Chronique grippée corse et canine

IMG00117-20110225-1140.jpgIMG00142-20110226-1534.jpgEntre vingt et trente-quatre ans, votre chroniqueuse qui ne semblait pas avoir hérité génétiquement le catastrophisme féminin familial, jugeait sans danger aucun cette grippe si effrayante aux yeux des statisticiens du ministère de l’avenue Duquesne, ce virus qui avait été espagnol, avant de devenir H1N1. Elle n’arrivait pas à comprendre comment la grippe pouvait réussir à précipiter de l’autre côté du miroir les personnes âgées fragiles. Elle, elle faisait exclusivement dans la bronchite qu’elle avait trouvée intelligent de chroniciser par la pratique régulière du tabac et, par deux fois, dans des piélonéphrites qui avaient légèrement inquiété ses parents car sa grand-mère paternelle était partie, encore jeune, d’une insuffisance rénale. En 1964, rares étaient les malades qui pouvaient avoir accès à la dialyse et les greffes étaient encore à leurs balbutiements.

grippe.jpgEt puis, un jour, alors qu’elle poussait en avant son ventre de femme enceinte de sept mois, pour la deuxième fois, elle avait été terrassée par la grippe. Elle n’était pas un homme et pourtant elle avait bien cru mourir tant elle avait mal partout et tant la fièvre qui s’était installée blanchissait ses malheureuses nuits. Sur le moment, elle aurait du prendre les choses du bon côté: à deux mois du terme, elle se mettait déjà dans le rythme nourrisson allaité!

cheval-d-orgueil-1980-09-g.jpgLa grippe s’était réinvitée encore deux fois après cela, l’hiver 2005 et l’hiver 2008. Dans les deux cas, elle avait eu la bonne idée, en mère diablement organisée, de tomber malade après et seulement après avoir soigné toute sa petite famille. Bizarrement, la troisième fois, en pleine fête de Noël, la grippe de numéro deux et celle de son papa avaient été très visibles quand la sienne semblait être passée inaperçue! Récemment, on lui avait dit que c’était sa faute car elle était née bretonne! Ce qui voulait dire qu’elle avait, d’instinct, la résistance d’une des bigoudènes tout droit sortie d’une des pages du « cheval d’orgueil » et la force d’une de ces lavandières capables de braver la mort dans l’eau gelée de la rivière pour y laver ses draps prélablement grisés à la cendre.

aspirine.jpgVoici trois semaines, votre chroniqueuse avait songé, à contre coeur, à annuler le séjour de son trio et le sien en Balagne. A mi-parcours de grippe, le médecin, baptisé docteur grand par numéro trois,  en raison de sa longue silhouette filiforme, avait diagnostiqué une otite moyenne à numéro un et une belle sinusite à la maman. Numéro deux et numéro trois étaient, quant à eux, ressortis avec une ordonnance légère: sirop contre la toux et spray pour le nez. Le médecin lui avait dit, alors qu’elle remplissait son chèque, que la voir là épuisée, blanche comme un cachet d’aspirine, ne parvenant pas à vivre sa grippe tranquille avec son trio malade mais toujours énergique lui rappelait ses souvenirs à lui, souvenirs d’un père qui, avec sa femme, médecin également, en avait élevé quatre! Après qu’il lui ait confié qu’il n’aurait plus la force de recommencer, elle avait pensé à l’Ecclésiaste. il y a un temps pour chaque chose: un temps pour être parent et un temps pour être grand-parent. Si les couples continuaient à repousser toujours plus tard l’âge du premier enfant, viendrait un temps où les grands-parents n’auraient plus l’énergie ni même l’envie et la patience de l’être encore!

refrigerateur.jpgSes enfants n’étaient pas élevés que, déjà, elle s’imaginait sous les traits d’une grand-mère et pour le devenir elle avait deux modèles: sa propre grand-mère et sa marraine. Elle se voyait en grand-mère réussissant le tour de force d’être disponible pour ses enfants quand ils auraient besoin d’elle. Une grand-mère se rendant utile sans jamais peser sur ses enfants, leurs choix, leur mode de vie. Elle aimerait les épauler sans verser dans la critique, sans jouer les donneuses de leçon. Elle aimerait pouvoir garder ses réflexions pour elle comme par exemple: « tu ne crois pas qu’il conviendrait de changer les draps des lits des enfants? » ou bien encore  » J’ai comme l’impression que tes serviettes sont les mêmes depuis dix jours » et encore « tu as vu la quantité de nourritures périmées que tu gardes dans ton réfrigérateur! ».

Avec son petit neuf de tension, le docteur grand avait jugé un peu prématuré son départ pour la Corse. Se rappelant le message de Jean-Paul II, elle avait décidé de ne pas avoir peur!

Air-France-KLM-partenaire-de-Paradox-Voyages-pour-des-promotions1.jpgLe dimanche, en fin de mâtinée, ils s’étaient enregistrés au comptoir d’Air France. L’hôtesse était aussi avenante que un docker de la SNCM syndicalisé jusqu’au trognon et, si possible, en phase de conflit ouvert. L’hôtesse se souciait davantage du confort des animaux que de celui des enfants. La maman avait pensé que l’hôtesse n’avait pas encore été traversée par les joies de la maternité et que chez elle devait l’attendre un gros chat persan, lové au milieu d’une couette couleur taupe. Le papa était là. Il convoyait les siens et aidait jusqu’au moment de l’embarquement. Pour une fois, c’est lui qui s’était désigné pour préparer le pique-nique. Il avait été absent quinze jours et, à nouveau, la famille serait séparée une semaine. Son travail ayant le don, depuis de longs mois, de la placer dans un état assez limite et de réduire à néant, parfois, ses réserves de patience, la maman pensait que, finalement, les éloignements pouvaient avoir du bon.

carte-afrique1.jpgEntre une maison de la presse et une cafétéria, ils avaient trouvé une série de sièges dont la couleur violette était à l’unisson des vêtements de numéro un et de sa maman. Ils regardaient les avions immobiles sur un tarmac humide. Après avoir fait trois navettes entre les sièges et les toilettes, la maman était partie se chercher un journal. A la une du Monde, les conflits dans les pays arabes auxquels un universitaire de Paris VIII ne reconnaissait aucune existence véritable. Cet universitaire tenait un discours prenant le contre pied d’un grand nombre d’observateurs insistant sur le rôle joué par la chaîne de télévision Al Jazira dans la construction d’une unité arabe. L’unité arabe semblait aussi peu réelle que la dite « Union européen
ne »! Tout en tournant les pages du quotidien, elle songeait à tous ces tyrans que la France avait eu le bon goût de recueillir sur son sol et de loger dans ses palais: Bokassa, Khomeiny, Duvalier…

affaire dreyfus.jpgPendant leur tour du monde, son mari et elle n’avaient finalement jamais été surpris d’essuyer les élans haineux d’Israéliens formant leur jeunesse sur les routes du monde après un service militaire longue durée. Pour eux, la France était ce pays farouchement antisémite de l’affaire Dreyfus à la rafle du Vel’ d’Hiv et, par choix économiques, définitivement pro-arabe. Une fois, une seule, son mari et elle avaient tenté de voler au secours de leur pays. Ils avaient mis en avant le « j’accuse » de Zola et rappelé toutes ces vies sauvées par des familles françaises qui n’avaient pas attendu qu’on parle de désobéissance civile pour la pratiquer! Devant le fanatisme des anciens militaires des deux sexes, ils avaient renoncé!

ramper.jpgElle avait replié les grandes pages du journal et l’avait donné à son mari. L’heure du départ approchait. Il fallait penser à se présenter à l’embarquement et embrasser un papa qui, tout à l’heure, serait, pour la première fois, confronté au silence troublant d’une maison privée de femme et d’enfants. Elle avait pris quelques longues respirations et, mentalement, fait ses prières. Dans les boites prévues à cet effet, ils avaient déposé les vêtements, les chaussures, la quincaillerie et les sacs. Les filles avaient passé le portillon de contrôle sans encombres. Numéro trois se refusait catégoriquement à en faire autant. Il voulait passer avec sa mère laquelle tentait de lui faire entendre raison. Finalement, elle était passée la première et il avait suivi. Elle avait du repasser trois fois la porte qui, à chaque fois, sonnait. Elle avait omis de se délester de sa ceinture en cuir noire. Tandis que les filles, gentiment, réunissaient leurs affaires, numéro trois s’était carapaté de l’autre côté de la salle en poussant des cris de Sioux. La maman l’avait difficilement récupéré. Tout ce petit monde avait pris place dans une partie de la salle à l’écart des autres passagers qui cherchaient à s’abandonner à l’ambiance feutrée précédent le vol. Numéro deux et numéro trois tiraient des bords et numéro trois rampait sous les rangées de sièges tel un élève officier. Puis, il s’était mis à plaquer sa soeur qui ne trouvait pas toujours amusant de retomber durement sur le sol. Ils avaient échoué sur les pieds d’un monsieur d’une soixantaine d’années. Le monsieur les avait aidés à se relever tandis que la maman se confondait en excuses. Le monsieur avait souri et lui avait dit que si les gens poussaient de profonds soupirs d’exaspération typiquement français, c’est qu’ils avaient oublié deux choses: un, qu’ils avaient été eux mêmes des enfants et deux, qu’ils avaient eu des enfants!

IMG00164-20110227-0942.jpgEn Corse, elle avait pu mesurer combien les Corses, à l’image des Italiens, aiment les représentants des deux bouts de la chaîne de vie: les enfants et les personnes âgées. Elle avait aussi bénéficié du statut impérial de la maman qui est d’autant plus élevé qu’elle a mis au monde un nombre important de pierres précieuses. Dans un magasin, une dame lui avait dit que les mamans étaient vraiment les héroïnes du quotidien.

2ième REP.jpgDans l’avion, les stewards étaient charmants et l’un d’entre eux avait confectionné pour numéro un des « oreilles de Mickey » pour lutter contre les douleurs aigües ressenties dans les tympans au moment du décollage et de l’atterrissage. D’un côté du couloir, les filles et de l’autre, numéro trois, une Corse et la maman. A la dame très diminuée après avoir subi trois opérations râtées des deux hanches et des deux genoux, elle avait offert de rester côté couloir de manière à soulager ses jambes. La dame lui avait raconté avoir rencontré son mari à Calvi où, Indien de naissance, il était venu s’engager à l’âge de dix-sept ans pour vingt ans au mythique 2ième REP. Pendant plus d’une heure, la passagère aux yeux mordorés lui parle, avec émotion, du seul régiment de légionnaires parachûtistes, des campagnes de son mari, notamment en ex-Yougoslavie et de cette vie de bientôt retraités qui les attend entre Calvi et le nord de l’Inde.

Le vol passe vite. Elle est obligée à trois reprises d’enjamber sa voisine pour conduire les enfants aux toilettes. Le bruit de la chasse d’eau terrorise numéro trois qui évacue sa peur en galopant dans le couloir. Les filles sont calmes et impatientes de retrouver leurs grands-parents paternels et un petit bout de paradis auquel elles ont déjà goûté à la Toussaint. Pour numéro trois, c’est le premier vol et le premier séjour en Corse.

IMG00169-20110227-1051.jpgLe commandant de bord pose son appareil avec une infinie délicatesse. Le quatuor sort sous la pluie et dans le vent. De gros nuages s’accrochent aux montagnes. Certains sommets sont couverts de neige. Les mimosas et les amandiers sont en fleurs. Son odorat est anesthésié par la sinusite. Les enfants se précipitent dans les bras de leur mamie. A Nice, les chars défilent.

La semaine passe vite. Il fait un temps magnifique que le 2ième REP met à profit pour larguer au-dessus de la baie de Calvi des hommes que les enfants s’amusent à compter. De la terre, ils font penser à des légions de méduses brunes. Dans le village, les habitants sont sympathiques et peu avares d’échanges. On s’offre un pique-nique sur la petite plage où la plus célèbre des Falbala fut repérée à l’âge de quinze ans. On la retrouvera, un lundi, à Calvi  avec son mari et ses trois enfants, poussant un caddy entre les rayons d’un supermarché. On sort en vélo. On se laisse dégringoler jusqu’à la plage. Après, bien sûr, il faut remonter! Même sans vitesse et avec des bottes en plastique, numéro deux est devant. Plutôt mourir de soif que de mettre pied à terre. Cet enfant est mûre à point pour un tour de l’Estérel, en plein soleil avec son grand-oncle! Numéro un descend quand elle est fatiguée. Les cinq jours à 40°  l’ont  beaucoup éprouvée et l’otite n’arrange rien. Quant à numéro trois, en bon roi fainéant, il laisse sa mère tirer, à l’arrière de son VTT, ses quize kilos à trois ans et trois mois. De toute manière, c’est une mère qui ne sait pas marcher sans sac sur le dos et pédaler sans être, au minimum, lestée à dix kilos. On hume les parfums de la garrigue. On enlève ses chaussures et on redécouvre le plaisir de sentir les grains de sable caresser la plante des pieds et se frayer un chemin entre les dix orteils. On longe le littoral. On marche jusqu’à la tour génoise. On ramasse des coquillages, des oursins et des bouts de verre polis par le ressac. On se promène dans les rues étroites de Calvi où on a la surprise de tomber nez à nez avec  Dali. On dévalise la marchande de fromages de b
rebis sur le marché à l’île Rousse dont les halles sont en pleine restauration. On a une pensée émue pour ces toiles dérobées par un des gardiens au musée Fesch d’Ajaccio et, sans doute, perdues pour toujours. Une mamie se désespère de trouver pour son petit-fils les Batman dont il rêve depuis des semaines. On s’offre un café, un dimanche, en terrasse car numéro un, timide, ne veut pas entrer dans la salle où des villageois refont le monde. Numéro un photographie avec le téléphone portable maternel. Elle a du talent. En elle, c’est le sang paternel qui parle!

IMG00162-20110227-0941.jpgDéjà, il faut repartir. On est un peu triste et en même temps, on est content de retrouver un papa et un mari et, dés lundi, d’aller chercher de l’autre côté du département le sixième membre de la famille, un adorable berger australien âgé de trois mois déjà baptisé Fantôme par l’éleveur. Cette magnifique boule de poil est le cadeau inattendu d’un mari à sa femme qui ne l’espérait plus.

Eucalyptus.jpgMatin du départ, la Méditerranée est noire comme l’était l’atlantique depuis le port d’Audierne à destination de l’île de sein. Sur le bâteau, une famille et leurs amis accompagnaient un mort jusqu’à sa dernière demeure. L’ambiance était au recueillement et au chagrin. Dans un coin de l’embarcation, celui qui n’était pas encore le mari de votre chroniqueuse et pour lequel cette courte semaine finistérienne était une sorte de baptême du feu observait la scène et ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce que serait sa vie une fois qu’il se serait uni à une moitié de bretonne. Mais, en Corse, à la diffèrence de Sein, le ciel s’éclaircit aussi vite qu’il se charge. Elle se rappelle la belle ville de Christchurch, sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Des images ressurgissent, celles d’un dimanche matin, sur une place derrière la cathédrale détruite par la violence du tremblement de terre. Des familles se promenaient entre les allées du marché artisanal. Une Rolls Royce couleur crème attendait sagement devant la cathédrale que les nouveaux mariés, heureux, déjà plus légers qu’avant d’y pénétrer, en sortent et traversent la rue pour gagner le superbe parc, lieu tout désigné pour une séance de photos.

Hawkswood.jpgLes souvenirs néo-zélandais retournent se ranger dans l’une des nombreuses boites à trésors de son cerveau. Les enfants sont prêts. On a tout, sauf les branches de mimosa qu’on s’était promis de cueillir avant le départ. « Pas grave » lançe numéro un avant de disparaître. Elle revient avec quelques feuilles d’eucalyptus. Elle les tend à sa maman en disant:  » ce n’est pas du mimosa mais cela sent aussi bon! ». La boite à trésors s’ouvre à nouveau. La Nouvelle-Zélande et les pays d’Amérique du Sud étaient couverts d’eucalyptus dont l’odeur est exhalée par la pluie.

françoise Giroud.jpgTrès bonne semaine à vous tous et, comme c’est la journée de la femme demain, une phrase de Françoise Giroud entendue dans la bouche de Gisèle Halimi: « le jour où les femmes auront le droit d’être médiocres, elles auront tout gagné ».

 

Anne-Lorraine Guillou-BrunnerIMG00180-20110303-1449.jpg

2 commentaires sur “Chronique grippée corse et canine

  1. Cette nouvelle chronique est transportante, merci de nous la faire partager !
    Nous sommes le 8 mars alors…Heureuse journée de la Femme à notre Talentueuse Chroniqueuse !

  2. Cette nouvelle chronique est transportante, merci de nous la faire partager !
    Nous sommes le 8 mars alors…Heureuse journée de la Femme à notre Talentueuse Chroniqueuse !

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