Chronique d’un après-midi carnaval

jpg_carnaval_affiche2.jpgCe samedi de mars, hormis une tempête de neige avec blizzard et formation de congères ou bien encore une invasion d’énormes sauterelles, en provenance directe des rives égyptiennes du Nil, rien n’aurait pu les faire renoncer à leur après-midi carnaval. Les enfants s’en réjouissaient trop ! Depuis la fin du mois de janvier, les élèves des écoles maternelles et primaires travaillaient, sans relâche, avec leurs instituteurs ou les animateurs des centres aérés, à la confection des costumes, des masques et des chars.

 

 

chevalier2.jpgL’an passé, la ville s’était mise à l’heure du Moyen-âge. Un groupe de fiers cavaliers, montés sur des chevaux tout harnachés et semblant de retour d’une Jérusalem reprise aux mains des infidèles, ouvrait le défilé. Les garçons disparaissaient sous des casques et des armures, cent pour cent aluminium.

 

 

Hans_Memling_050.jpgLes filles, elles, marchaient, avec grâce et légèreté, dans de longues robes découpées dans des mètres de tissus roses. D’une main, elles tenaient leur traîne et de l’autre, elles remettaient leur haut chapeau à bouts pointus, turlututu, en place, sur le sommet terriblement glissant de leur crâne. Il ne faisait pas bien chaud. Un vent malin faisait souffler les rubans en dentelles blanches accrochés au point culminant de leurs hennins en carton.

 

Cette année, comme toutes les années, la place de la République sert de point de ralliement aux différents cortèges. Une délicate odeur de fruits de mer chatouille les narines. Elle vient rappeler la présence, toujours fidèle, des deux poissonniers au marché du samedi matin. Sous une tente, les enfants peuvent se faire maquiller. Aux quatre points cardinaux, des marchands ambulants vendent des sacs de confettis, des bombes de couleurs, projetant des serpentins de mousse collante, des nougats de Montélimar, des sucettes aux parfums de synthèse et des ballons gonflés à l’hélium.

IMG_0266.jpgDes différentes rues, convergent, vers la place, des grappes d’enfants déguisés, accompagnés de parents dont, pour beaucoup, il est évident que la présence relève plus de l’obligation morale que du plaisir à partager un moment de joie simple en famille. Dans son char, la Miss de la ville, flanquée de ses deux dauphines potiches, affiche, vêtue de sa longue robe de soir d’été, son plus beau sourire de circonstance.IMG_0267.jpg

 

5720music20notes1.jpgLes enfants, pour la plupart, sont maquillés. En cette fin d’hiver, ils arborent, sur les peaux bien blanches de leurs visages fatigués, de superbes clés de sol ou de fa. Des portées entières de notes dansent sur les fronts de ceux qui maîtrisent déjà parfaitement le solfège. Empruntant au concept de l’homme-sandwich, les élèves du conservatoire de musique défilent, leurs corps, faussement prisonniers, de magnifiques instruments à cordes. IMG_0269.jpgCette année, les cavaliers et leurs destriers ont été remplacés, sans que le lien avec la musique soit facile à établir, par des comédiens figurant des insectes assez repoussants. Juché sur plusieurs mètres d’échasses, le quatuor arachnéen promène sa fine et noire silhouette dans les rues de la ville. Il danse, tournoie, touchant, de ses longues pattes délicatement velues, petits et grands. Leurs danses aériennes fascinent autant qu’elles jettent l’effroi, arrachant pleurs et cris à certains enfants.

 

galerie-membre,carnaval,carnaval-belfort-2008-02.jpgAvec des amis, un couple et sa progéniture progressent au rythme sénatorial des chars. Dans le lot, un magicien, une fée, deux petites filles notes de musique et deux plus jeunes enfants qui ont refusé, catégoriquement, de se déguiser. Une maman s’apprêtait à quitter le domicile avec un immense chapeau en feutre noir ma
is a finalement renoncé après que son mari lui ait dit, tout sourire, qu’elle ressemblait à Jacquou le croquant ! Les enfants ont déjà épuisé leurs réserves de confettis et de bombes. Par bonheur, il continue de pleuvoir, sur la foule compacte, un déluge de petits bouts de papier colorés. Les confettis sont partout : dans les capuches, les poches des manteaux, entre les vêtements et la peau, sur les bonnets, les trottoirs, les arbres, les voitures, les poils des chiens. Ils finissent par former comme une pellicule multicolore à la surface de l’eau verte des canaux. Ces lentilles colorées, emportées par le courant, viennent rappeler à une maman, les guirlandes de pétales de fleurs rejetées, à la faveur du mascaret, sur les rives de la rivière Hooghly à Calcutta.

 

evenement_57.jpgLes sons rythmés des percussions qui font battre encore plus fort les cœurs dans les poitrines s’unissent aux musiques les plus connus de la planète 70. Tandis que les enfants cherchent à ramasser, sur le macadam, quelques poignées de confettis, les parents reprennent, avec joie, le couplet de « i will survive » ou de « Alexandrie, Alexandra ». Bien sûr, mardi gras est passé depuis longtemps et le Carême est déjà bien avancé. Bien sûr, on est loin de la folie brésilienne, des couleurs antillaises, de l’esthétisme raffiné vénitien, du surréalisme lillois et des splendeurs des chars niçois, mais l’ambiance est légère. Les plus jeunes s’amusent follement. Les plus grands se rappellent leur âme d’enfant. Deux heures plus loin, le cortège gagne enfin le cœur du jardin public. churros-1.jpegLes marchands ambulants l’ont devancé. Les confettis et les bombes de couleurs ont été remplacés par des gaufres, des crêpes et des churros dont l’odeur, quand on ferme les yeux, rappelle, immanquablement, l’atmosphère des fêtes foraines. Le quatuor arachnéen fait un dernier tour de piste. Monsieur le Maire est là. C’est lui qui asperge d’essence Monsieur Carnaval et jette l’allumette qui l’embrase. Un baiser circonstancié à miss Loiret et aux dauphines et le voici qui repart, assis à l’arrière de sa grosse voiture sombre de fabrication tricolore.

 

ballonheliumeternal.pngDe Monsieur Carnaval, il ne reste plus rien que des cendres encore fumantes. La trompette qu’il tenait fermement entre les doigts de ses grosses mains a brûlé, elle aussi. Il est temps de rentrer. L’humidité tombe. Le soleil a disparu derrière les nuages. Les enfants sont fatigués. Les filles rêvaient, depuis de longs mois, de gros ballons aussi légers que des bulles de savon. Après mûre réflexion, elles jettent leur dévolu sur des ballons vert pomme, à l’effigie des Winx. Le petit garçon, lui, a choisi un Bob l’éponge, aussi rose que Barbapapa.

 

balloongirl_alwayshope1.jpgOn arrive à la maison. On sort de la voiture. La deuxième petite fille a à peine posé les pieds sur les graviers que le beau ballon, le ballon tant convoité, le ballon choisi avec soin, s’évade. Il s’était détaché de son poignet. Elle ne le tenait que du bout de sa ficelle argentée. Elle fond en larmes. Tout le monde assiste, impuissant, à l’envol du ballon qui monte, monte dans le ciel, devient de plus en plus petit et disparaît. La maman de la petite fille est aussi triste qu’elle. Quand un enfant, l’été, fait chuter son beau cornet de glace, dans le sable chaud, il est facile de le remplacer. Ici, la mission est impossible. Il faudra attendre le prochain passage d’une fête foraine ou un après-midi au jardin d’acclimatation pour en acheter un autre.

 

the-red-ballon-escape-2.jpgPour assécher les grands yeux bruns de la petite fille inconsolable, la maman la sert contre elle et lui dit : « tu sais, Victoire, je crois que ton ballon est arrivé sur le nuage où est assise grand-mère Nanette. Elle va être si heureuse de jouer avec. » Ca marche ! La petite fille ne pleure plus. Dans sa tête, le ballon n’est plus perdu, seul, dans l’immensité d’un ciel que les timides rayons de soleil désertent doucement. Son beau ballon est attaché au poignet frêle de son arrière grand-mère.

 

38veg.epines_de_sapin.jpgLundi matin. La maison est silencieuse. Les enfants sont à l’école et à la crèche. Dans une chambre, un ballon est suspendu dans les airs. Bob l’éponge est accroché aux barreaux en fer blanc d’un petit lit. Les peluches n’ont d’yeux que pour lui. Un peu partout, dans la maison, une maman sourit à la vue de tous ces confettis, de ces souvenirs de carnaval dont la présence lui rappelle celle des épines de sapin et de cheveux d’ange que l’on continue à ramasser bien après les fêtes de Noël.

 

 

 

 

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner