtres sont arrivés d’Allemagne. Ils ont vécu dans le Faubourg Saint-Antoine avant que l’un des leurs parte au pays des farfadets et de la légende du roi Arthur pour faire tomber quelques têtes au moment de la terreur. J’aime autant marcher contre le vent sur la grande plage de la Torche, lutter contre les assauts du Mistral le long du Rhône bouillonnant qu’arriver, par un sentier escarpé, à une estive au-dessus de Saint-Véran.
Depuis longtemps, déjà, je me promets de retourner à Metz, où j’ai vu le jour un 27 octobre 1969. Ma mère m’a souvent raconté que la veille de ma naissance, elle avait fait une grande promenade, que c’était une magnifique journée d’automne. J’aimerais revoir la maison où nous avons vécu, découvrir la plaque qui a été déposée en mémoire de notre grand-père mort à Mauthausen. Il avait été élève au Lycée Fabert. Le Proviseur, un enfant du Midi, du Gard rhodanien, père de son meilleur ami, deviendrait dans quelques années son beau-père. J’aimerais revoir celle qui était une toute jeune femme à l’époque, doit être grand-mère maintenant et a veillé sur moi pendant trois ans. Elle s’appelait Evelyne et la quitter a été très violent comme fut une violence pour ma sœur de se séparer de Marie-Denise, sa maman de substitution à la Martinique.
Donc, je crois pouvoir dire que je connais notre pays, sa géographie, ses départements, ses mentalités, les traits dominants qui caractérisent un Français. Notre peuple est souvent présenté comme celui qui dit toujours non par principe. On nous dit impossibles, incontrôlables, versatiles, grincheux. Quand notre équipe de rugby dispute le tournoi des six nations ou rencontre une équipe de l’hémisphère sud, les chroniqueurs sportifs disent de nos joueurs qu’ils sont capables du pire comme du meilleur. La France est un paradis si on sait le contempler comme tel, ce paradis que convoitait Hitler et ses généraux, ce pays dont on a pensé faire, au moment de la construction européenne, une terre dédiée au tourisme donc au service mais, et c’est là que le bât blesse, le Français n’aime pas trop se mettre au service des autres car il est souvent doté d’un orgueil pas toujours bien placé. Le Français aime la Révolution, descendre dans la rue. Il n’y a qu’en France, à cette époque, qu’on a osé tuer le roi, souverain de droit divin.
Pendant notre long voyage, mon mari et moi avions appris à reconnaître nos compatriotes à deux choses. La première, ils critiquaient, à peine arrivés à destination, tout ce qui les entourait disant qu’en France tout était mieux. La seconde, ils étaient les seuls à évoquer d’anciens plats délicieux comme la blanquette de veau de grand-mère, les pieds paquets de l’oncle Maurice, la tarte tatin de maman alors qu’ils se régalaient de mets dont l’exotisme les faisait rêver quand ils tournaient les pages des revues de voyage.
Notre hexagone, à la croisée des chemins, traversé par des peuples divers, est difficile à saisir dans sa globalité. Il est si amusant de constater combien un breton peut présenter avec un anglais des traits communs et un provençal avec un italien. La France est une mosaïque qui a mis des siècles à se construire une unité autour d’une identité. Fernand Braudel, dans son introduction de « l’identité de la France » raconte les visages de la France par les différents toits des maisons de nos régions. C’est magique !
En France, on ne nous a pas appris à nous satisfaire de ce que nous possédons et nous voulons toujours davantage. On ne sait pas être dans l’admiration respectueuse pour celui réussit dans la vie. C’est plus facile de céder à l’envie, de se laisser aller à la jalousie plutôt que d’essayer de faire comme lui. Le rayonnement de la France sur la scène internationale a été longtemps très important. Notre langue était celle des échanges diplomatiques. Dans un certain milieu, tout le monde parlait le Français, langue de la culture, des lumières, des cours européennes. Même la reine d’Angleterre sait le Français mais elle se garde de le parler !
La France est pays de chercheurs, d’entrepreneurs innovants, d’artistes, de gens courageux et volontaires et non pas un ramassis de paresseux préférant vivre des subsides versés par un état-providence. La France est un pays qui a su, durablement, intégrer par le biais de l’école, des enfants venant du monde entier. L’intégration est devenue plus difficile mais la plupart des enseignants, avec de moins en moins de moyens, oeuvrent sans relâche pour que TOUS les enfants aient des perspectives et trouvent leur place dans la France d’aujourd’hui. Hier, deux évènements ont redonné un peu de « baume au cœur » comme dirait un ancien international de rugby commentant un match France/Angleterre. Les Daft Punk, les casqués les plus célèbres au monde après Jeanne d’Arc, ont été sacrés à cinq reprises pendant la cérémonie des Grammy Awards à Los Angeles et, dans la salle, tout le monde dansait sur le mythique et planétaire « get lucky ». L’équipe de handball emportait haut la main le titre de champion d’Europe dans un match qui les opposait au Danemark. Maintenant, on espère que dans les jours à venir les joueurs n’auront pas la très mauvaise idée d’écorner méchamment leur image en démontant un plateau de télévision !
En dépit des attaques répétées que nous subissons, certaines étant, par ailleurs, tout à fait recevables (je pense à la très médiocre qualité du service dans les restaurants, les hôtels, les boutiques), la France reste un pays où on possède un vrai art de vivre, où les femmes, enviées des américaines pour leur élégance, leur capacité à assumer leur âge, arrivent à travailler tout en ayant des enfants qu’elles élèvent plutôt bien (n’en déplaise aux observateurs allemands), où, grâce à notre régime de sécurité sociale emprunté à l’Allemagne, on peut quitter un hôpital sans verser un centime après avoir bénéficié d’une médecine de qualité, où des légions de bénévoles donnent de leur temps pour les autres.
Notre pays est incroyable. Il suffit seulement de le regarder tel qu’en lui-même, de se donner les moyens d’en profiter, de cesser de penser qu’ailleurs l’herbe est plus verte. Si seulement, nous pouvions être un peu moins critiques et si ceux qui ont des idées, des projets, des entreprises à faire vivre, des emplois à créer, pouvaient être moins pris à la gorge, alors la France deviendrait vraiment un paradis.
Ne cédons pas à la morosité ambiante ! Arrêtons de nous lamenter ! Soyons un peu plus breton que marseillais ! Continuons à aller de l’avant pour nous, pour nos enfants et nos petits-enfants ! Bref, « get lucky » comme chantent les Daft Punk et n’oublions pas la morale de la fable de Jean de La Fontaine « le chartier embourbé » : « aide-toi, le Ciel t’aidera ».
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
« Il est évident qu’une nation en train de se faire, ou de se défaire, n’est pas un personnage simple, « une personne » comme disait poétiquement Michelet. Elle est une multitude de réalités, d’êtres vivants que saisit mal le fil d’une histoire chronologique à la petite journée, à la petite semaine, à la petite année. Se cantonner dans le temps bref, c’est le défaut mignon de l’histoire-récit, de ce « feuilleton de l’histoire de France », comme dit Jacques Bloch-Morhange, que nous avons appris par cœur, enfants, et non sans émoi, dans les pages inoubliables du Malet-Isaac. Mais pour qui n’est plus un enfant, c’est une autre forme d’histoire, inscrite dans de plus longues durées qui permet de dégager les invraisemblables accumulations, les amalgames et les surprenantes répétitions du temps vécu, les responsabilités énormes d’une histoire multiséculaire, masse fantastique qui porte en elle-même un héritage toujours vivant, le plus souvent inconscient, et que l’histoire profonde découvre, à la façon dont la psychanalyse, hier, a révélé les flux de l’inconscient. » Fernand Braudel.
En voilà un bien bel hommage ! Resituer les choses dans leur contexte ne fait pas de mal, bien au contraire. Merci beaucoup pour cet écrit qui nous éclaire un peu plus.
Merci. Rares sont ceux et celles qui positivent. Le cerveau reptilien n’est-il pas d’abord empathie ? Les français ne sont-ils pas moins râleurs qu’ils ne (se) le montrent ? La profondeur des sentiments est, c’est vrai Anne-Lorraine, bien enfouie. Aidons-les à lâcher-prise, à avoir confiance. Nous aimons prendre le risque de nous montrer sensibles. Sensitifs, aussi. L’intuition des Français n’est-elle pas ce que le cassoulet est au rugby ? … Au rang des fondamentaux de la vie, comme une perception bizarre que nous sommes au beau milieu d’un tout, sans même nous y trouver en son centre. Nous avons une vision. Du monde, de la vie. D’autres ont la leur. Ainsi va, la vie. Et nos combats, qui nous construisent, aussi. Merci, Anne-Lorraine. A vous lire. François l’Français 😉