Notre aînée, Céleste, a été la première à partir en Auvergne avec son collège quand elle était en cinquième. Victoire a suivi deux ans plus tard. Ce matin, c’était notre benjamin qui partait à son tour. Céleste est celle qui ouvre la marche et Louis, celui qui la ferme. Entre eux deux, Victoire creuse la trace. Nos trois enfants n’ont pas du tout vécu cette aventure de la même manière. Les filles se sont débrouillées seules pour faire leur valise cochant au fur et à mesure les éléments indiqués sur la feuille du trousseau et nous demandant d’acheter ce qui manquait. Céleste avait fait sa valise dans l’entrée quelques jours avant le départ.
Victoire, elle, avait tout mis dans des panières un mois avant le grand jour. La veille du départ, elle les avait montées sur la mezzanine et tout en suivant l’un des nombreux épisodes d’Hercule Poirot incarné par David Suchet, elle avait rempli sa valise. De nos trois enfants, Victoire est la plus méthodique, celle qui ne veut rien laisser au hasard. Une authentique voyageuse qui revient de ses séjours avec des spécialités culinaires. D’Auvergne, Victoire avait rapporté du saucisson au poivre et une terrine au piment et de Campagnie de l’huile d’olive et une quantité incroyable de pâtes toutes plus originales les unes que les autres. Céleste avait rapporté des petits cadeaux pour tous les membres de sa famille.
Louis, lui, a aucun moment, ne se soucie de sa valise et de savoir si rien ne manque. Il se repose sur ses soeurs qui adorent faire des valises ou sur sa mère. Dimanche, la valise, dans sa chambre, est vide et quelques affaires sont posées sur une table: des enveloppes timbrées, une trousse, un cahier de brouillon, des vêtements. Louis ne me demande qu’une seule chose: des caleçons! Je m’exécute. Le dimanche, Céleste n’est plus motivée pour aider son frère que nous avons réussi à arracher à sa console pour disputer une partie de Risk. Elle travaille sur un commentaire de texte: un extrait de « La Controverse de Valladolid » de Jean-Claude Carrière. Ce texte s’inscrit dans le prolongement des « Cannibales » et des « Coches » tirés des « Essais » de Montaigne. Céleste se passionne pour le mythe du bon sauvage cher à Rousseau. Je n’avais jamais lu ces extraits des Essais. La lecture que Montaigne fait de la Conquista est d’une incroyable justesse. Le film « Mission », palme d’or au festival de Cannes en 1986, pourrait plaire à Céleste. J’en conserve un souvenir à la fois très dur et très mystique.
Céleste n’a plus envie d’aider Louis. Victoire qui, exceptionnellement, n’a pas de travail car une partie de ses professeurs accompagnent le voyage en Auvergne, est disposée à superviser les préparatifs. Louis préfère que cela soit moi. Il m’aide sans réellement se soucier de ce que sa valise contient. Le dimanche soir, par acquis de conscience, je regarde une dernière fois le contenu du trousseau et réalise que Louis allait partir sans après ski! Vite, Stéphane farfouille dans le garage et revient avec deux paires. L’une appartient à Victoire et l’autre à Céleste. La paire de Victoire est trop juste et celle de Céleste est parfaite. On se croirait dans l’histoire de « Boucle d’Or et les trois ours » que j’ai si souvent lue aux enfants quand ils étaient petits. Avant, c’est ma mère qui nous l’avait lue à ma soeur et à moi et encore avant c’est notre grand-mère qui la lisait à notre mère. On met toujours ses pas dans ceux d’un être cher qui nous a précédés.
Ce matin, je prépare le pique-nique de Louis qui, lui, s’assure qu’il n’oublie pas la recharge de son portable et des écouteurs. Il glisse dans son sac à dos une enceinte et une multi-prise pour que les cinq copains de la chambre et lui-même aient de quoi recharger leur téléphone portable. Dans le car, tout à l’heure, certainement, ils sommeilleront en écoutant de la musique après s’être largement « ambiancés » au début du trajet.
C’est Stéphane qui conduit Louis devant le collège. En arrivant, Louis est si pressé de retrouver ses amis qu’il quitte son père en laissant sa valise et son sac à dos dans le coffre de la voiture. Dès qu’il a pris place au fond du bus, son père n’existe plus et c’est très bien ainsi. Nous n’avons jamais été des parents à avoir le coeur serré en voyant nos enfants partir. Le premier départ c’est fait en grande section de maternelle. Je me souviens que beaucoup d’enfants et de mamans pleuraient. Des mamans dissimulaient leurs yeux derrière des lunettes de soleil alors qu’une nuit épaisse enveloppait encore le plateau. J’aimais ce moment où le car se mettait en branle dans un bruit de corne de brume et que des petites et des grandes mains dansaient au-dessus des têtes. Je revenais par le petit chemin rigolo, un chemin tout cabossé traversant les champs, un chemin faisant danser la voiture. Les enfants et moi adorions emprunter ce chemin.
Je me souviens que lorsque Victoire est partie dans le Morbihan en grande section de maternelle, elle avait oublié son doudou, sorte de reste de petite souris dont le ventre avait été reconstitué avec une vieille chaussette. Elle l’adorait et il nous a donné beaucoup de fil à retordre quand elle le perdait. Les chances de le perdre étaient majorés par le fait qu’elle l’emmenait vraiment partout! C’est ainsi qu’une nuit d’été alors qu’un orage s’était levé sur la Dombes et que des éclairs zébraient le ciel, j’aidais Stéphane à soulever une partie de la piscine cachant le moteur avant qu’il ne s’y glisse dans une eau peu engageante pour retrouver le fameux doudou. Au passage, il avait effrayé des grenouilles. Dans l’après-midi, Victoire avait mal négocié un virage avec son vélo et s’était retrouvée dans la piscine. Le doudou était dans le panier à l’avant. Elle ne se le rappelait plus. Jamais, la recherche du doudou de Victoire nous a donné autant de mal. Mon beau-père pensait qu’une pie s’en était saisie et ma belle-mère qu’un chat avait joué avec. C’est Stéphane qui a percé le mystère du doudou perdu et, à minuit, il m’enjoignait de quitter notre lit et de le suivre au bord de la piscine. Victoire avait eu tant de mal à trouver le sommeil sans sa petite souris mal en point que s’il m’avait demandé de le suivre dans les enfers, braver Cerbère et y arracher le doudou à Hadès, je l’aurais fait sans hésiter! Ce qu’il reste de lui se trouve dans l’un des tiroirs d’un bureau bleu. Ma mère a raison quand elle dit qu’il aurait sa place dans l’une des vitrines du musée du quai Branly.
Céleste, elle, ne transportait pas son doudou partout. Encore aujourd’hui, tous les matins, quand je vais dans sa chambre, je trouve son petit ours brun étendu dans son lit, la tête reposant sur son oreiller. Louis n’a pas emporté de doudou en Auvergne. Louis avait deux doudous, deux ours jumeaux. On les voit sur la photo avec ceux de Céleste, de Margot et de Valentin. Il les adorait. Il aimait aussi les cacher dans des endroits insolites. A la crèche, il les dissimulait dans des tiroirs. A la maison, il pouvait les glisser dans le panier de linge sale. Un jour, sur une aire d’autoroute, l’un des jumeaux a été oublié. Il est sans doute tombé de la voiture. Louis en a été si affecté qu’il s’est détourné de celui qui restait. Quand, un soir, je lui avais demandé pourquoi il ne s’occupait plus de son doudou, il m’avait répondu que cela le rendait très malheureux car celui lui rappelait toujours celui qui avait été oublié. Au lieu de concentrer l’amour qu’il portait à ses deux doudous sur le doudou restant, il avait préféré l’oublier. Je ne vous demande pas de comprendre mais cette décision me rendait très malheureuse!
En Auvergne, les enfants font faire du ski alpin quatre matinées et s’initier au ski de fond, au biathlon et aux raquettes. Normalement, ils doivent expérimenter le chien de traineau mais, souvent, faute de neige, cela se transforme en cani rando. Céleste est la seule pour le moment à avoir pu vraiment essayer le chien de traineau. Elle avait été triste de voir que les chiens se battaient entre eux pour être certains d’être choisis pour l’activité. Victoire n’avait pas tellement apprécié de se sentir tirée, voire littéralement soulevée du sol par un Husky. Il est très dur pour de jeunes adolescents de ne pas se laisser embarquer par des chiens extrêmement puissants. La peur l’emporte alors sur le plaisir.
Pendant le séjour, les enfants découvrent la gastronomie régionale à grand renfort d’aligot, de truffade, de pâté de pommes de terre et de fromages du terroir. Les parents ont la possibilité de commander du Saint Nectaire que les enfants rapportent après avoir visité une ferme biologique. Céleste en avait rapporté.
Je suis toujours très reconnaissante aux professeurs qui acceptent d’accompagner des élèves en voyage et d’assumer une telle responsabilité. Des enfants peuvent être malades, se blesser ou alors avoir bien du mal à respecter les règles de la vie en collectivité. Rétif à l’autorité quand il ne la comprend pas, sur-réagissant à tout ce qui lui semble injuste, ayant tendance à faire le pitre pour attirer l’attention sur lui, notre fils n’est pas forcément un élève facile pour ses professeurs et ses parents.
Hier soir, parce que nous avions fini de dîner à une heure raisonnable, nous avons offert aux enfants de revoir avec nous un film que nous avions énormément aimé et que le professeur d’Anglais de Victoire a conseillé à ses élèves « Green book: sur les routes du Sud ». Moins dur que le redoutable « Mississippi burning » que Céleste avait vu en troisième avec leur professeur de musique. Un film qui l’a vraiment choquée par sa violence. Comme souvent, les filles nous ont faussé compagnie. Louis est resté et a adoré cette histoire vraie d’amitié entre deux hommes que tout semble opposer: Don Shirley, un pianiste Afro-américain surdoué et Tony Lip, un Américain d’origine italienne natif du Bronx, videur dans un club qui deviendra son chauffeur lors d’une tournée. Les deux acteurs sont remarquables. Le film dit bien toute la violence de la ségrégation raciale effrayante dans les états du sud des Etats-Unis. Alors que le pianiste, Don Shirley, est la star de la soirée, on lui refuse l’accès aux toilettes utilisées par les Blancs. Don Shirley était un pianiste classique condamné à de la musique plus populaire car il ne semblait pas possible à cette époque qu’un Afro-américain puisse jouer de la musique classique. Mais, en y réfléchissant, je n’ai pas trouvé à notre époque de soliste classique noir!
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Tandis que je termine ma chronique, le plateau offre un visage désolant. Les champs labourés évoquent un énorme ventre vomissant ses viscères. La pluie tombée avec ardeur a rendu les chemins difficilement praticables. Fantôme et moi rentrons de nos sorties couverts de boue. Quand, hier, j’ai apporté des crêpes à Muguette pour la Chandeleur, elle m’a cité le dicton suivant: « A la Chandeleur, l’hiver se meurt ou prend vigueur ». Que valent encore ces dictons populaires quand le temps est détraqué et que, dans le Sud, le thermomètre monte à 26°? Les gens s’en réjouissent. Cela m’affole! L’être humain est globalement court-termiste ne songeant qu’à satisfaire son désir immédiat.
Tant que le plateau est triste, Fantôme et moi préférons partir avant que le jour se lève. Nous avons toujours le bonheur de voir à découvert sur le plateau ou dans un champ sous un pommier des chevreuils. Sur mon vélo, ce matin, je songeais que c’était le dernière fois que Louis mettait ses pas dans ceux de ses soeurs s’agissant d’un voyage entrepris avec l’école. Une nouvelle page se tourne. D’autres s’écrivent.
Ce soir, à la table du dîner, Louis laissera un grand vide. Je ne serai pas obligée de dormir dans la chambre d’amis. Louis est seul à l’étage et ma présence le rassure. Stéphane aura l’immense joie de renouer avec ma respiration profonde, entendez mes charmants ronflements! Mercredi, je n’aurai pas à subir les éclats de voix de Louis quand il joue à Fortnite et s’emporte car il perd ou que des joueurs le provoquent. Vendredi, nous ne serons pas à la descente du bus. Ce sont les parents de l’un de ses amis qui le récupéreront. De longue date, j’avais réservé des places pour un spectacle. C’est l’une de mes trois filleules, Pauline, qui remplacera Louis. C’est le samedi qu’auront lieu les retrouvailles avec Louis chez les parents de Nathan. Il se précipitera dans les bras de son père et lui soufflera: « Tu m’as manqué, papa ». Et Louis, aussi, nous aura manqué avec sa joie incroyable, son amour de la vie et ses éclats de rire qui se transforment souvent en détresse profonde, détestation de lui-même et sanglots. Fille de père tsunami, maman tsunami, j’ai mis au monde un enfant dont le caractère ressemble à la couleur du ciel en mer d’Iroise…
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
C’est très agréable de lire votre vie de famille, c’est presque comme si on était tout proche de vous, on vous embrasse bien fort.
PS : Nicolas et moi avons beaucoup apprécié Green boik, je ne ne souvenais plus du titre.
Nous sommes en vacances, nous n’avons pas encore décidé de ce que nous ferons durant ces 15 jours bien apprécié mais surpris d’y être déjà.
Bises