Cette année, pour la première fois depuis longtemps, vos trois enfants ne seront pas dans votre voiture le jour de la rentrée. Vous n’en aurez que deux, les deux plus jeunes, qui, désormais, seront dans la même école. Votre aînée, elle, sera avec son papa qui l’aura conduite au collège, un tout nouveau collège sorti de terre entre l’hiver et le printemps, dans lequel le Principal, ses collaborateurs et toute l’équipe enseignante accueilleront les élèves de 6ième et leurs parents. Les parents seront exceptionnellement autorisés à demeurer dans l’enceinte du collège jusqu’à l’heure d’un petit-déjeuner qui sera partagé à 10 heures. Vous êtes heureuse que votre mari et votre aînée vivent ensemble ce moment. Il vient un peu en réparation d’autres moments qu’ils n’ont pas pu vivre à une époque où la Roumanie et ses châteaux devenus des moulins à vent les séparaient longuement, durement, tristement et où, vous, seule sur le pont d’un navire pris dans la tempête, vous tentiez de garder un cap quand les instruments ne répondaient plus, que seul l’instinct vous guidait. Le vent claquait dans la grande voile. Parfois, il fallait affaler à toute vitesse, virer de bord. Les traversées de nuit étaient longues car il n’y avait personne pour prendre le quart.
Aujourd’hui, les futurs collégiens sont remarquablement bien préparés au petit rite initiatique que représente l’entrée au collège. Les instituteurs de CM2 leur en parlent tout au long de l’année. Ils vont visiter leur nouvel établissement et, parfois, comme cela a été le cas pour votre aînée, le dynamisme de deux enseignantes liées par une amitié façonnée à renfort de répétitions de pièces de théâtre, de décharges d’adrénaline le jour des premières permet aux enfants de se confronter aux futurs élèves de 5ième dans un jeu d’improvisation. Le jour de la rentrée, seuls les élèves de sixième sont accueillis. Les autres collégiens rentrent le lendemain. Si vous vous rappelez votre rentrée à vous, vous pouvez mesurer les changements opérés pour faire en sorte que les enfants, nos enfants, vos petits-enfants se sentent bien.
Dans l’entrée, les cartables sont prêts depuis le retour de Corse. Comme tous les ans, une maman a été acheter seule la plupart des fournitures scolaires et a assisté à des scènes d’hystérie dans les rayons. Les enfants, eux, ont pu choisir agendas, trousse et le nouveau cartable dont l’acquisition s’avérait, cette année, nécessaire. Cela sent le neuf, le propre, l’envie de bien faire. Vous vous rappelez que vos bonnes résolutions n’ont jamais été au-delà de la première semaine de classe. Vous n’avez jamais été au nombre de ces élèves qui tenaient admirablement bien leurs cahiers, dont les pages des livres n’étaient jamais cornées et les gommes blanches comme au premier jour. Non, trois fois non ! Toujours trop vite, l’intérieur de votre cartable prenait des airs d’inventaire à la Prévert. Votre écriture se dégradait. Les feuilles dans vos classeurs étaient rangées en dépit du bon sens. Elles se déchiraient et vous suturiez avec des œillets. Vous ne souligniez pas avec votre stylo quatre couleurs et quand vous souligniez vos traits n’étaient pas droits ! Vous oubliez d’aller à la ligne ou vous sautiez une page, sans qu’on sache pourquoi. Vos doigts étaient couverts d’encre qui bavait sur vos feuilles. Vous décrochiez du cours de maths. Vous ne voyiez pas l’intérêt de décortiquer une poésie, de faire raconter tout et son contraire à un auteur. Seul comptait l’émotion, la sensation, la musique d’un poème, l’envie d’y entrer et de devenir une des filles du feu de Nerval, un promeneur solitaire et, les jours de tristesse, un dormeur du val…
De vos trois enfants, c’est votre petite fille du milieu, numéro deux qui est la plus méticuleuse et, parfois, se désole que les appréciations des maîtres en fin de période sur les bulletins soient toujours les mêmes : « élève sérieuse, très appliquée, méthodique. Esprit rapide, clair, précis ». Elle aimerait aussi, parfois, que les remarques ressemblent à celles qui sont portées sur les bulletins de son aînée : « élève gaie, drôle, joyeuse. Ne change rien ! Conserve ta fraîcheur et…concentre-toi un peu plus ! ». Le petit dernier qui entre en CE2 est, lui, moins méticuleux que sa sœur du milieu mais plus concentré que sa grande sœur. Comme sa sœur du milieu, il veut toujours réussir plutôt que d’apprendre de ses erreurs.
Pour les parents, aussi, c’est la rentrée et encore plus pour tout les fonctionnaires de l’Education Nationale. Comme vous avez enseigné plusieurs années, vous restez dans cette idée que la nouvelle année n’est pas l’année civile mais l’année scolaire. Cela vous va bien ! Vous aussi vous rangez, triez, archivez dans votre maison et dans votre bureau/cabinet. Pour vous, cette année, il y a la rentrée scolaire et la rentrée littéraire. La diffusion de votre recueil de nouvelles « Maintenant qu’on est là » commence dans la région Provence/Alpes/Côte d’azur et ceux qui vous avaient aidés à atteindre le montant de la souscription ont presque tous pris le temps de vous lire et de vous faire part de leurs commentaires. Vous avez été très touchée notamment par une lettre de la mère d’un cousin. S’agissant des personnes qui vous connaissent très bien, mesurent l’importance de ce travail et n’ont pas pris un moment pour vous écrire ce qu’ils en avaient pensé vous vous dîtes que, sans doute, ils sont cernés de proches qui écrivent et sont donc tout à fait noyés sous la quantité de livres. Vous ne pouvez vous empêcher de penser que vous êtes une sorte d’extraterrestre car vous avez toujours eu à cœur de lire dans les plus brefs délais le travail de ceux pour lesquels vous en mesuriez l’importance, comme vous avez été rapide à leur exprimer vos ressentis de la manière la plus délicate possible tant on est à fleur de peau s’agissant d’un travail qu’on a porté en soi si longtemps.
Partant de l’idée qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, je quitte le « vous », le « la maman de trois » pour endosser le « je » et faire ma promotion ! Si vous aimez mes chroniques, appréciez les comédies britanniques douces amères, êtes curieux de savoir ce que ressent une vieille dame souffrant de la maladie d’Alzheimer, une petite fille devant l’indifférence de sa mère fatiguée, un marin breton à la retraite, une prostituée qui accompagne à la gare du Nord sa plus ancienne amie, un jeune homme à l’annonce du décès de son père, un étudiant face à un grand crû de Bourgogne, je vous recommande de vous procurer le recueil en allant directement dans la librairie en ligne du site de mes deux éditrices, deux délicieuses pétroleuses : Marie Coste et Sabrina Tighlit. Toutes deux se sont connues alors qu’elles effectuaient un stage dans une grande maison d’édition à Paris. Ecoeurées par l’approche des auteurs, la manière de travailler, elles ont décidé de mettre en commun leur amour de la littérature et leur belle énergie pour cofonder leur maison au Pradet, dans le Var. Elles l’ont baptisée : Pétroleuses éditions. Je suis heureuse qu’elles aient cru en mon travail et qu’elles m’aient donné la possibilité, grâce au financement participatif, de voir certaines de mes nouvelles rassemblées en un recueil que je n’ai pas voulu gris contrairement aux âmes assassinées du roman de Philippe Claudel dont j’admire l’écriture.
C’est d’ailleurs à lui et à tous ses soleils qui viennent réchauffer ses âmes grises et monsieur Linh que je laisse le mot de la fin : « On sait toujours ce que les autres sont pour nous, mais on ne sait jamais ce que nous sommes pour les autres ».
Une très bonne rentrée à tous, les grands et les petits !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner