Chronique d’un gâteau marbré six mains, trente doigts

salomon2.jpgRéaliser un gâteau, même s’il est marbré, est, me direz-vous, une tâche qui s’apparente à un jeu d’enfant. Mais lorsque la confection du gâteau s’effectue avec trois enfants encore jeunes, les choses, croyez-moi, deviennent infiniment plus complexes et, bien vite, vous avez le sentiment d’être devenue une maman, revisitant le procès de Salomon.

madame bonheur10.jpgQuand, par une mâtinée d’un samedi de juin froid et pluvieux, vous offrez à votre tribu de jouer les apprentis pâtissiers, vous vous êtes forcément levée du bon pied, êtes d’une humeur radieuse, habitée par une force de relativisation des petits désordres matériels très largement supérieure à son niveau habituel et, par-dessus tout, désireuse de ne pas faire comme qui vous savez. « Qui vous savez » avait le don de tuer dans l’œuf, toutes vos initiatives culinaires et ménagères, sous prétexte, qu’après votre passage, l’herbe ne repousserait pas. atila.JPGBref, vous avez envie de contenter vos enfants, de les laisser se lancer dans une aventure à six mains et de vous faire plaisir en les regardant confectionner ce gâteau que vous serez ravis, tout à l’heure, de partager au goûter.

Ingredients-2.jpgVous commencez par sortir tous les ingrédients : un yaourt nature, des œufs, du beurre, de la farine, du sucre, la moitié d’un citron, un sachet de sucre vanillé, de la levure chimique et de la poudre de cacao non sucrée. Vos enfants s’installent autour de la table en bois de la cuisine. Si vous posez l’addition suivante : six ans et neuf mois+cinq ans et deux mois+deux ans et sept mois, vous aboutissez à un total de quatorze ans et demi. Ce n’est pas l’âge du capitaine mais le nombre d’années cumulées par le trio. Vous vous dîtes qu’à cet âge-là aucun d’entre eux n’aura plus besoin de vous pour aller tutoyer les sommets sucrés d’un Pierre Hermé ou d’un Gontran Cherrier.

 

 

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Vous passez à chacun un beau tablier autour du cou. Comme vous vous en doutez, cela n’empêchera pas les bas des manches de tremper dans la pâte grasse et sucrée. Même quand on les remonte largement au-dessus des coudes, elles finissent toujours par revenir au point de départ. Maintenant si vous voulez vous mettre à l’abri de toute contestation, voire revendication de droits bafoués, vous avez tout intérêt à faire porter toute votre attention sur qui fait quoi. Les deux plus jeunes sont debout ou assis sur des chaises. Seule l’aînée, à votre gauche, est campée sur ses deux pieds en contact avec le damier noir et blanc. Elle est pieds nus. Inutile de vérifier. Vous le savez.

enfant cuisine.gifUn, deux, trois, partez ! Honneur au plus jeune. Numéro trois ouvre le feu. Il renverse le contenu de son yaourt dans le saladier en grès. Numéro deux va laver et essuyer le pot. Numéro un remplit un premier pot de sucre, l’ajoute au yaourt et commence à mélanger. Numéro trois remplit, à son tour, le pot de sucre. Il le verse en pluie dans le mélange laiteux. Il touille si énergiquement, si virilement, que le mélange blanc et sucré est projeté dans les airs avant de retomber en gouttes épaisses sur la table et les cheveux de ses deux sœurs auxquelles l’incident arrache, instantanément, un fou rire des plus contagieux. Le relais est passé à numéro deux qui remplit son pot de sucre, le renverse et remue avec application. Trois index plongent au fond du saladier pour goûter la mixture. Numéro un trouve cela trop sucré. Numéros deux et trois apprécient.  sucre.jpg

Les œufs entrent en piste. C’est une chance ! Il en faut trois ! Chaque enfant tient son œuf dans le creux de sa main. Numéro deux se jette à l’eau en premier. L’opération est parfaitement réussie. Aucun bout de coquille n’est à repêcher dans la pâte. Numéro un s’exécute à son tour et réalise aussi un sans faute. C’est au tour de numéro trois. oeuf_casse.jpgIl frappe trop doucement l’œuf contre le bord du saladier. La coquille résiste. Numéro un vole à son secours. Elle emprisonne délicatement la main de son petit frère dans la sienne. Elle tape fermement l’œuf sur le bord du récipient et la coquille cède. Jaune et blanc font le grand saut. Numéro trois est fier. Numéro deux rouspète car numéro un a aidé numéro trois et que c’est comme si numéro un avait cassé deux œufs !
À ce stade de la préparation, les enfants n’ont pas envie de goûter la pâte.

farine2.jpgVoici, à présent, le tour de la farine dont on aura, préalablement, découpé la partie supérieure de l’emballage en papier, pour faciliter le travail de remplissage du pot par les enfants. Numéro un, numéro deux et numéro trois remplissent le pot, vident le contenu dans le saladier et mélangent jusqu’à ce que la pâte soit homogène. Tandis que vous êtes occupée à sortir du four le moule à cake dans lequel vous avez mis le beurre à fondre, des dizaines de petits doigts se sont amusés à se rouler dans la farine. C’est si doux ! C’est si tentant cette poudre blanche ! Des doigts, la farine est passée aux cheveux dont certaines mèches sont déjà toutes blanches. Ambiance grand siècle garantie !perruque.jpg

Doucement, vous renversez le beurre fondu dans la pâte et commencez, encore plus doucement, à tourner le fouet. Vous ne voulez pas que du beurre vienne brûler le dos d’une petite main. Alors qu’une large nappe de beurre flotte encore à la surface de la pâte, votre numéro deux y plonge sa main pour y repêcher la moitié du citron qu’elle a laissé tomber. Par bonheur, elle ne s’est pas brûlée. Sa main est seulement dégoulinante de beurre. Vous lavez la main beurrée et revenez à votre gâteau. Vous touchez au but. Numéro deux finit de presser sa moitié de citron, tandis que numéro un ajoute le sucre vanillé et numéro trois la moitié d’un sachet de levure chimique. Il vaut mieux en mettre moins que plus. La levure peut agacer certains palais chatouilleux.

cacao.jpgSur votre table, il ne reste plus que le roi cacao enfermé dans une boîte ayant, autrefois, contenu du thé. Avant que vous n’ayez eu le temps de les avertir, numéro un a ouvert le couvercle de la boîte et en a approché son nez. Après avoir inspiré fortement, elle se met à éternuer bruyamment. La poudre de cacao s’offre un voyage exotique au pays des sinus. Remis de ses émotions, numéro un transvase une partie de la pâte blanche dans un autre récipient. Numéro deux jette trois grosses cuillères à soupe de cacao dans l’une des deux pâtes et numéro trois mélange doucement, soulevant, au passage du fouet, des nuages cacaotés. Enfin, chaque enfant verse une louche de pâte blanche ou noire dans le moule à cake. La pâte est désormais autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du moule. On dirait les versants d’un volcan, après une éruption ! Le gâteau part au four. L’heure de la curée retentit. Les enfants se jettent sur les récipients pour lécher la pâte restante. Numéro deux a attaqué les branches du fouet. Numéro un achève de nettoyer la spatule. Quant à numéro trois, il a les deux mains couvertes de pâte. Inutile de leur demander si c’est bon, leurs visages parlent pour eux.

peau d'âne.jpgUne idée vous vient. Pour la prochaine épiphanie, vous proposerez aux enfants de se déguiser en princesses et en prince, réaliserez une belle galette tout en reprenant en chœur la chanson du cake d’amour de Peau d’Ane et y glisserez un anneau.

Les tabliers partent directement à la machine. L’aspirateur a raison de la farine. Très vite, une délicieuse odeur se répand dans toutes les pièces de la maison. Parfumé, moelleux, le premier gâteau marbré du trio est un délice dont vous pouvez les féliciter. Bien sûr, quand la dernière bouchée à peine engloutie, vos enfants vous réclament pots de peinture et pâte à modeler, vous marquez un temps d’arrêt, prenez une large respiration et priez pour que le soleil sorte enfin et qu’ils puissent gambader dans le jardin !

Anne-Lorraine Guillou-Brunner