Au sujet de la vie à deux, on entend souvent dire deux choses : la première que les couples heureux n’ont pas d’histoire et la seconde que, dans les couples sains, on sait se disputer. Stéphane et moi, comme presque tous les couples qui tentent le pari fou de la vie à deux, dans la durée, avons connu et connaîtrons encore des moments difficiles. Je l’ai déjà écrit plusieurs fois mais lorsque nous avons fait notre journée de préparation au mariage à Vonnas, petit village de l’Ain, non loin de l’endroit où Stéphane et sa sœur, Catherine, ont grandi, nous avions choisi comme image pour symboliser la vie de couple celle d’un homme et d’une femme encordés lors d’une ascension en montagne. C’était une photo en noir et blanc et les deux alpinistes portaient des vêtements d’une autre époque.
Mentalement, nous étions déjà dans la préparation de notre tour du monde qui ferait la part belle à la haute-montagne andine, népalaise et indienne. La vie à deux, dans la durée, est vraiment à l’image d’une ascension. Quand on part à la conquête du sommet, on se sent bien, on est heureux. Le temps est parfait : pas un seul nuage à l’horizon. Et puis, en cours de route, la fatigue peut s’installer. Certains passages sont durs à négocier. On s’arrête. On reprend des forces. On se remet en route. On ne cède pas à l’envie de renoncer et de faire demi-tour. Le sommet ou le col approchent et, parfois, le temps a changé. Le vent s’est levé. Des nuages s’amoncellent au-dessus des montagnes. Mais, quoiqu’il arrive, on est reliés l’un à l’autre par cette corde. On ne s’abandonne pas. On s’épaule. On s’écoute. On se fait confiance. On se fâche. On se pardonne.
Bien sûr, des couples se séparent car ils se sont connus trop jeunes, qu’ils ont grandi de façon trop différente pour que l’équilibre demeure. Il arrive, aussi, que l’un ou l’autre rencontre une personne et en tombe amoureux et que ce nouvel amour soit si fort et beau qu’il conduise à la fin du couple ancien et à la naissance d’un nouveau couple. Pour celui qui subit cet événement, c’est toujours terrible !
Donc, ce dimanche matin, alors que je sortais de notre chambre à mon troisième jour de grippe où Céleste m’avait rejointe car les bruits émis par la respiration de son petit frère au nez bouché l’empêchaient de trouver le sommeil, Stéphane, qui avait dormi à l’étage car je ne voulais pas le contaminer, souhaitait me faire écouter un discours d’Emmanuel Macron. Avant de continuer, il est important que je précise que nous sommes debout aux côtés d’un homme qui nous a redonné foi en l’engagement politique et que Stéphane est membre de « En marche » et assiste quand il le peut aux réunions de notre comité local présidé par un autre Emmanuel, comité local le plus actif de France.
http://www.huffingtonpost.fr/2017/01/28/reveillez-vous-lappel-demmanuel-macron-aux-femmes-pour-que/
Dans cette vidéo, Emmanuel Macron tentait de comprendre pourquoi seulement 15% des femmes françaises étaient prêtes à s’engager en politique. Plus j’entendais Emmanuel Macron parler et plus je sentais monter en moi de la colère et plus j’en voulais à Stéphane qui pensait que j’aurais pu envoyer ma candidature en vue des législatives. Emmanuel Macron passait à côté des vraies raisons qui expliquent que les femmes ne s’engagent pas en politique et, bien sûr, il ménageait son potentiel électorat masculin.
Cher Emmanuel, seule une femme peut vous répondre et je vais vous dire pourquoi si peu de femmes, encore, franchissent le pas d’un engagement politique. Les raisons essentielles tiennent à deux choses : la répartition de l’ego entre les sexes et l’organisation de la vie du couple avec enfants.
Cher Emmanuel, vous n’avez pas pu connaître, de l’intérieur, les complexités d’un couple dans lequel les deux membres travaillent et ont des enfants. Votre femme est plus âgée que vous et lorsque vous vous êtes rencontrés ses enfants avaient votre âge. Cela veut dire que vous aimez et êtes aimé d’une femme qui avait tout loisir, son divorce prononcé et votre mariage célébré, de s’engager auprès de vous et de devenir votre plus fidèle alliée.
L’arrivée des enfants au sein d’un couple est, pour reprendre un mot que vous affectionnez, une vraie REVOLUTION ! Les cartes sont redistribuées et, encore aujourd’hui, le plus souvent, ce sont les femmes, en qualité de mères, qui assument le quotidien des enfants. Ce sont elles qui prennent des congés parentaux, qui nourrissent les enfants, les conduisent chez les médecins, aux activités extra-scolaires, se lèvent la nuit quand ils sont malades, mouillent leurs draps, font des cauchemars, veillent aux fournitures scolaires, aux mots dans les cahiers, aux pique-niques en vue des sorties scolaires, aux invitations pour les anniversaires et aux listes écrites au Père-Noël.
J’ai presque dix ans de plus que vous, cher Emmanuel, et, franchement, quand j’entends mes amies, les amies de mes amies et toutes ces femmes qui sont mes patientes qui ont entre 20 et 80 ans, je suis triste de constater que les choses sont si lentes à changer. Je me rappelle avoir été bouleversée en entendant, dans un café, une jeune femme raconter, en pleurant, à ses amis, qu’elle avait raté un entretien professionnel car, toute la nuit, elle avait tenu dans ses bras son petit garçon qui avait une otite et ne pouvait pas trouver le sommeil quand il était allongé. Son mari savait les enjeux pour elle de cet entretien mais il ne lui avait pas proposé de la relayer. Cela se passe de commentaires ! Quand les enfants sont hospitalisés, ce sont le plus souvent les mamans qui restent avec eux et tentent de dormir sur des lits de fortune entre deux passages d’infirmières dont la délicatesse est rarement au programme.
Quand j’entends un patient d’une trentaine d’années dont la compagne et lui ont eu deux jeunes enfants rapprochés très souvent malades et qui est malheureux que leur vie sexuelle soit devenue existante, je l’aide à prendre la mesure de la fatigue d’une maman qui travaille, se lève presque toutes les nuits pour s’occuper des enfants, à des beaux-parents qui ne veulent pas assumer des « petits » car cela les bouscule trop dans leur quotidien et des parents vivant à quatre heures de route et je l’aide à réfléchir à la manière dont il pourrait l’aider à se reposer, à retrouver du temps pour elle et à redevenir une femme quand elle n’est plus qu’une mère.
Cher Emmanuel, les femmes sont tellement engagées jour et nuit dans leur travail, leur vie de famille, les soins apportés à la maison, les associations, les conseils de classe, les conseils d’école, les paroisses et elles sont si fatiguées qu’ajouter un engagement politique serait au –dessus de leurs forces. Je crois que les femmes de ma génération ont atteint un degré de fatigue tant physique et moral qu’on ne soupçonne pas. Trop de pression ! Trop d’attente !
Cher Emmanuel, je ne vous parle pas de femmes qui, par leur niveau de vie liée à un métier très chronophage, ont des jeunes filles au pair pour les remplacer parfois matin et soir. Ces femmes-là, contrairement aux secondes, ont très vite accepté l’idée que devenir une mère ne serait pas un frein à leur épanouissement de femme. Elles ne sont pas dans la culpabilité et, sans soute, ont renoncé (excellente chose) à la volonté de tout maîtriser. Je vous parle de femmes dont les rémunérations ne leur permettent pas de se faire assister au quotidien et qui, dans le meilleur des cas, peuvent, parfois, se reposer sur leurs parents quand ces derniers ne sont pas encore en activité. Ces femmes-là se sont parfois tellement oubliées qu’elles ne savent même plus penser à elles.
Cher Emmanuel, les femmes, par ailleurs, n’ont pas l’ego des hommes. La raison en est simple : la plupart d’entre elles font le choix (encore !) de la maternité. Porter des enfants et les mettre au monde leur donnent une force incroyable, un sentiment d’ « utilité » puissant et une obligation morale énorme, celle d’élever les enfants et de les aider, le jour venu, à prendre leur envol. Mon mari a raison : tant que les femmes porteront les enfants, leur donneront la vie, hommes et femmes ne seront pas à « armes égales ». La femme n’est pas dans l’égo car elle a ce pouvoir de vie. L’homme, plus que la femme, cherche à se rassurer en relevant des défis par le dépassement tant intellectuel que physique. La femme qui travaille et qui est mère relève le défi de la vie jour après jour. L’homme est naturellement tourné vers l’extérieur et la femme, elle, est tournée vers l’intérieur.
Cher Emmanuel, j’appartiens à une famille où l’engagement est une valeur forte. Notre grand-père maternel l’a payé de sa vie et certains membres de la famille de notre père ont pu revenir des camps de la mort. Je pense être plus utile dans mon cabinet que sur les bancs du Palais-bourbon. Le seul mandat que j’aurais aimé exercer est celui de maire car les maires sont vraiment au plus près de leurs élus. Ils connaissent les familles, les difficultés, les besoins réels à l’échelle de leur canton. Ils sont encore dans la « vraie vie », l’humain, le pratique. Les maires qui sont députés sont déjà beaucoup plus éloignés des préoccupations de leurs concitoyens. Depuis que je suis enfant, j’en ai vu défiler, sous les ors de la République qui nous logeait, des maires, des députés, des sénateurs, des conseillers régionaux et des ministres. Toujours, ce sont les maires quand ils n’étaient que maires qui m’ont le plus touchée, particulièrement les maires en zones rurales. En tant que représentant de l’Etat, notre père a toujours fait preuve d’un sens de l’engagement très fort. Il arrivait toujours à trouver des solutions aux problèmes de ses administrés. Il n’utilisait pas son « pouvoir » pour lui mais pour aider les autres.
Cher Emmanuel, je mentirais si j’écrivais qu’au sortir de l’ENA, à l’âge de 23 ans, il n’était pas ambitieux. Bien sûr qu’il était ambitieux comme vous ! Il voulait être aimé comme vous mais il ne perdait pas de vue l’essentiel : mettre au service de l’intérêt général sa grande intelligence, son empathie naturelle et son énergie comme vous ! Quand, dans un documentaire, j’ai entendu qu’à Sciences-Po, vous échangiez toujours avec les appariteurs, cela m’a fait pensé à notre père qui, par exemple, refusait de monter à l’arrière de la voiture de fonction par égard pour son chauffeur ! Fait qui lui fut reproché par un crétin jaloux qui voulait qu’il soit débarqué du corps préfectoral et a réussi à parvenir à ses fins !
Cher Emmanuel, je serais ravie de voir plus de femmes en politique mais, pour cela, il faudrait que leurs compagnons l’acceptent et que leur engagement ne mette pas à mal leur équilibre familial et professionnel. Enfin et ne l’oublions pas : la politique n’est pas une profession. Elle ne devrait jamais être vécue comme telle ! Cette vision malsaine mène au clientélisme !
Cher Emmanuel, ce matin, dans notre cuisine, fatiguée, triste que cette grippe m’ait contrainte à renoncer à l’une de mes trop rares évasions à Paris, à ma bulle d’oxygène culturelle, à des temps de partage avec ma soeur et ma mère, avec des amis, je me suis fâchée contre mon mari. J’étais en colère d’avoir l’impression, cher Emmanuel, que vous passiez à côté des vraies raisons qui font que les femmes s’engagent si peu en politique. Je n’en voulais pas à mon mari de me suggérer d’envoyer ma candidature mais de ne pas voir que cela était absolument inconciliable avec l’équilibre de vie tant familial que professionnel que j’ai eu tant de mal à trouver après mon départ de Paris. Un équilibre, malgré tout, toujours précaire puisqu’il repose, pour moi, sur un déséquilibre presque permanent.
Cher Emmanuel, grâce à vous, mon mari et moi, nous nous sommes disputés. En fait, j’ai la chance d’avoir un mari calme qui, contrairement à moi, ne passionne pas les choses et c’est moi qui me suis emportée ! J’ai une nature volcanique! Je ne vous en veux pas ! Je n’en veux pas à mon mari ! En dépit de ma fatigue et de ma fièvre, je suis allée me promener en vélo avec notre Fantôme, notre berger australien. Cela m’a apaisée. Je vous souhaite de franchir avec succès toutes les étapes qui vous mèneront à l’Elysée. On va vous salir, raconter des choses ignobles sur vous et sur vos proches. Vous ne les écouterez pas ! Conservez intact votre humour! Vous ne vous laisserez pas déstabiliser et vous conserverez votre calme. Cela vous honorera ! Ainsi, vous serez vraiment celui qui aura réussi à se hisser au-dessus des querelles intestines propres aux membres des appareils politiques lors des batailles élyséennes.
Cher Emmanuel, je finirai sur une pensée qui pourra vous faire sourire. Vous ressemblez beaucoup à notre père tant intellectuellement que physiquement et vous avez cette liberté de pensée et de parole qu’il possédait également et qui sont si rares ! Notre père avait aussi un don encore plus précieux, celui de la vision à long terme. C’est grâce à son action que la France, au moment de la signature des accords Schengen sur la libre circulation des personnes et des biens, a fait insérer une clause de sauvegarde permettant à notre pays de réintroduire des contrôles à ses frontières en cas de péril grave. Elle a été utilisée pour la toute première fois lors du championnat du monde de foot en France pour empêcher d’entrer sur le sol des hooligans anglais. Il avait pris cette décision contre le Ministre de l’Intérieur dont il relevait et cela lui avait valu ses foudres à son retour! Mais, il voyait loin, au-delà de la grande frénésie d’union européenne. Je sais que notre père vous aurait beaucoup aimé alors comme j’aimais beaucoup mon père, je ne peux que vous aimer !
En marche! Je suis parfaitement réveillée! Parfois, trop!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner