« Mais, tu as vu à quoi je ressemble ? Ce n’est pas possible ! Elles n’en font jamais qu’à leur tête ! Elles n’écoutent rien ! C’est à croire qu’elles sont toutes sadiques et qu’elles veulent juste te rendre affreuses, te faire te sentir encore plus mal ». Début de pleurs. « Vraiment, je ressemble à un caniche nain ! ». Elle vous tourne le dos. Une porte qui claque. C’est toujours mieux qu’une claque qui porte. C’est la porte de la salle de bains. Des bruits d’eau. Elle se lave les cheveux. Elle en ressort apaisée, la tête enrubannée dans une serviette. Le mascara ne dégouline plus. La crise est passée. Vous savez déjà qu’elle se renouvellera dans un mois.
Tous, vous avez assisté, impuissants, décontenancés et, parfois, amusés, devant le résultat, après un rendez-vous chez le coiffeur, au désarroi de votre femme, de votre mère ou de votre sœur si vos parents ont eu la bonne idée de vous en donner une. Pour vous, c’est d’autant plus surprenant, qu’en général, cela fait des jours que vous l’entendez se lamenter devant sa glace et chercher votre approbation. Elle, de trouver qu’elle ne ressemble plus à rien, qu’elle ne sait plus quoi faire de ses cheveux, que, vraiment, c’est la longueur bâtarde ce mi-long. Des cheveux trop courts pour être attachés, trop longs, déjà, pour se discipliner autour de la dernière coupe. Elle peste. Elle passe de plus en plus de temps dans la salle de bains et en sort, jour après jour, plus exaspérée. De très méchante humeur, elle n’aura plus qu’à faire disparaître les cheveux et la coupe avec, ou du moins ce qu’il en reste, sous l’un ou l’autre des objets qui suivent.
Là, c’était le problème de la coupe sur lequel vient s’en greffer un autre : celui de la couleur. Rien à faire, les années sont là. Elle n’est plus la cible des publicitaires qui vantent le mérité des crèmes pour peau encore jeune, mais ayant fait leur entrée triomphale dans la cour des trentenaires. Parce que, ELLE, elle a 40 ans ! Vous lui dîtes que ce n’est pas grave, qu’en plus, elle ne les a pas encore et que, vraiment, vous l’aimez telle qu’elle est. Vous en êtes presque à vous prendre pour Colin Firth mais votre Bridget Jones ne vous écoute pas. Elle songe que, parfois, vous dîtes les choses sans les penser, pour avoir la paix et arrêter de la voir pleurer au-dessus de sa salade. Elle, elle ne voit que ça, ses cheveux blancs ou argentés. Non, ils ne sont pas gris ! Elle sait comment, en dix ans, ils ont gagné du terrain comme ses jolies rides d’expression qui les accompagnent. Ils signent son histoire personnelle et votre histoire commune. Elle les trouve d’une élégance folle chez ses amies mais sur elle, elle n’est pas sûre qu’ils fassent aussi chic. Comme quoi, c’est toujours la même chanson : c’est dans la tête que cela se passe. Si elle était persuadée d’être belle, avec ces îlots argentés, dans ses cheveux vaguement châtain cendrés, elle le serait. Ce n’est pas plus compliqué ! Si, quand même, ça l’est car pour l’en dissuader totalement, il y a sa mère, votre adorable belle-mère qui vous rend mille et un services comme celui de veiller sur vos enfants mais qui lui répète qu’elle se doit de penser à vos enfants, justement, qui sont jeunes et qui n’aimeraient pas avoir une maman à cheveux neige.
En même temps, et pas seulement pour faire la nique à jolie maman, elle n’est pas du tout certaine d’avoir envie de mettre le doigt dans l’engrenage infernal des couleurs et autres balayages qui ont le pouvoir diabolique, quand les charmes chimiques n’opèrent plus, de rendre encore plus visible la ligne de démarcation entre naturel et artificiel. Finalement, elle se dit que si elle avait fait comme la plupart de ses amies, elle serait déjà une baroudeuse du salon de coiffure car elle aurait, entre 20 et 30 ans, expérimenté toute la palette possible des couleurs qui ne sont pas, et de moins en moins, des décolorations qui transforment les cheveux en ces petites herbes desséchées par le soleil, qui poussent sur les plateaux en moyenne montagne, mais des colorations qui s’en vont de shampooing en shampooing.
Si votre blogueuse a habité une petite ville gardoise comptant plus de salons de coiffure que de cafés (il faut bien que les hommes s’occupent tandis que leurs femmes s’offrent un voyage capillaire avec lecture de la presse people et heure psy avec le sculpteur et peintre des cheveux), elle doit confesser une sainte horreur de ces lieux. D’abord, il y a les blouses affreuses et souvent faites dans des matériaux synthétiques. Ensuite, l’attente avec des catalogues représentant des photos de filles exhibant fièrement leur coupe. Le café ou le thé qu’on vous apporte pour vous faire patienter. Puis, vient l’apprenti coiffeur qui se fait la main aux shampooings. Il fait glisser une serviette autour de
votre cou et vous fait basculer la tête au-dessus du lavabo. Le premier contact avec le dit lavabo est très froid. Les fauteuils sont tout à fait inconfortables et on est à deux doigts du torticolis quand on en sort. L’apprenti coiffeur pose deux questions existentielles : l’une porte sur la nature de vos cheveux qui peuvent être secs, gras, les deux à la fois, rarement normaux et l’autre sur la date de votre dernier shampooing. L’eau est rarement à la bonne température. L’apprenti est plus ou moins doué. Parfois, le shampooing peut se transformer en séance de torture. Le pire, étant le rinçage et l’essorage, surtout quand l’apprenti porte des gants chirurgicaux qui accrochent, tout en crissant, sur toute la longueur des cheveux. Le massage du cuir chevelu n’est pas toujours au programme mais, dans certains cas, on ne saurait s’en plaindre !
Soulagée, elle est installée à un autre fauteuil, enfin confortable. Elle lève les yeux et tombe, nez à nez, avec son image en dix exemplaires, son visage qui se réfléchit dans toutes les grandes glaces du salon de coiffure. Alors, elle s’observe avec l’objectivité d’un entomologiste devant une nouvelle variété de coléoptères. Elle se trouve littéralement affreuse avec ce grand tablier blanc, noué très haut sous le menton. Cela lui rappelle très précisément des photos d’elle en première communiante et ce mini drame qui avait précédé la communion car elle ne voulait rien mettre, ni l’aube immaculée, ni le voile, ni la croix en bois d’olivier. Dans l’allée centrale de la cathédrale du Mans, cette file de jeunes enfants tout blancs lui avait fait penser à un troupeau d’agneaux. Ce n’était pas le sacrement qu’elle rejetait mais la tenue obligatoire et le côté moutonnier de la cérémonie. C’est pour cela qu’elle n’a pas pu être « scout toujours ». Elle aurait été seule et habillée normalement, elle aurait été heureuse de communier pour la toute première fois.
Encore des revues pour passer le temps. A gauche, madame Untel, sorte de Néfertiti empaillée, raconte par le menu sa vie conjugale avec son Toutankhamon de mari. Elle caresse voluptueusement les poils fins de son yorkshire. Sûr, la bête est bonne, elle aussi, pour un toilettage de printemps. A droite, une quinqua qu’on effile à qui mieux mieux et qui est focalisée sur notre garde des Sceaux. On pourrait en déduire que les Européennes sont au cœur de ce long monologue mais non, il ne s’agit que de l’identité du père de Zora. Un peu plus loin, une trentenaire, aussi chic que distante, feuillette les pages d’une revue de voyages tandis que ses mèches de cheveux sont prisonnières de papillotes en aluminium. Une vieille dame vient glisser un pourboire dans la poche de l’apprenti coiffeur. Elle semble ravie. Elle a les cheveux roses tirant sur le violet. La couleur des hortensias qui mettent de la vie tout autour des pardons bretons.
Une coiffeuse s’approche enfin de votre blogueuse et lui demande ce qui lui ferait plaisir tout en faisant passer ses cheveux entre ses doigts pour évaluer leur nature et juger de leur densité. Elle lui dit rapidement qu’elle ne vient que deux fois par an, qu’elle passe dix minutes montre en main dans sa salle de bains, que souvent, c’est même moins, quand son dernier est accroché à l’une de ses jambes, que la deuxième veut la maquiller et que la première l’appelle, avec un rythme très soutenu, depuis le fond de son lit, qu’elle a du perdre, à la faveur de quelques traumas, de trois grossesses et de joies thyroïdiennes japonaises, la moitié d’une chevelure que des coiffeurs, dans une autre vie, s’obstinaient à désépaissir, que les brushings sont totalement exclus, qu’elle n’aime pas les dégradés dont le rendu est toujours impeccable au sortir du salon mais détestable au saut du lit, qu’il ne faut pas lui couper les cheveux trop courts car cela ne lui va pas mais leur conserver assez de longueur pour qu’ils puisent être attachés. Enfin, que ce serait une perte de temps inutile que de chercher à contrarier une raie qui n’aime que l’empire du milieu.
La coiffeuse, qui n’a pas pu placer une seule parole, a compris qu’elle a à faire à une sorte de psycho rigide du cheveu, pas du tout rock’n roll et que le pire serait d’évoquer la présence des cheveux argentés, colonisateurs des tempes. Fine psychologue, elle laisse de côté cette question et se met au travail. Elle ne peut pas s’empêcher, comme à chaque fois, d’arracher à votre blogueuse, le haut des oreilles, en les lissant avec son peigne, pour pouvoir les couper. Les cheveux, pas les oreilles! Ca va vite. Les cheveux tombent. Certains parviennent toujours à s’immiscer entre la blouse et la peau. Ca gratouille. Encore un brushing, le deuxième de l’année, un époussetage avec une brosse souple et l’affaire est dans le sac. Comme la coiffeuse a parfaitement compris les attentes de sa cliente, cette dernière est satisfaite. Elle sacrifie au rite du pourboire qui, si il n’est pas obligatoire, est ici parfaitement mérité et s’en retourne chez elle. Bonheur de cette sensation de vent frais sur la nuque et regain de dynamisme. Il tombe des cordes. Mais, à la différence d’autres, elle ne s’empresse pas de penser que c’est justement parce qu’elle sort de chez le coiffeur ! Rendez-vous dans six mois.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
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