Chronique d’une vraie première impression d’été dans le souvenir d’une profession de foi

 

IMG_20150604_075254.jpgCinq heures, mes yeux s’ouvrent. J’entends les oiseaux qui célèbrent les premières lueurs de l’aube. Dans la gare du sommeil, un long moment, le train m’attend. Le chef de gare me fait des grands signes mais je ne bouge pas. Je n’ai pas envie de monter, de m’asseoir dans le sens de la marche, côté couloir, et de fermer les yeux. Il n’insiste plus. Il siffle le départ et le train s’en va. La gare est vide. Je me lève. Je tire les rideaux. J’ouvre la fenêtre. Je pousse le volet. Une délicieuse odeur de foins coupés et d’herbe humide pénètre dans la chambre. Dans la salle de bains, les vêtements des enfants se sont entassés en une petite montagne de couleurs. Les bords du lavabo collent : des restes de dentifrice rose ! Je me lave le visage en mode scout, mains et eau froide. J’enfile à la va-vite un pantalon bleu, un tee-shirt, une polaire, noue mes cheveux en une sorte de couette-chignon et avance à pas de loup en direction de l’entrée. Un coup d’œil glissé par la porte ouverte des enfants. Leur respiration est paisible. Les doigts de Louis bougent. Il rêve. Je reviendrai dans une heure réveiller notre collégienne et, comme tous les matins, elle résistera férocement à l’appel ! Fantôme m’a vue. Sa queue se met à battre régulièrement sur les dalles. Je m’approche. Il se laisse glisser sur le dos et je le caresse longuement. Je vais chercher mes baskets. Il se redresse. C’est l’heure de la promenade, celle qu’il préfère, au point du jour. Avec son énorme fourrure, sa crinière de lion, il ne peut pas sortir quand il fait trop chaud.

 

Alexandre 2.jpgDehors, il fait tout à fait jour. Les pivoines sont lourdes. Les roses s’ouvrent. Je laisse le vélo. J’ai envie de marcher. Je tourne la clé des champs dans la serrure du portillon vert. Tout de suite à gauche, je prends le petit chemin qui descend en pente douce jusqu’à la lisière d’un bois. Fantôme fait toujours la course en tête. C’est lui le berger. Il mène sa brebis ! Il connaît tous les chemins, tous les itinéraires et, quand une route se divise, il essaie de deviner si le troupeau prendra à droite ou à gauche. Le blé et l’orge ont muri. Je regrette le grand champ de trèfle incarnat de l’année dernière. Le colza commence à sécher, lentement. Dans ces moments-là, je m’attends toujours à rencontrer Alexandre, Alexandre le bienheureux. Il se serait assoupi près de son tracteur ou, pourquoi pas, près de la cabane du pêcheur. Je lui tapoterai doucement l’épaule pour qu’il se réveille et ne soit pas mis à l’amende par sa femme qui le mène à la baguette. Son petit chien et Fantôme joueraient tous les deux. Mais si Alexandre est bien là, c’est dans mon esprit. Devant la cabane du pêcheur, la mare qui se couvre de nénuphars renvoie le visage de la lune qui décroit et d’un long nuage rose. Les iris sauvages sont fanés. Des têtards s’agitent. Une chouette s’envole. Rosalie, la truie, dort encore dans sa petite maison sous les arbres. Elle a remué la terre avec tant d’application qu’on se croirait dans les Ardennes pendant la grande guerre. Les chèvres et les moutons détalent en voyant Fantôme. Une armada de lapins rentre vivement sous un tas de bois.

 

IMG_20150605_060320.jpgIl doit être 5h50 et le soleil commence à glisser ses rayons au-dessus de la ligne d’horizon. La lune le salue. Il lui sourit. Ce matin, l’air sent les foins coupés, les herbes humides, la menthe et le tilleul. Cela sent l’été de nos enfances. Ces étés où nous étions assurés de voir l’anticyclone des Açores prendre position au-dessus de nos têtes du mois de juin à la fin de septembre. Nous ne nous posions pas de question : il ferait beau et, en Bretagne, il ferait même beau plusieurs fois par jour ! Ce bleu persistant, cette vraie chaleur, cela devenait presque lassant. C’est avec une joie mêlée à de l’excitation que nous accueillions ces violents orages du 15 Août. La Vierge Marie venait juste de gagner le ciel, de rejoindre et son fils et le Père que les orages éclataient. Les éclairs pouvaient être si puissants qu’il ramenait le jour au cœur de la nuit. Nous aimions la fraîcheur des nuits qui suivaient ces premiers orages. On pouvait encore profiter des dîners en terrasse mais la « petite laine » s’imposait.

 

rentree scolaire.jpgDans nos têtes, dans nos cœurs, ces orages signaient la fin de la très grande récréation des vacances. Bientôt, on irait acheter les fournitures scolaires et quelques vêtements neufs. Bientôt, ce serait le temps de l’école, le temps d’une nouvelle maîtresse adorée ou détestée, le temps du tableau noir, le temps de la craie qui crisse, le temps des appréciations rouges dans les marges, le temps des jeux de billes et de l’élastique, le temps des pieds prisonniers de souliers fermés, le temps de nouvelles amours et, pour ma sœur et moi, souvent, aussi, le temps d’un nouveau départ…mais, à ça, nous nous interdisions de penser. Cela ne servait à rien d’anticiper sur un événement toujours vécu difficilement et de savoir que si nos cœurs demeureraient fidèles à ceux que nous laissions, nous serions vite oubliées par ceux qui restaient ou remplacées par de nouveaux. La nature a horreur du vide !

 

fantome pf .jpgJe n’ai pas vu Alexandre le bienheureux, alias Philippe Noiret, endormi près de la cabane du pêcheur mais Fantôme, lui, a aperçu un chevreuil et le voilà qui s’enfonce tête baissé, tout poitrail dehors dans le grand champ de blé. Je vois les oreilles du chevreuil. Je ne vois plus la tête de Fantôme. Je l’appelle. Je siffle. Je tape dans mes mains. Le champ ondule. Il en ressort, la langue pendante, écumant, les pattes tremblantes et les flancs haletants. Je le sermonne. Je ne veux pas qu’il prenne les animaux en chasse. C’est trop dangereux car il peut ressortir de l’autre côté du champ alors qu’un véhicule est sur la route, le percuter, être tué et blesser le conducteur et ses passagers. Il va recommencer encore deux fois. L’instinct de l’animal l’emporte sur l’envie de faire plaisir à sa brebis !

 

IMG_20150604_203747[1].jpgJe marche à présent sur le chemin que nous avons emprunté hier soir avec les enfants. Après le dîner, il faisait si beau que nous sommes tous partis pédaler. Les enfants étaient déjà en pyjama. Les enfants se sont amusés à recevoir les gouttes d’eau de l’arroseur automatique non loin de champs plantés d’échalotes. Le trio se souvenait avoir vu, cet hiver, des femmes Roms pliées en deux et plantant une à une les échalotes dans la terre. Il avait été impressionné par le travail qu’elles accomplissaient. De ces femmes, on ne voyait que les fesses cachées sous de grandes jupes colorées.

 

IMG_20150531_094420.jpgAvec Fantôme, nous rentrons. Je m’installe un moment sur la terrasse le temps que l’eau du café ait chauffé. Tout est si calme ! Quel contraste avec ce que fut la maison le week-end dernier. Nous accueillions famille et amis autour de Céleste faisant sa profession de foi. Le samedi soir, à 23 heures passées, sept enfants continuaient à sauter dans le trampoline tandis que des parents revisitaient leurs souvenirs de voyage de noces et que l’Afrique s’invitait à notre table. J’avais du sonner la cloche. Demain, je serai sur le pont de bonne heure. Quand, le dimanche matin, les amis s’étaient levés, tout était prêt. Il ne restait plus qu’à piquer des marguerites dans la belle tresse africaine faite par Nadège avec les cheveux de Céleste. La magnifique chevelure dorée de notre aînée avait conservé des reflets verts. Le vendredi soir, avec la chorale du collège, elle était sur scène et, dans une ambiance surchauffée, les collégiens revisitaient les tubes d’ABBA. Les jeunes étaient tous habillés en disco et je plaignais ceux qui portaient des perruques. Un de leurs professeurs de français, Cécile, prêtait son talent et son humour à Aphrodite chargée d’expliquer à ceux qui seraient passés à côté du film et de la comédie musicale « Mama Mia » l’histoire de l’héroïne et des personnages gravitant autour d’elle.

 

deuteronome.jpgAprès deux shampoings, les cheveux de Céleste gardaient des reflets verts si bien qu’il me semblait planter des fleurs directement dans du gazon ! Notre fille était belle dans son aube. Ma filleule, aussi ! Contrairement à ce qui s’était produit le jour de sa communion, la marraine et le parrain ne s’étaient pas perdus entre la maison et l’église située à douze kilomètres dans un autre village. Nous étions tous en avance. Laure et Alexandre, qui ont préparé les enfants pendant une année, avaient également pris en charge la répétition de la veille et l’organisation de la messe. Bien que l’église soit pleine, la température demeurait glaciale. J’avais oublié les fleurs promises, des arums achetés à une vieille dame sur le marché, et je le regrettais car le devant de l’autel était un peu triste. Nous avions laissé Louis chez Nadège. La messe ayant duré plus de deux heures, nous avions pu nous féliciter d’avoir pris cette décision. Quand, au réveil, Céleste, toute chiffonnée par les plis du drap, avait su que son frère ne viendrait pas, elle en avait été triste. En me levant pour lire la première lecture que j’avais sur ma table de nuit depuis une semaine, mon cœur battait si fort que j’avais craint qu’il ne sorte de ma poitrine. Je savais que celui des jeunes anges, assis de part et d’autre de l’autel, battait tout aussi fort. Tout à l’heure, face à l’assemblée, ils liraient leur profession de foi. J’étais épuisée. J’étais émue. Cette lecture, je la leur adressais. A la seconde où je m’étais retrouvée face au micro, mon pouls était redevenu normal et j’avais pu lire comme ma mère me l’avait demandé, en arrivant, avant même de m’embrasser, assez lentement pour qu’on en comprenne le sens. Une des phrases devait faire six lignes. C’est pourquoi j’avais lu et relu ce passage du Deutéronome pour arriver à faire les bonnes ruptures. Cela m’avait rappelé mes années d’enseignement. Quand j’enseignais, je travaillais mes cours jusqu’à pouvoir tout faire sans note.

 

angel.jpgDerrière l’autel, je voyais que ma filleule n’allait pas bien. Elle avait un début de crise de tétanie. Une précédente crise nous avait valu à l’une et à l’autre un passage aux urgences de l’hôpital. De longues heures, elle et moi avions regardé la pluie s’écraser sur le visage du mignon peint sur la fenêtre. Je l’observais lui faisant signe de respirer. Laure et sa maman allaient la voir pour l’apaiser. Finalement, son parrain et moi avions lu à tour de rôle sa profession de foi dont on sentait qu’elle était le fruit d’une réflexion très profonde. Ensuite, elle avait pu se détendre et les crispations dans ses doigts avaient disparu. C’était vraiment émouvant d’écouter ces jeunes exprimer leur foi et leur conception de la vie d’un chrétien avec leurs mots, leur sensibilité. J’étais émue de voir notre fille si heureuse entourée de sa marraine, ma plus ancienne amie (nous nous sommes connus à l’âge de 5 ans à la Martinique) et son parrain, le meilleur ami de Stéphane, celui qu’on peut vraiment appeler un « copain de régiment » car ils étaient tous deux officiers juristes à Fort-de-France. J’étais émue, avec Jean-Jacques, le parrain, de rejoindre notre filleule à l’appel de nos prénoms. J’étais heureuse de pouvoir l’accompagner sur ce chemin de lumière et de réflexion. L’assemblée était particulièrement recueillie, en communion avec ces jeunes anges. J’étais ravie, dans l’assemblée, de croiser le regard tendre, lumineux et profond de l’un de mes cousins. Quelle chance qu’il ait pu se libérer pour partager ce moment avec nous ! Didier, le Père, nous avait parlé du mystère de la sainte Trinité et de la fête des mères avec cette simplicité chaleureuse qui le caractérise. Grâce à Didier, le mystère de la sainte Trinité devenait accessible.

 

IMG_20150531_142306.jpgJe bois mon café tout en continuant de repenser à la profession de foi de Céleste, à la fête des mères, à ce déjeuner si chaleureux qui s’en suivit, à la pluie qui se frayait un chemin entre les branches du prunus sous lequel nous avions installé la table « adultes » et la table « enfants ». Aux deux tables, on déjeunait « kole sere » pour se réchauffer. L’ambiance était joyeuse, légère et anglaise. Stéphane cuisait ses viandes marinées en imperméable et chapeau de gardian. La salade « Farida[1] » du nom d’une de nos amies chères vivant dans le Gard était plébiscitée, de même que les poivrons marinés le samedi à six heures du matin avant la venue d’un patient à huit heures. Le gâteau de Céleste était vraiment réussi : un gâteau au chocolat avec des framboises recouvert d’un second gâteau vanille et myrtilles en forme de couronne. Dans la couronne, des framboises et des myrtilles. Victoire avait décoré de perles argentées le tour du premier gâteau et des ombrelles plantées sur le dessus apportaient de la gaieté. Céleste était absolument ravie par son gâteau. Victoire se lamentait de ne pas avoir eu le temps de goûter la partie vanille et myrtilles et Stéphane, qui n’aime pas les desserts, m’a déjà passé commande du gâteau au chocolat dans lequel j’insère des framboises fraîches avant cuisson.

 

IMG_20150601_132746.jpgLa famille et les amis repartis, la maison rangée, nous étions un peu fatiguée. Enchaîner à quinze jours d’écart une communion et une profession de foi, c’est assez sportif ! Le lendemain, en me levant, je m’étais rendue compte que Woody, un lapin crétin et un mignon avaient eu la bonne idée de finir la bouteille de vin espagnol « Céleste ». Ils s’étaient endormis sur la boîte de gâteaux bretons offerte par Michèle et son mari. Je le savais, la journée serait longue à devenir ce soir !

 

 

 

IMG_20150530_153202.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: je dédie cette chronique à notre fille aînée, Céleste, à ma filleule, Pauline. Je remercie chaleureusement Laure et Alexandre qui ont préparé nos enfants avec l’aide de Didier, Nadège pour toutes ses attentions délicates, soline, la marraine et Pierre, son mari, pour l’apéritif italien, Stéphane, le parrain et Fabienne, sa femme, pour les gâteaux du dîner, Stéphane, le papa, pour ses viandes marinées et son flegme anglais et Farida, pour sa salade!

 



[1] IMG_20150530_153647.jpgLa salade « Farida » est une salade composée de haricots verts, haricots beurre, fèves, petits pois, féta et olives parfumées.