Chronique d’un Noël passé et d’une nouvelle année commencée

La pluie tombe avec force sur les tuiles de la maison. Le plateau est vert et détrempé. Je n’ai pas réussi à sortir avec notre Fantôme pour lequel nous nous sommes fait beaucoup de souci. Une bactérie attaquait son système digestif. Il avait beaucoup maigri. Nous l’avons veillé comme on le fait pour tout proche malade. Lui administrer ses quatre seringues par jour de pansement gastrique n’est pas facile! Nous nous y mettons à deux. Le sol est constellé de petites taches blanches et la pâte lui fait une belle barbe autour de la bouche. Je lui prépare du blanc de poulet ou du poisson et les antibiotiques sont dissimulés dans du jambon. Au début, il ne bougeait plus. Je devais lui donner à manger en mettant la nourriture au creux de ma main. Je me levais la nuit pour m’assurer que tout allait bien. Le matin, je le trouvais exactement là où je l’avais laissé. Et puis, vendredi, il était au bas des marches quand je me suis levée. Preuve qu’il commençait à aller mieux.

Le vendredi, j’étais à fond de cale et sentais que le bénéfice du séjour dans le Finistère s’était vite envolé. J’ai hésité à annuler ma présence à la rencontre des jeunes lycéens de l’aumônerie mais je ne trouvais pas ça chic de leur faire faux-bond à la dernière minute et, par ailleurs, ces moments sont très nourrissants. A la fin des rencontres, nous allons prier dans l’église éclairée par les bougies. Les paroisses ne chaufferont pas cet hiver les maisons de Seigneur. La jeune fille à mes côtés était transie et l’Esprit Saint ne nous réchauffait pas. En rentrant, j’imaginais les enfants, leur mamie et Stéphane autour d’un bon feu de cheminée. En effet, il y avait un feu réconfortant mais une odeur de fumée acre flottait dans l’air. Victoire était couchée et Louis aidé de Léo finissait de monter les nouveaux meubles de sa chambre. J’essayais de prendre sur moi mais c’était dur. Un peu avant 23 heures, les garçons avaient terminé. Louis était aux anges. Une mamie était allée dormir dans la chambre de Céleste.

Le samedi, je recevais une jeune étudiante partie à Tours. Ensemble, nous arrivions à trouver l’origine de ses crises d’angoisse. Une mamie profitait de l’une de ses petites-filles tandis qu’Olivier, le professeur de piano de Stéphane et de Louis était arrivé. Les énormes cartons barrant la porte d’entrée avaient disparu. En fin d’après-midi, Louis accueillait trois de ses amis venus l’entourer pour fêter ses 15 ans avec un peu d’avance. Hélène, la maman de Mala, restait avec nous pour l’apéritif avant que toute la bande ne quitte la maison pour le cinéma. Les jeunes sont allés voir un film d’horreur et nous Les femmes du square. Ce film raconte le quotidien de nourrices souvent étrangères et sans papier à Paris. Les familles qui leur confient leurs enfants et l’entretien de leur appartement ne se comportent pas toujours de manière honnête. L’une d’entre elles décide de prendre la défense d’une nourrice dont les employeurs ne respectent pas le contrat de travail. Ce sujet aurait pu être traité avec plus de profondeur tout en conservant sa note légère et acidulée. Les actrices sont épatantes. L’énergie et le charme d’Eye Haïdara font merveille. Vidal Arzoni qui joue le jeune Arthur, fils ainé de Léa Drucker, est épatant comme le sont toujours les enfants.

Nous avons ri. C’était le but. Les garçons ont eu peur. C’était le but. Louis et Erwan étant partis sur la moto sans manteau alors qu’un froid humide nous cueille sur le parking, Stéphane donne sa veste à Erwan et je donne mon manteau à Louis. Nous ramenons Mala qui a une entorse. Le reste de la bande file au McDo. Pas d’anniversaire réussi sans malbouffe! Stéphane et moi dormons sur le canapé-lit du bureau pour que deux des amis de Louis puissent utiliser la chambre jouxtant celle de Louis. Si le groupe se couche à 3 heures du matin, il ne nous empêche pas de dormir. Dimanche. Il a gelé. Le ciel est magnifique. Je file à la boulangerie et en reviens avec des munitions pour le petit déjeuner. Je laisse Stéphane et sa maman bavarder et pars à la messe où je retrouverai Victoire qui, la veille, à Orléans, avec des amis, préparait les JMJ 2023 au Portugal. C’est la journée du Secours catholique et j’achète des produits vendus dans le fond de l’église. Les scouts d’Europe sont présents. J’ai été scout quand nous vivions dans la Sarthe mais scout de France. J’étais Jeannette. Encore aujourd’hui, je conserve un excellent souvenir des célébrations en plein air mais je n’aimais pas les nuits sous des tentes militaires déployées dans des champs boueux. La vie en plein air, oui mais à condition que l’environnement soit agréable! Les scouts occupent les premiers rangs avec le groupe de catéchisme des cinquième qui ensuite iront préparer des couronnes de l’Avent pour le prochain dimanche. Je regarde avec joie les tout nouveaux confirmés qui occupent différentes missions dans l’assemblée. Hubert est servant de messe. Gwénégane, Iris et Dylan sont animateurs du groupe des cinquièmes. L’homélie de Xavier est très belle et fait réfléchir sur la notion de service. Dans le dos de sa chasuble, l’Afrique brodée avec des couleurs chatoyantes.

A la maison, Stéphane a essayé de faire un feu et toujours cette odeur forte. Les réparations de cet été n’ont pas porté leurs fruits. Il va falloir à nouveau ouvrir pour comprendre d’où vient la fumée qui s’échappe du conduit. Nous étions tous si heureux de redonner à la maison son coeur et son âme! Après le déjeuner, une mamie reprend la route de la plaine de l’Ain. Ce n’est pas un temps très agréable pour conduire et la nuit sera tombée quand elle rejoindra une maison où les enfants et moi avons passé de nombreuses vacances et des ponts à rallonge. Tant que les enfants n’avaient pas de travail, on pouvait y aller plus facilement. La mamie des enfants devait passer Noël dans le Gard avec nous. Les deux dernières années, elle était avec sa fille et les siens en voyage ou en Roumanie. Mais, la soeur de Stéphane a eu envie de retrouver l’ambiance de la maison de famille pour Noël et Claude accueillera aussi l’une de ses amies qui est seule pour les fêtes.

Depuis que je suis mariée, nous avons surtout fêté Noël dans l’Ain ou dans le Loiret et rarement dans le Gard. Cela fait dix ans que notre maman n’a pas réuni ses deux filles et presque tous ses petits-enfants dans sa maison. Elle espère que la chaudière va tenir le choc car il peut faire très froid dans le Gard à Noël quand le Mistral s’en mêle. Charlotte va enfin vivre un Noël chez sa grand-mère, un Noël résolument chrétien avec une messe dans l’église où Céleste a reçu le baptême. Notre maman va ressortir des cartons tous les sujets auxquels elle tient dont le petit ange que son papa lui avait envoyé pendant la guerre. On ira prendre l’apéritif dans le petit salon jaune et écouter des chants de Noël. Quand nous redescendrons par l’escalier à vis toujours glacial en hiver, le Père Noël sera passé et Charlotte sera ravie. Nos enfants penseront à Louise qui sera dans l’Ain. Les cousins ne se sont pas beaucoup vus cette année mais ils échangent très régulièrement.

Une nouvelle année devant nous, un Noël déjà derrière nous. Tous les sapins, avec ou sans racine, ont perdu de leur superbe. Leurs branches plient sous le poids des décorations. Parfois, une boule dégringole, emportant avec elle de longues aiguilles encore vertes et parfumées. Le sapin compte les jours qui lui restent à être le roi du salon. Comme dans l’histoire qui a fait pleurer des générations d’enfants, il achèvera bientôt sa courte existence, seul et nu, sur un bout de trottoir ou dans l’âtre d’une cheminée. Peu d’épicéas ou de Nordmann auront la chance d’être replantés dans la terre froide et dure d’un jardin.

Pour les rois mages, partis d’Orient, la longue route touche à sa fin. Encore un peu de patience et Gaspard, Melchior et Balthazar, un genou en terre, se prosterneront devant l’enfant Jésus et lui feront présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

La veille de Noël, des petits enfants se sont levés plus tôt qu’à l’accoutumée. Ils se sont précipités sur leur calendrier de l’Avent pour y ouvrir la dernière case et lui arracher l’ultime sujet en chocolat cachant une image. Dehors, le redoux avait fait fondre la neige et emporté avec lui le bonhomme ventru. Il n’en restait plus que le nez carotte et les cailloux yeux et boutons de gilet. Heureusement, on avait pensé, la veille, à remettre en bonne place, le chapeau de paille de mamie et l’une des jolies pipes héritées de l’un de ses oncles. L’attente serait insupportable. Ce 24 décembre n’en finirait pas. Ce serait vraiment le jour le plus désespérément long de toute l’année.

Avec une infinie lenteur, les aiguilles des horloges ont fini par avoir raison des heures dévolues au jour. La nuit est tombée. Aucune bûche ne flambe dans la grande cheminée. Les enfants ont fait interdiction à leur papy de démarrer un feu, de crainte que le Père Noël ne passe son chemin. Le sapin scintille. Il est beau. Il sent délicieusement bon. Dans la crèche, les santons, immobiles, attendent la naissance imminente du fils de Dieu. On s’active en cuisine. On met une dernière touche à la décoration de la table. Une bougie par ici, un joli centre de table par-là. Des hommes ouvrent des huîtres. A la bretonne, petit couteau de cuisine et main enrubannée dans un torchon. A la parisienne, couteau spécial et gant, façon côte de maille. Des femmes préparent la table des petits. Dans un instant, elles s’éclipseront sur la pointe des pieds. Elles s’enfermeront dans leur salle de bains et en ressortiront en tenue de soirée, sur la pointe des talons. Les enfants, eux, tournent en rond. L’attente est telle qu’elle mobilise tout leur être. Enfin, ils sont invités à se réunir dans leur chambre pour entonner des chansons et déclamer des poèmes pour faire venir le Père Noël. Désireux de faire de leur mieux, chacun se met debout quand vient son tour. Seul, face aux autres, chaque enfant chante ou dit sa poésie. Leur tension est visible à leurs petits doigts qui s’entortillent entre eux.

Derrière la vitre de leur porte, des ombres passent, furtives et longues. Tout à coup, un papa fait irruption dans la pièce s’exclamant : « Les enfants, je l’ai vu ! J’ai vu le Père Noël ! Il est passé par-là ! ». Les enfants se lèvent, précipitamment, pour tenter de le surprendre. Peine perdue. Ils l’ont loupé mais le papa leur montre, dans le ciel, la poussière d’étoiles laissée par son traîneau. Les enfants ne savent pas s’ils sont tristes ou rassurés de ne pas l’avoir vu pour de vrai. En rentrant dans la maison, ils y découvrent les paquets tant attendus. Leurs yeux pétillent de joie. Ceux des adultes encore plus. Une petite fille s’étonne que le Père Noël ait oublié son landau, pourtant mentionné sur sa liste, une autre qu’il soit passé à côté de son poupon avec sucette et encore une autre, sortant tout juste de ses cadeaux d’anniversaire, trouve que le Père Noël aurait été bien inspiré de lui offrir autre chose que des livres, des CD et de la pâte à modeler rebondissante. La voix d’un adulte qui se rappelle l’histoire de Michka, le petit ours, s’élève pour leur rappeler leur chance d’être gâtés de la sorte. Un petit garçon de deux ans, à plat ventre, sur un paquet plus grand que lui, tant dans la largeur que dans la longueur, se démène avec des kilomètres de papier pour mettre à jour un établi avec tous les outils. Derrière eux, des adultes s’embrassent en se remerciant sans que leurs enfants trouvent cela déconcertant. Dans les flûtes, le champagne se réchauffe tandis que les bulles continuent à pétiller en remontant rapidement à la surface. Dans la cuisine, les huîtres attendent le jus de citron ou le mélange échalotes vinaigre de vin qui signera leur arrêt de mort. Maintenant, l’excitation retombe. Les enfants jouent et les parents les regardent tout en portant enfin à leurs lèvres le champagne qui est encore assez frais.

Le lendemain, les enfants et les parents dorment, sauf dans les familles où le Père Noël ne dépose ses cadeaux que dans la nuit. Maintenant que Noël est passé, le temps semble retrouver une forme de sérénité et nous aussi, malmenés que nous étions par son côté rouleau compresseur. Il passe tranquillement. On dirait qu’il veut savourer chaque minute avant le grand saut vers 2010. L’heure est au bilan, aux bonnes résolutions.

Minuit est là. Déjà ! Tout à la bonne humeur de la tablée et à la dégustation d’un incroyable plateau de fruits de mer, nous ne nous en étions pas rendus compte. Nous nous embrassons. Des verres se rencontrent. Dans notre dos, des enfants se livrent à mille et un découpages. D’un grand canapé, on voit dépasser quelques mèches de cheveux dorés et la petite main d’une petite fille que le sommeil est venu ravir. Je ne serais pas étonnée que, dans son rêve, elle ait rejoint Casse-Noisette.

Trois heures du matin. Nous rentrons. Les enfants s’endorment dans la voiture. Hormis la rue Oberkampf et quelques poches dans le quartier latin, Paris est calme.

Un très agréable premier janvier en famille et nous voici de retour chez nous. Avec de l’avance, les enfants installent les rois mages devant la sainte famille. Avec de l’avance, encore, nous célébrons, dans la gourmandise, l’Epiphanie. Le hasard a bien fait les choses : la galette ne compte pas moins de trois fèves qui auront l’intelligence de se répartir entre trois enfants !

Hier, en fin de journée, nous vérifions les contenus des cartables, y glissions une serviette de table, signions les évaluations. Une aînée ré-écrivait les mots en vue de sa dictée. Une cadette rangeait les vêtements de ses poupées et un benjamin construisait une maison avec des Lego. Sucrette, le poisson rouge, nouveau venu chez nous, tournait en rond dans son bocal sans gravier de couleur, sirène ou herbe en plastique. Les enfants allaient reprendre le chemin de l’école et de la crèche. Une nouvelle année s’ouvrait et, cette fois-ci, nous allions essayer de replanter notre petit sapin car, vous l’aurez compris, je n’ai jamais aimé que meurent les arbres de Noël !

Bonne année 2010 à vous tous !

Anne-Lorraine Guillou-Brunner