A la demande de l’une de nos amies, institutrice en maternelle, je suis allée farfouiller dans de grandes boites contenant, pêle-mêle, playmobils, petshops, legos, petites voitures, parachutistes et des zhu zhu pets, heureusement désactivés depuis longtemps! Ces petites bêtes m’ont valu des peurs terribles quand, au milieu de la nuit, elles se mettaient à trottiner tout en poussant des petits cris sardoniques! J’y ai trouvé ce que notre amie cherchait: des dinosaures! Je ne serai pas capable de vous donner leurs noms mais, de toute évidence, il y a des parents et des enfants. De notre mère, j’ai hérité cet instinct de conservation qui fait garder des objets dont on ce dit qu’ils pourront servir aux générations futures. A la rentrée, ces six dinosaures passeront entre les mains curieuses de petits enfants avides d’entendre leur institutrice leur faire le récit de l’apparition de ces grands animaux sur notre terre.
Tout en exhumant les dinosaures, j’ai retrouvé des billets de la bonne paye et du mobilier de la maison des petites souris, je repensais à la fin des années maternelles pour nos enfants et, plus particulièrement, pour Céleste. Rien à faire: nous avons tous un lien privilégié avec nos aînés, avec ceux qui font de nous des parents et nous amènent à placer nos pas dans ceux de nos parents. Précisons que cette place d’aîné est tout sauf un cadeau car le premier « essuie les plâtres », va ouvrir la voie dans laquelle, plus tard, ses frères et soeurs s’engouffreront. Les attentes parentales vis à vis de l’aîné peuvent être très fortes. Il n’a pas le droit à l’erreur. Il doit être « réussi » pour servir d’exemple à ceux qui suivront.
Voici dix ans, Céleste était si heureuse d’entrer à la grande école! En septembre, elle sera élève en classe de première. Nous essuierons avec joie et bonheur la réforme du bac. Nous continuerons de l’accompagner dans son travail. Elle est partie chez sa mamie avec « L’étranger » de Camus et « Les fleurs du mal » de Baudelaire. Céleste comme malheureusement trop de jeunes de sa génération ne lit pas. Ce désintérêt pour la lecture n’est pas lié à l’entrée d’un téléphone portable dans sa vie. Elle n’a jamais aimé lire. C’est toujours moi qui lui ai lu des histoires. En troisième, cela m’arrivait encore. La dernière fois que je lui ai fait la lecture à voix haute, c’était pour « L’arbre qui chante et autres histoires » de Bernard Clavel.
Ce matin, j’ai été acheter une partie des fournitures scolaires des enfants. En cette fin juillet, on circule encore bien entre les rayons. Les parents sont calmes et souriants. L’entraide est présente. On est loin de l’hystérie qui règnera à partir du 15 août. J’espère que cette année, notre fils va parvenir à mettre de l’ordre dans ses cahiers, à coller ses feuilles, à reporter les devoirs dans son agenda (même s’il y a Pronote) et à conserver le contenu d’une trousse intacte plus de quinze jours. Louis, anxieux, se défoule sur ses stylos, crayons à papier, gomme et tube de colle. Quand je suis lasse de reconstituer le contenu de sa trousse, je lui parle de ces enfants de part le monde qui ont seulement une ardoise et un bout de craie pour travailler; des enfants qui, trop souvent, ratent l’école, quand ils n’y vont pas du tout car ils doivent aider leurs parents. Louis fond en larmes et m’en veut terriblement de le mettre face à cette cruelle réalité. Comme Louis ne fait pas exprès de détruire ses affaires et qu’on m’a fait interdiction de lui donner une petite balle en mousse pour qu’il se détende, je me suis promis de ne plus le faire culpabiliser. Louis est la bonté même et une partie de sa trousse disparaît également car il partage ses affaires avec ceux qui ont oublié les leurs.
Demain, cela fera un mois que nous n’avons pas vu nos filles. Elles sont avec leur mamie paternelle et leur cousine, Louise, en Haute-Corse. Tous les jours, nous avons droit à des sms, des photos ou un appel. Les filles vont bien. Nous ne leur manquons pas. Elles ne nous manquent pas. Elles profitent à plein d’une mamie qu’elles voient peu pendant l’année scolaire et de leur cousine qui vit en Roumanie. Ces séparations estivales sont, déjà, une manière de se préparer au grand départ, au moment où l’enfant quitte le nid pour construire sa vie. Louis, de son côté, semble heureux d’avoir ses parents pour lui et d’accueillir des amis à la maison presque tous les jours. Il a investi la chambre de sa seconde soeur, Victoire.
Je vous laisse avec l’ancienne chronique relatant ce que j’avais éprouvé lorsque notre aînée, le dernier jour de grande section de maternelle, était rentrée à la maison avec la liste de fournitures scolaires pour l’entrée en CP.
« Maman, maman, j’ai ma liste de fournitures scolaires pour la rentrée. La maîtresse a dit qu’il fallait aussi acheter un cahier de vacances pour ne pas oublier ce que nous avons appris cette année. Il faut l’acheter tout de suite ! »
C’est sur ces trois phrases que s’est refermée l’année scolaire 2008/2009 et que, brutalement, j’ai réalisé que notre fille aînée allait entrer à l’école primaire, en classe préparatoire. J’avais eu six ans pour m’y préparer et pourtant, cela me semblait irréel. Céleste était partie jouer dans le jardin avec sa sœur et son frère. Elle était guillerette, légère. Je restais plantée là, bêtement, les bras ballants, avec cette liste de fournitures scolaires entre les doigts de la main. J’avais juste eu le temps de lire, à la fin de la liste, qu’il fallait trois trousses différentes : une trousse pour les crayons de couleurs, une trousse pour les feutres et une trousse pour les autres articles.
De la balançoire, Céleste m’a lancé : « Les sacs à dos, c’est fini. Il me faudra un cartable. Un cartable avec des roulettes ». J’ai lui ai souri en pensant, et pourquoi pas une Samsonite gros modèle ! En réalité, je n’avais pas du tout le cœur à faire de l’humour, mais j’étais heureuse qu’elle soit si contente d’entrer à l’école primaire. Avait-elle bien intégré que la vraie liberté était finie et que les choses sérieuses commençaient ? Avait-elle compris qu’elle aurait une place déterminée en début d’année et qu’elle n’en bougerait plus jusqu’à la fin, et que, d’ailleurs, elle ne bougerait plus du tout pendant les heures de classe ?
Je la regardais se balancer, rire, chanter avec sa sœur et son frère. Je n’avais, je crois, rien fait pour la garder à moi, l’empêcher de grandir, d’aller de l’avant. Je n’avais jamais été une maman qui pleure en laissant ses enfants à la crèche, dont le cœur explose quand ils partent une semaine. Maintenant, me revenaient en mémoire les phrases d’amis ayant des enfants plus âgés que les nôtres. En substance, ils disaient tous : « le grand bouleversement, c’est la rentrée à l’école primaire. A partir de là, on les perd. Ce n’est plus comme avant. Ils sont vraiment grands ».
Céleste faisait le cochon pendu, et dans ma tête tournaient six années de vie. En accéléré, je revivais sa naissance, les mois d’allaitement, les nuits blanches à attendre qu’elle se rendorme en regardant des rediffusions d’émissions à la télévision, les gazouillis, le premier biberon, les premiers mots suivis de près par les premiers pas, l’entrée à la crèche, les poussées dentaires, la naissance de sa sœur, l’installation dans le Loiret, la découverte d’une autre crèche, l’adieu aux couches et à la tétine, l’entrée à l’école maternelle, les premiers goûters pour les anniversaires, les premières vacances à la montagne, avec le petit piou-piou fièrement arboré sur le blouson, la naissance du petit frère, les vacances au bord de la mer, le vélo sans les roulettes, la baignade sans les brassards et même avec masque, tuba et palmes pour suivre son papa ou son grand-oncle et ramasser au fond de l’eau des Bernard-l’ermite, la première dent de lait tombée, et la première classe de mer en grande section de maternelle.
Je suis arrivée aux dernières images du film des six premières années de vie de Céleste et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à tout ce qui se profilait à l’horizon comme, par exemple, l’entrée en sixième, le passage du brevet des collèges, l’entrée en adolescence, le premier chagrin d’amour qui ravage les cœurs des filles et, par ricochet, celui des mères, la vie de lycéenne avec l’incontournable passage du bac français et du bac général, les soirées qui s’étirent de plus en plus, le permis de conduire et le départ de la maison.
Céleste continuait à jouer dans le jardin, avec sa sœur et son frère. J’étais toujours plantée là, avec les bras le long du corps et ma liste de fournitures scolaires dans la main. Puis, mon esprit s’est envolé. Il n’est pas allé très loin. Il s’est contenté de survoler les champs de céréales. Il a longé une jachère fleurie et a pénétré dans l’école des filles par un trou de souris. Un silence anormal, presque pesant y régnait. Les portemanteaux étaient orphelins. Les murs des classes étaient désespérément nus. Les maîtresses, aidées de leurs fidèles assistantes, avaient retiré, un à un, les dessins, les peintures et les collages réalisés par leurs élèves. Les jeux, les trottinettes et les vélos ne traînaient plus dans la cour. Les billes, aussi, avaient disparu. Ces billes que les garçons peinaient à faire rouler droit sur le sol granuleux de la cour. Les élastiques ne faisaient plus danser les jambes des petites filles et le vent ne faisait plus voler le bas de leur robe.
Je me suis laissée aller à cette nostalgie propre aux fins d’année scolaire qu’éprouvent bon nombre d’enseignants et qui n’exclut pas le bonheur de souffler pendant deux mois, de se ressourcer, de se renouveler avant de démarrer une nouvelle année.
L’heure du bain était passée depuis longtemps. J’ai fait rentrer les enfants et ai accroché la liste
des fournitures scolaires sur la porte du réfrigérateur. Demain, promis, j’irai leur acheter leurs cahiers de vacances qu’elles commenceront dans l’excitation générale avant de les oublier, les premières pages remplies.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner