Chronique zébrée

Il n’est pas loin de vingt-et-une heure quand Fanny et moi quittons la salle des fêtes de Saint-Firmin-des-Bois. De gros flocons de neige viennent recouvrir les trottoirs, les branches des arbres, la route et nos cheveux. Fanny et moi sommes tels deux sujets colorés retenus dans une boule en verre. La première conférence organisée par l’association des enfants à haut potentiel du Loiret vient de s’achever. C’est Fanny qui en a eu l’idée. Fanny est institutrice. Enfant, elle a détesté l’école et s’est promis, quand elle serait grande, de faire aimer la classe aux élèves et elle y arrive à merveille. Fille de moniteurs de ski et de voile, Fanny a grandi entre mer et montagne, entre la Savoie et la presqu’île de Giens. Ses parents ne lui ayant pas donné un petit frère ou une petite soeur, elle était une enfant solitaire, largement livrée à elle-même qui ne s’ennuyait jamais. Je l’image, l’été, occupée à percer les mystères d’une colonie de fourmis dans la pinède. Fanny a dû attendre sa troisième année de faculté pour, enfin, se passionner pour les matières professées. Il faudra que je le lui demande mais je ne pense pas que Fanny ait souffert d’un « dys » quelconque et si elle s’ennuyait ferme à l’école, elle arrivait à s’ajuster.

Née zèbre, ayant épousé un zèbre, Fanny a porté et mis au monde trois zèbres. Ses numéros un et deux ont sympathisé avec mes numéros deux et trois et c’est ainsi que nous nous sommes rapprochées et sommes devenues amies. Fanny et son mari, en plus de leur métier respectif, sont des fous de musique. Ils ont chez eux un studio et ils ont monté un groupe de Heavy métal. Bientôt, ils iront donner un concert à Lille. Je ne les ai encore jamais entendus jouer et chanter mais quand on les voit tous les deux, on a un peu de mal à imaginer qu’ils donnent dans ce genre de registre! Christophe a des faux airs de troubadours du Moyen Age. Il ne boit pas une goutte d’alcool. Fanny ressemble à une héroïne de légende celtique dotée de pouvoirs magiques. Tous deux sont, par ailleurs, passés maître dans l’art de l’équitation et des sports de glisse et de saut. Fanny et Christophe sont d’authentiques êtres passionnés qui donnent vie à leurs rêves au lieu de les regarder filer tels des nuages dans le ciel depuis la fenêtre de leur salon ouverte sur un grand jardin.

Quand Fanny m’a proposé de m’associer à son projet, j’ai presque tout de suite accepté. Depuis plusieurs années, je suis amenée à recevoir dans mon cabinet de sophrologue en sabots des enfants, des adolescents et des adultes surdoués qui, tous, ont en commun de manquer de confiance en eux, de posséder une hypersensibilité et d’avoir du mal à se concentrer. Cela fait de longues années que ma soeur, par petites touches impressionnistes, m’amène à accepter l’idée que je suis née zébrée et que mes enfants le sont également. Le fait que nos trois enfants aient accédé très jeune au langage, aient joué avec les mots et aient été angoissés par la mort semblent être des éléments signant les enfants dotés d’une très grande intelligence. Quant à mon parcours, il est presque caricatural d’un parcours d’enfant surdoué. Ne croyez pas que je sois vaniteuse, que je me crois sortie de la cuisse de Jupiter ou, plutôt, du crâne de Zeus, fendu par Héphaïstos. Je l’écris avec humilité et quand vous saurez mon parcours, vous conviendrez avec moi qu’une très grande intelligence n’est clairement pas un cadeau!

J’ai su parler très jeune et, dès l’âge de deux ans, je commençais à reconnaître les lettres sur des cubes en plastic de couleur. Au même âge, je ne voulais plus faire de sieste. Ma mère que mon énergie inépuisable épuisait s’évertuait à vouloir me mettre au lit. Je décidais de régler la chose à ma manière. Je sortais de mon lit et allais m’enduire de cirage noir. Tout y passa y compris ma jolie petite robe! Bien des années plus tard, des tranches de vie empilées façon mille-feuilles, je poussais la chambre de Victoire notre deuxième fille et constatais avec horreur que sa soeur plus grande de dix-sept mois l’avait entièrement couverte de rouge à lèvres rouge…Bon sang ne saurait mentir! Après l’épisode du cirage noir, je n’ai plus jamais fait la sieste.

Nous avons quitté Metz quand j’avais deux ans et demi et sommes venus vivre à Paris dans un appartement. Je me sentais prisonnière comme un oiseau en cage. Je me heurtais aux murs. Je collais mon front contre les carreaux et me tordais le cou pour apercevoir un carré de ciel. L’appartement était au rez-de-chaussée et la cour de l’immeuble était bien sombre. Ma mère m’emmenait tous les jours au parc Monceau. Je me liais très vite d’amitié avec d’autres enfants. Les enfants sont toujours venus à moi tels les oiseaux et les animaux autour de Saint François d’Assise. Je sautais, courais, tombais, me relevais, sautais, courais, tombais, me relevais encore et encore avec les genoux et l’intérieur des mains tout écorchés. J’étais maladroite dans mes mouvements et ai su très tard distinguer ma droite de ma gauche. Je rêvais du jour où j’irais à l’école. J’avais, dans ma tête de toute petite fille, littéralement fantasmé l’école. J’étais assurée d’apprendre tant de choses, de nourrir ma curiosité. Quelle cruelle déception! L’école maternelle publique dont je dépendais était essentiellement fréquentée par des enfants dont les parents étaient venus d’Espagne et du Portugal pour devenir les gardiens de ces beaux immeubles haussmanniens de la plaine Monceau. Les institutrices parlaient en espagnol ou en portugais aux enfants et l’activité principale consistait à…dormir! Quel enfer!

Dès le lendemain, je ne voulais plus y aller sans que ma mère en comprenne la raison. Ma mère qui voyait dans l’école le moyen de se soulager enfin de cette petite fille feu follet se mit en colère. Je me jetais parterre en criant que je n’irais plus. Elle essayait de me tirer. Quelle scène terrible quand on songe à la joie qui était mienne d’entrer à l’école! Le surlendemain, je découpais avec des ciseaux à bouts ronds ma robe. Ma mère finit par comprendre qu’il y avait un problème. Je ne mis plus les pieds à l’école de la rue Médéric. Je passais désormais mes années maternelles entre ma mère, ma grand-mère (quand elle ne travaillait pas) et mon arrière-grand-mère. On était vraiment dans un élément maternel! Je regardais des livres, dessinais, peignais, écoutais des disques, cuisinais avec ma grand-mère et m’ennuyais beaucoup. Je regardais les gens qui passaient dans la rue, les chiens, les pigeons, Marie-France Garaud et son mari promenant leur labrador. J’entendais le rémouleur remonter la rue en poussant sa meule et des gens le rejoindre et lui apporter des couteaux à affuter. Le soir, en hiver, je m’asseyais sur un coffre en bois dans l’entrée devant la porte tendue d’un grand rideau de velours bleu et attendais mon père. Il m’apportait des marrons grillés enveloppés dans un morceau de journal. il les achetait toujours à la même dame, avenue de la grande armée.

C’est à Fort-de-France, en CP, que je commençais à apprendre à lire et à écrire avec une méthode traditionnelle, une méthode syllabique. J’étais déjà très dyslexique mais personne ne s’en émouvait. J’écrivais à l’envers, mettais les points des « i » sous leur pied, mélangeais les sons « s » et « c », « b » et « p ». Notre institutrice de CE1 était très dure et elle tirait manifestement un grand plaisir dans le fait de m’humilier tandis que debout, face à la classe, devant le tableau noir, je n’arrivais pas à répondre à ses questions sur les ensembles et les sous-ensembles. Plus elle se moquait de moi et plus mon esprit se fermait aux mathématiques. Ce mur monté entre les maths et moi n’a jamais pu disparaître. C’est certainement à cette femme d’une grande beauté, raciste, rigide et sadique que je dois de ne pas avoir pu faire médecine. En CM1, avant Noël, je me retrouvais au Mans, dans la Sarthe. J’étais toujours aussi dyslexique et les leçons de mathématiques glissaient sur mon cerveau comme la houle sur le ciré d’un marin breton.

En cinquième, mon professeur de français me mettait des -50 en dictée. Il faut dire qu’à cette époque, le barème n’était pas tendre: 2 points en moins pour une faute d’orthographe et 4 points en moins pour une faute de grammaire. Je ne travaillais pas du tout, n’apprenais pas mes leçons. Dans tous les cas, ma soeur (excellente élève, hyper ajustée et studieuse dont la tenue des cahiers forçait mon admiration) et moi étions écrasées par des parents, oncles, grands-parents, arrière-grands-parents ultra brillants et tous sortis des grandes écoles de la République. Exceller à l’école, au collège et au lycée était normal. En fin de cinquième, c’est mon père qui s’est opposé à mon redoublement. Il a bien fait car mon orgueil ne se sera pas relevé devant un échec aussi cuisant et j’aurais sans doute fini de décrocher tout à fait. J’ai soigné ma dyslexie par une pratique boulimique de la lecture. C’est au lycée et à l’Université que j’ai enfin pu m’épanouir en rencontrant des professeurs stimulants, des professeurs capables de tendre des ponts entre les matières, des professeurs avec une pensée arborescente mais maîtrisée.

Au vingtième siècle, il n’était vraiment pas facile d’être un zèbre. Aucun parent n’aurait osé penser que son enfant était surdoué et encore moins si sa douance se traduisait par des échecs. On pensait encore qu’un surdoué réussissait  en tout, que ses études seraient brillantes, sa vie auréolée de gloire. Les surdoués du fait de leur hypersensibilité, de cette capacité qu’ils ont à voir au-delà du miroir et à tout ressentir sont plus exposés que d’autres à la dépression. Par ailleurs, leur phase de sommeil paradoxal étant plus longue que chez les sujets ayant la chance d’être dans la norme, ils souffrent d’un manque de sérotonine qui, moralement, les fragilisent.

Il existe un grand nombre de critères permettant de reconnaître un enfant surdoué. Certains surdoués, parce qu’ils sont hyper ajustés, déroulent leur vie sans encombre et sont des adultes plutôt épanouis même si leur hypersensibilité pourra être amenée à leur jouer des tours. La psychanalyste Raymonde Hazan, que ma soeur a eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises en Normandie, a été le première à opérer chez les surdoués une distinction entre les personnes à haut potentiel intellectuel (HPI) et les personnes à haut potentiel émotionnel (HPE). Les HPI ont un quotient intellectuel plus élevé que les HPE. Chez le HPI, l’urgence va consister à nourrir sa trop grande intelligence et, pour ce faire, à geler les émotions. C’est un peu comme chez tout-petits qui ne peuvent pas apprendre à marcher et à parler en même temps. Le cerveau va privilégier un apprentissage. Le HPI qui a compris sa différence va tenter de refouler ses émotions. Le HPI et le HPE ne mémorisent pas les informations de la même manière. Le HPI va très bien réussir en classe et devenir un sujet très valorisant tant pour ses maîtres que pour ses parents. Le HPE, lui, commence à s’ennuyer. Son esprit s’évade. Lentement mais sûrement, il peut dévisser. C’est un enfant rêveur qui, face à l’injustice, l’incompréhension, peut céder à la colère. Contrairement à un élève HPI qui écoute, se tient tranquille, a des cahiers bien tenus, une case rangée, un cartable en bon état, l’élève HPE bâille aux corneilles, gigote sur sa chaise, fait tomber sa règle, fait le clown. Dans sa trousse, on trouve des bouts de gomme, des bouts de papier déchiqueté. Sa case est sans dessus-dessous. Ses cahiers sont tâchés. Ses doigts couverts d’encre. Au collège, ses classeurs sont désordonnés. Les oeillets des copies sont déchirés. Dans cette pagaille, il parvient malgré tout à s’y retrouver.

Si souvent stigmatisés,  certains enfants HPE développent des pensées très sombres qui peuvent aller jusqu’à des envies de mourir quand les critiques pleuvent et que les parents sont dépassés. Certains élèves vont redoubler une fois, voire deux avec, à chaque fois, le sentiment de ne jamais réussir à donner satisfaction. Quand, dans une fratrie, un frère ou une soeur incarne l’image de celui qui réussit en tout, n’est presque jamais grondé, rappelé à l’ordre, c’est pire encore et les tensions entre des enfants si différents sont nombreuses et douloureuses.

Après avoir mené des études brillantes, l’adulte HPI s’autorise enfin à libérer ses émotions et ce moment peut être très difficile. Quant à l’enfant HPE dont les parents ont compris très vite les différences et les souffrances et l’ont orienté vers des artistiques, il peut s’épanouir en donnant libre cours à sa créativité en puisant dans un imaginaire puissant. Beaucoup de musiciens, sculpteurs, écrivains et peintres sont des HPE.

Lors de la conférence, il revient à Fanny d’exposer comment on peut reconnaître un enfant surdoué, ce qui se joue sous sa boite crânienne, comment l’école peut vite devenir une souffrance et les actions concrètes pour y remédier. J’admire la manière dont Fanny parvient à rendre clair et à synthétiser tant d’informations complexes. Quand mon tour vient, j’explique comment la sophrologie peut vraiment aider les enfants en parlant du « triangle fragile »: manque de confiance en soi, problème de concentration et hypersensibilité.

Les enfants surdoués, parce qu’ils se sentent confusément différents des autres, parce qu’ils sont en échec à l’école, manquent souvent de confiance en eux et peuvent développer une véritable névrose d’échec. Les mises en situation réussies, la visualisation mentale des obstacles franchis, la prise de conscience de toutes leurs qualités, l’acceptation de leurs différences et l’écoute répétitive de paroles bienveillantes vont aider les enfants et les adultes à développer une bonne et saine confiance en eux sur laquelle ils pourront s’appuyer pour se réaliser à la hauteur de leurs grandes possibilités. Les enfants surdoués ont tendance à ne pas entendre les compliments et à imprimer les critiques. Par la répétition, les paroles positives pourront se graver dans les sillons de leur conscience.

Les enfants surdoués ont souvent du mal à se concentrer. Ils sont des enfants-ballons dont l’esprit s’envole loin, très loin de la classe comme le petit cancre si joliment raconté par Jacques Prévert et qui touche le coeur de tant d’élèves. Ils sont aussi des enfants-piles qui remuent et sont plein d’énergie. La sophrologie, par des exercices de respiration et d’attention portée au moment présent, permet de mieux se concentrer, de rester dans son corps et de s’apaiser. Les enfants surdoués, en grandissant, auront tendance à « zapper » le corps. En devenant tout puissant, le cerveau va refouler le corps.

Les enfants surdoués sont des enfants très empathiques. Tous les bébés sont des éponges émotionnelles. In utero, déjà, l’enfant imprime dans ses cellules et dans son inconscient la double histoire de ses parents. Beaucoup de petits zèbres vont conserver un accès direct à l’inconscient des autres. Ils devinent ce qui est caché. Ils ressentent ce qu’on veut dissimuler. Ils absorbent les souffrances des autres. Ils sont l’Autre. Ils s’entendent souvent dire « qu’est-ce-que tu peux être susceptible! ». Mais, un mot sans conséquence pour un enfant moins sensible qui possède une bonne confiance en lui pourra faire l’effet d’une bombe sur un petit ou un grand zèbre. Cette hypersensibilité est une grâce quand elle est canalisée. Mais, avant, elle est une souffrance. C’est merveilleux de sentir mieux, de voir plus mais c’est violent quand il s’agit de la douleur tant morale que physique de ceux qui nous entourent. La sophrologie permet d’apprendre à trouver la distance juste tant vis à vis des personnes que des situations.

C’est une expérience très particulière que de prendre la parole devant un parterre d’adultes surdoués qui, enfants, adolescents, n’ont pas été reconnus comme tels et ont beaucoup souffert tant à l’école qu’en famille au travail et dans leurs relations amicales. Ces adultes dont un ou plusieurs enfants les ont amenés à revisiter leur propre histoire ne veulent pas que leur progéniture aient autant de mal à se réaliser dans la vie qu’eux-mêmes. Je me permets d’attirer leur attention sur le fait que si leurs enfants et eux ont en commun cette très grande intelligence, chaque histoire est différente et qu’il est important qu’ils soient eux-mêmes en paix avec la leur pour vraiment accompagner positivement leurs grands et petits zèbres.

A l’issue de la conférence, nous restons plus d’une heure à échanger les uns avec les autres et à partager des bouts de vie. Cela fait un bien fou de parler librement de ses enfants, de soi sans honte sans peur du jugement. Certains zèbres peuvent faire vivre à leur famille des moments absolument terribles qu’il faut avoir vécus de l’intérieur pour en comprendre la violence et le pouvoir destructeur. Louis et un de ses petits camarades m’avaient tout deux fait passer un moment difficile dans l’exercice de mon métier. Ce jour-là, je recevais une maman surdouée, mère de deux enfants surdoués présentant tous deux des profils très différents. Cette maman, née presque sourde mais dont la surdité avait été détectée sur le tard, était au bord de la crise de nerfs. Le fait que leur maison ait été inondée en juin et qu’ils aient été relogés par la mairie dans un autre lieu de vie n’arrangeait rien. Louis et son ami qui s’étaient violemment accrochées étaient venus délocaliser leur conflit dans mon cabinet alors que cette patiente y était installée. La colère de Louis s’était renforcée après que j’aie tenté de consoler son petit camarade qui était chez nous depuis la veille. Je n’avais pas assisté à leur dispute. Je ne voulais pas prendre parti mais il me semblait naturel de voler au secours du petit camarade que Louis avait invité et qui pleurait tant qu’il arrivait à peine à respirer. La patiente qui venait trouver un temps de réconfort et des conseils pour se situer face à ses deux petits zèbres me voyait incapable de calmer mon propre fils. Le fait que Louis ait enfreint une règle en or consistant à ne jamais me déranger pendant mes séances n’était pas de nature à m’aider à trouver le moyen de sortir de cette crise. Finalement, et j’en fus soulagée, la maman me proposa de reporter la séance. Elle n’était certes pas détendue en quittant le cabinet mais, au moins, elle était rassurée d’avoir constaté que les mamans de zèbres sont confrontées à des problématiques identiques!

Ce matin, mercredi, par un froid polaire qui ne nous a pas empêché Fantôme et moi de sortir, j’accueille un patient, jeune adulte qui, lui aussi, a durablement souffert de sa douance et commence juste à trouver un chemin d’équilibre. Enfant, très vite, il s’est ennuyé à l’école. Il ne trouvait pas d’interlocuteur à la hauteur de sa si vive intelligence. Il a décroché et ses échecs se sont mués en névrose. Je me permets de lui rapporter les paroles de notre Louis, dix ans, hier alors que la fièvre le retenait prisonnier de la maison. « Tu sais, maman, franchement, la vieillesse, la retraite, tout ça ce n’est pas fait pour moi. J’ai envie de vivre à fond tant que je suis jeune. Je ne me vois pas devenir vieux. Ce n’est pas très intéressant ». Un grand sourire a éclairé le visage de mon patient étendu sur le divan, bien au chaud du sac de couchage. Cet adulte qui n’a pas encore gagné les rives de sa troisième décade mais a traversé déjà plusieurs épisodes très sombres de dépression est un vrai philosophe qui a parfaitement saisi que nous percevons le bonheur parce que, parfois, nous sommes confrontés à de la douleur, des difficultés. Il a également accepté l’idée que la recherche d’intensité dans la vie pouvait mettre en danger. Avec ce patient, nous travaillons directement sur le cerveau que je lui demande de visualiser en se glissant sous sa boite crânienne et de transformer pour le reprogrammer à aborder sa vie sereinement et dans la confiance.

La plupart des surdoués ont cette quête d’une vie intense, un dégoût naturel pour ce qui leur semble médiocre et insipide. Ils ressentent ce besoin de déployer leurs très larges ailes et de voler haut, très haut mais s’ils s’envolent trop haut alors ils peuvent se brûler et traverser leur existence à la vitesse d’une comète.

Je dédie ce texte à tous les surdoués qui ont souffert de leurs différences, n’ont pas toujours compris pourquoi on les mettait de côté, en quoi leur attitude et leurs propos pouvaient être perturbants pour les autres et auxquels, parfois, il a fallu de très longues années dans l’étude de matière asséchante pour qu’enfin leur pensée, sauvage comme un cheval camarguais, soit domestiquée!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

4 commentaires sur “Chronique zébrée

  1. Bonjour Anne-Lorraine,
    Les enfants (et les parents) qui ont Fanny comme institutrice (ou professeure des écoles comme on dit aujourd’hui) ont en effet beaucoup de chance car les élèves surdoués posent toujours de gros problèmes dans les classes où ils s’ennuient , souffrent et font vivre un enfer, en plus d’eux-mêmes, aux enseignants totalement démunis car non formés. J’espère que d’autres enseignants étaient invités à cette conférence?!
    Bon courage à vous.
    Amicalement,
    Nelly

    1. Chère Nelly, je vous remercie pour votre message. Dans votre carrière, vous avez dû en voir passer de ces petits zèbres parfois si difficiles à canaliser. Le samedi 7 avril, à partir de 18h00, à la salle des associations de St Firmin-des-Bois, un nouveau groupe de parole. On vous attend. Je vous embrasse

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