Chronique autour d’une dent creuse

 

healthy_teeth_for_children_f.gifUn mercredi froid, un ciel triste. A quelques encablures de Noël, le parking est saturé. A force de tourner, de jouer à l’ascenseur entre les allées, on finit par trouver une place. La maman de trois ouvre la porte à numéro deux. La petite fille de sept ans et sept mois a rendez-vous chez le dentiste. Cela fait déjà un an et demi que le docteur des dents ne l’a pas examinée. Le rendez-vous a été pris six mois en amont. Il arrive à point nommé. Un peu avant les vacances de la Toussaint, la petite fille s’est plainte d’avoir une boule sous la gencive. Elle avait mal. Très naïvement, la maman n’a pas songé un seul instant qu’il pouvait s’agir d’un abcès occasionné par une dent abimée. Il a fallu que sa belle-sœur évoque cette éventualité et que cela arrive à la meilleure amie de numéro deux pour que la maman comprenne que sa fille a certainement une carie sur une molaire.

 

 

 

critique-chantons-sous-la-pluie-kelly-donen.jpegUn mercredi froid, un ciel triste. La petite fille se serre contre la grosse doudoune orange de sa maman qui a déplié au-dessus de leurs têtes un parapluie violet dont les baleines sont réputées résister à des avis de tempête du côté de la pointe du Raz. La maman presse le pas. Il ne leur reste plus que quelques minutes pour arriver au cabinet dentaire. Heureuse d’être avec sa maman, confiante dans ce rendez-vous, la petite fille trottine, cramponnée au bras de sa maman, qui essaie de la protéger le mieux possible de la pluie qui s’intensifie.

 

 

 

soupe-artichaut-celeri-rave-L-1.jpegElles arrivent devant la porte. La maman appuie sur la sonnette. Elles entrent. Elles se présentent à la secrétaire médicale qui les invite à s’installer dans la salle d’attente. Il n’y a qu’une seule dame déjà assise sous une reproduction d’un tableau de Kandinsky. La dame leur adresse un sourire timide tandis que numéro deux lui lance un large : « bonjour madame ». On se déshabille. C’est long ! A la fin de l’automne, quand il fait froid, on a l’impression de s’effeuiller comme un artichaut pour atteindre le cœur. La petite fille a emporté son travail glissé dans une chemise à rabats plastifiée. On commence par la conjugaison du verbe avoir au présent de l’indicatif. On continue avec les tables d’addition. On termine sur les nombres en anglais. La petite fille avait également emporté deux livres : « Madame Bavarde » et « Madame Je-sais-tout ».

 

 

 

livre-poche-monsieur-madame-mme-bavarde.jpgAlors que la maman s’apprête à lire la première page de « Madame Bavarde », la porte de la salle d’attente s’ouvre et le docteur appelle numéro deux. Ce docteur est un homme d’une infinie douceur. On ne peut pas rêver meilleur dentiste pour les petits et les grands. Il a deux filles. Comme la maman lui demande de leurs nouvelles, il lui raconte que, demain, son aînée fête ses dix ans. Pour le week-end, toute la famille traverse la Manche pour aller à Londres voir Harry Potter. C’était le souhait de sa grande. Le docteur des dents demande à numéro deux de s’allonger sur le fauteuil. Elle lui explique ce qu’elle a ressenti avant les vacances de la Toussaint. Elle ouvre grand la bouche. Il commence l’inspection. Il fait une radio. La carie est bien là. Comme le ver dans la pomme à demie blette, elle a, dans une molaire de lait, creusé sa chambrette afin d’y passer l’hiver.

 

 

 

coffre-au-tresor-2_2596040.jpgNi la maman ni la petite fille ne s’attendaient à ce qui va suivre. La carie est trop profonde pour être soignée. De nouveaux abcès feront leur apparition. Il faut préserver la dent définitive et arracher la dent creusée. La petite fille adresse à sa maman un regard paniqué et la maman fait en sorte que dans le sien son numéro deux lise le calme, la confiance. Très vite, elle lui glisse qu’à sa tante, aussi, on avait du arracher une dent quand elle était enfant, une dent surnuméraire qui trouvait amusant de pousser dans le palais. Elle était revenue avec sa dent enfermée dans un coffret doré.

 

 

 

dent.jpgLe docteur explique qu’il va endormir la gencive tout autour de la dent pour que la petite fille ne sente rien. Il va injecter un produit anesthésiant avec des aiguilles. Avant, pour qu’elle n’ait pas mal, il tamponne la gencive avec un gel bleu. Il attend  quelques instants et il commence à piquer. La maman voit le corps de la petite fille se raidir. Elle sait qu’elle a mal, qu’elle retient certainement ses larmes car le bas de son menton tremble. Alors, elle s’approche. Elle lui caresse la main, lui parle doucement. Le docteur pique encore. La molaire a toujours ses racines. La dent définitive n’a pas encore eu le temps de les ronger. Elle avait du le savoir mais elle l’avait tout à fait oublié : c’est parce que les dents définitives grignotent les racines des dents de lait que ces dernières se mettent à bouger et tombent.

 

 

 

1009398_ernest_et_celestine_1335512573845.jpgLe dentiste quitte un moment la pièce dont les murs disent sa sympathie pour la peinture du début du vingtième siècle. La petite fille laisse couler ses larmes. Le docteur revient. Elle les essuie avec le dos de sa main. La zone est tout à fait insensibilisée. En quelques mouvements latéraux, il extraie la molaire. La petite fille rince sa bouche. Le goût du sang l’écoeure. Le dentiste lui dit combien elle a été courageuse. Il lui tend sa dent qu’il a glissée dans un petit sac en plastique transparent. Quand la petite fille découvre le gros trou dans sa molaire, elle dit d’une petite voix inquiète : « la petite souris, elle ne passera pas. Elle n’en voudra pas de ma dent. Elle est trop vilaine ! ». La maman la serre dans ses bras et lui souffle à l’oreille que la petite souris aime toutes les dents et qu’elle a certainement été très impressionnée par son courage.

 

 

 

dent de lait.jpgLa petite fille reste perplexe mais, le soir venu, et après que toute la famille ait admiré la molaire cariée, elle la glisse sous son oreiller après l’avoir enlevée du sachet. Au réveil, ce n’est pas une pièce de deux euros que la petite fille découvre mais un billet de cinq euros. Elle est enchantée ! Elle si attendait si peu !  De son côté, la maman a retenu la leçon qu’elle reçoit par le truchement de sa fille : désormais, dans leur maison, les bonbons seront interdits de cité. C’est elle qui a laissé les enfants manger un, voire deux bonbons aux fruits, au retour de l’école ! Elle s’en veut d’autant plus que des trois enfants numéro deux est celle qui se lave le mieux les dents !

 

 

 

cines_medium.jpgNobody’s perfect !

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner