Encore quelques jours et les rois mages, fatigués par leur longue marche, seront arrivés à Bethléem. Les enfants se découvriront assez d’appétit pour dévorer toute la galette jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit tombé sur la fève. Dans la crèche, le petit Jésus a trouvé sa place entre le bœuf et l’âne gris. A l’étage de la maison, le joli sapin fait grise mine. Ses branches tombent tristement. Il a désormais des allures de saule pleureur et les enfants passent et repassent devant lui sans un regard. Même si numéro un a laissé intacte certaines des cases de son calendrier oublié dans sa chambre le jour du départ en vacances, que la couronne de l’Avent est toujours suspendue à la poignée de l’une des fenêtres de la salle à manger, que les façades et jardins de certaines maisons ressemblent à s’y méprendre à des mini Disneyland, rien à faire, Noël et ses décorations, ses semaines d’attente, ses kilos de petits gâteaux alsaciens, ses idées de menus festifs, sa quête de présents pour ceux qu’on aime, ses chants joyeux et ses tables magnifiquement dressées sont résolument derrière eux.
Lundi, vers 19 heures, la voiture s’arrêtait sur les graviers de la cour. Le vent faisait battre les bras du portail mis à mal par la tempête Joachim. Les enfants s’élançaient en direction de la maison en criant : « Fantôme ! ». Les retrouvailles avec le jeune berger australien confié à la garde d’une grand-mère plus que méritante étaient bruyantes, tendres et pleines de poils ! Tandis que le trio racontait par le menu à sa grand-mère le séjour chez mamie et papy et la semaine de ski à la montagne, les parents en profitaient pour ranger les affaires. Il faudrait au moins faire tourner quatre fois la machine pour venir à bout du linge à laver ! Numéro un faisait admirer sa deuxième étoile et, sans prétention, glissait que son moniteur et sa tante avaient estimé qu’elle avait le niveau d’une troisième étoile. Numéro deux tendait son flocon et numéro trois son ourson.
Cette année, c’est à la montagne, dans une station de Haute-Savoie, qu’ils passent en douceur de 2011 à 2012. Le 1er janvier de la nouvelle année, ils sont tous attablés à la terrasse d’un restaurant d’altitude. Lendemain du dernier jour de l’année, ils sont peu nombreux à se laisser glisser sur les pistes et d’ailleurs, tous descendent tranquillement. Tous les enfants en âge de skier, soit sept comme les nains de Blanche Neige, ont passé avec succès leurs épreuves. Dans l’ordre de grandeur, on compte un aiglon de bronze, une troisième étoile, une deuxième étoile, une première étoile, deux flocons et un ourson.
Les adultes sont attablés le visage exposé aux rayons du soleil. Au bout d’un moment, le froid gagne les reins, le bout du nez, des pieds et des mains. Les enfants réalisent un bonhomme de neige. Devant eux, quelques personnes sont installées dans des transats. Une dame dont elle ne verra pas le visage boit un café tout en tournant les feuilles de son numéro de « psychologie magazine ». Sur une page, écrite en très gros caractères, la citation suivante : « le bonheur, c’est la somme de tous les malheurs qu’on n’a pas ». Elle sent qu’elle va méditer longtemps cette phrase de Marcel Achard qui trouve en elle un écho particulier et lui donner envie de développer encore davantage la philosophie du verre à moitié plein plutôt que celle du verre à moitié vide.
Le déjeuner est fini. Revient le temps de la glisse entre deux arrêts aux télésièges. Le groupe se divise en quatre. Dans l’un, un papa et son plus jeune fils qui redescendent à la résidence pour rejoindre une petite fille âgée d’un peu plus d’un an. Tous ensemble, ils vont raccompagner à la gare de Sallanches, Faith, leur nounou philippine. Cette jeune femme qui ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans et est l’aînée de sa fratrie vit en France depuis quatre ans. Elle a laissé dans son pays son mari et son petit garçon qui semble avoir oublié qu’elle est sa mère et a reporté tout son amour sur sa grand-mère. Elle n’a pas encore obtenu ses papiers et tout retour chez elle est pour l’heure trop risqué. Hier soir, le couple qui l’emploie l’a trouvée en larmes après qu’elle ait parlé aux membres de sa famille.
Dans le deuxième groupe, un oncle et une tante, une maman amie et quatre enfants dont numéro deux. Ils ont décidé d’aller explorer une autre partie du domaine et ne rentreront pas avant la nuit. Dans le troisième groupe, le papa du trio et leur numéro un. Le père et sa grande fille vont profiter de cette dernière après-midi pour skier ensemble. Enfin, dans le dernier groupe, la maman de trois et leur numéro trois. Le petit bonhomme, combine intégrale jaune (un vrai bonheur quand il s’agit de l’accompagner aux toilettes) et casque blanc, n’avait jamais chaussé de skis avant le début de la semaine. Sur les conseils de son oncle et parrain, il a été inscrit directement en niveau ourson. Maintenant, il enchaîne les virages en chasse-neige et parvient à s’arrêter presqu’à chaque fois. La maman, de son côté, n’avait pas skié depuis onze ans et n’avait jamais essayé de skis paraboliques. Ce qui est vrai pour le vélo vaut également pour le ski, cela ne s’oublie pas ! La maman et son fils qui accuse la fatigue se contentent du tapis et du bas de la piste d’arrivée. Au bout de trois descentes, le petit garçon demande à rentrer.
Tandis que le skieur en herbe joue sur le parquet en chêne clair avec son armée de playmobils chevaliers et pirates et son quatuor de gormiti, la maman commence à rassembler les affaires en vue du départ de demain matin. Elle songe à tous les bons moments passés ici. Elle tourne mentalement les pages de l’album photos de la semaine et elle sourit devant certains clichés : l’aventure qui a consisté à aller retirer avec le trio les cinq paires de chaussures de ski et jeux de bâtons et les chaussures, le bonheur des enfants de remonter à la résidence en calèche la nuit bien emmitouflés sous une épaisse couverture, les rires des cousins et de leurs amis fusant dans une nuit étoilée et éclairée par un délicieux fin croissant de lune tandis qu’ils dévalaient la piste en luge, les deux apéritifs pris dans une boite de jazz, l’immense sapin couvert de lumières dressé au milieu de la place du village, les grands et les petits évoluant sur la glace de la patinoire, l’agacement de numéro trois à la vue de la pluie transformant en gadoue infâme la neige immaculée des premiers jours, la brochette d’enfants surgissant dans l’appartement quelques secondes avant les douze coups de minuit pour souhaiter à leurs parents une très bonne année, les débuts de crise de nerfs quand il s’agit de faire entrer dans le casier à skis et tenir en équilibe les cinq paires de chaussures, les skis et les bâtons et de le refermer avant de recevoir sur la tête l’un ou l’autre des objets auquel on a réussi péniblement à trouver une place, l’immense chaudron installé sur la place du village et dans lequel chauffait des dizaines de litres de vin chaud offert par la municipalité aux amateurs le 31 décembre, le bonheur éclatant de tous les enfants d’avoir réussi leurs épreuves de ski et le premier dîner de l’année 2012, entre adultes, dans un restaurant dans une ambiance chaleureuse et décontractée.
Le trio a retrouvé le chemin de l’école et les parents celui de leur bureau respectif. Depuis qu’ils sont rentrés, le vent souffle avec violence sans discontinuer. La maison craque, gémit, bouge. Elle est comme un voilier pris dans une tempête atlantique. Les sorties en vélo avec la grosse boule de poils deviennent assez sportives. Elles leur rappellent les moments passés à pédaler face au vent et à la pluie le long de la côte ouest de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande.
Très bonne année 2012 !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner