Chronique « Profitez-en! Les enfants grandissent si vite! »

 

album_intro.jpgAvant même d’accéder à la maternité, elle avait toujours été saisie par deux phrases courtes revenant telle une ritournelle dans la bouche de certaines personnes âgées et qui s’adressaient à des parents tenant par la main un jeune enfant : « Profitez-en ! Ils grandissent si vite ! ». Le ton était souvent empli de nostalgie. Les personnes qui s’exprimaient avaient, le plus souvent, des visages doux, un regard profond et on sentait qu’elles avaient atteint un degré déjà élevé de sagesse personnelle. Ce que ces phrases ne disaient pas et qu’il fallait deviner entre deux silences, deux respirations, c’était : « Ne soyez pas comme nous à votre âge! Ne soyez pas impatients avec vos enfants! Ne soyez pas pressés de les voir grandir! Vivez les instants présents! Savourez à sa juste valeur chaque sourire, chaque nouvel apprentissage! Ils ne reviendront plus ou alors vous ne pourrez plus les faire renaître qu’en tournant les pages des albums de famille ou en regardant des films ».

 

 

etrange histoire.jpgElle avait également toujours été frappée par toutes les passerelles qui existent entre les âges placés aux deux extrémités de la vie. Ces ponts jetés entre les tout-petits et les très âgés étaient illustrés dans « l’étrange histoire de Benjamin Button ». Le film était long mais l’histoire d’amour presqu’impossible entre un bébé né sous les traits d’un vieillard destiné à mourir sous l’apparence d’un nourrisson et une femme vouée à une destinée des plus humaines l’avait beaucoup émue.  Plus tard, elle avait observé longuement la complicité qui unissait sa grand-mère à ses arrières petits-enfants, la patience qui était la sienne dans les jeux qui étaient les leurs. Elle avait senti, aussi, chez sa grand-mère la douleur d’avoir à quitter ce monde quand ils étaient à l’aube de leur vie. Elle ne l’exprimait pas. La phrase restait en suspens mais une ombre passait sur son visage, voilait ses yeux. Quand elle est partie, son petit dernier avait tout juste six mois. Il n’a aucun souvenir conscient de son arrière grand-mère. C’est également le cas pour sa plus jeune sœur qui s’en désole et se demande pourquoi elle l’a oubliée. Seule leur aînée a conservé des souvenirs de grand-mère Nanette. Le fait qu’ils ne se la rappellent pas ne les empêche pas de l’évoquer. Par petites touches légères, un peu à la manière de Seurat, elle inscrit dans la mémoire de ses enfants les branches les plus hautes de leur chêne généalogique.

 

 

DSC_2063.JPGHier, malgré le froid mordant, elle a, en fin d’après-midi, avant que la nuit ne tombe sur le plateau, accompagné son petit garçon faire un tour de vélo. Comme il était fier de pédaler sans les petites roues ! Comme elle était heureuse de sentir sa joie ! Alors qu’elle le tenait très légèrement par une épaule, elle s’est rappelée toutes ces heures passées à le promener dans le porte-bébé, dans le landau ou dans la poussette quand il était tout petit. Ses deux soeurs âgées respectivement de quatre et deux ans et demi à sa naissance caracolaient en tête. La première était sur une trottinette et la seconde sur un vélo avec petites roues.

DSC_2030.JPGMême si elle n’a jamais voulu qu’ils brûlent les étapes, les enfants ont en effet grandi vite. Elle a oublié certains évènements pourtant importants de leur jeune parcours. Certaines habitudes disparaissaient de son quotidien de maman. Ainsi, les enfants ont-ils fini par intégrer le fait qu’après le bain, on descend les vêtements encore propres dans sa chambre et qu’on met dans la panière ceux qui ne le sont plus. Numéro trois est très heureux de faire un baluchon de ses affaires attachées ensemble par la ceinture d’un peignoir. Elle ne le porte presque plus jamais dans ses bras, bien calé sur sa hanche gauche, ou alors c’est un jeu, associé au temps faussement suspendu des vendredis soirs, et elle les emporte alors  les uns après les autres emmitouflés dans une serviette de bain, de la baignoire jusqu’au grand lit. Après leur passage dans la salle de bains, elle trouve de moins en moins souvent de crachats roses au fond du lavabo, des brosses gluantes et un tube de dentifrice pas rebouché.

 

 

le tableau.pngLa dernière fois qu’elle a entendu cette tendre injonction, ce rappel à l’essentiel, toute la famille était au cinéma. Le film était fini. La lumière était revenue dans la salle. Les personnages du « tableau », les Toupins, les Pafinis et les Reufs avaient fini par trouver l’harmonie entre un grand château éclairé et une forêt finalement pas si menaçante que cela. Assis à côté de son papa, puis sur ses genoux quand il avait eu un peu peur, leur petit garçon de quatre ans avait posé beaucoup de questions. A la fin, il trouvait cela long et il l’avait exprimé haut et fort. Derrière eux, des grands-parents avaient suivi le ravissant dessin animé avec leur petit-fils âgé de dix ans. Avant de partir, la grand-mère s’était adressée à numéro trois pour lui demander ce qu’il avait pensé de l’histoire. Elle l’avait remercié pour ses commentaires de cette belle histoire à la Prévert. Avant de quitter la salle, elle leur avait soufflé : « Profitez-en bien ! Les enfants grandissent si vite ! ».

 

 

tour de pise.jpgCette injonction si souvent entendue l’aide quand, parfois, elle est lasse de prendre soin de son trio, de subir leurs disputes, de les entendre tous parler en même temps et attendre d’elle une attention constante. Grâce à cette ritournelle, elle arrive à sourire quand les vêtements empilés par les enfants au retour de la garderie en une sorte de tour de Pise improbable dégringolent de la chaise et qu’il faut les ramasser un à un, que dans chaque tiroir de la maison et dans presque toutes les poches de ses manteaux, elle trouve des cailloux, des marrons, des glands et des coquillages et que les chaussures de numéro trois sont pleines de grains de sable qui roulent sur les lattes du parquet. Grâce à cette ritournelle, elle parvient à relativiser le fait qu’à la campagne, faute de logistique, son mari et elle ont toutes les peines du monde à s’évader tous les deux.

 

 

enfant .jpgQuand, le soir venu, elle va les reborder, déposer un baiser sur leurs cheveux, les observer quelques instants dans leur sommeil, écouter leur respiration tranquille, elle mesure sa chance de les avoir et la tendre injonction lui revient encore et encore : « Profitez-en ! Les enfants grandissent si vite ! »

nature-morte-a-echiquier-lubin-baugin-vers-1640.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

 

3 commentaires sur “Chronique « Profitez-en! Les enfants grandissent si vite! »

  1. Merci beaucoup pour votre message. Si, par les lignes, vous avez pu voyager dans le temps, je m’en réjouis. A bientôt.

  2. Élever des enfants changent chaque génération. Le monde évolue et les parents doivent accepter cette évolution afin de comprendre leurs enfants. Profiter du temps que les enfants sont encore à leur côté pour mieux les guider dans la bonne direction et les instruire convenablement.

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