Chronique étoilée

AL et drapeaux.jpgLa tête emplie de tremblement de terre, de tsunami, de radioactivité, de visages d’hommes et de femmes dignes dans leurs souffrances, comme déjà, depuis longtemps, résignés à tout subir dans l’archipel de l’inespoir, d’organisation de l’attaque aérienne par les forces du Conseil de sécurité de l’ONU en Libye, de militaires saoudiens volant au secours du royaume de Bahreïn, votre chroniqueuse, entre deux rendez-vous, tournait les pages des cahiers qui avaient servi de matériau à la rédaction de leur récit de voyage.

Tour du monde 053.jpgDix ans plus tard, les cahiers avaient vieilli. A l’intérieur, les pages ne tenaient plus qu’à un fil. Les couvertures étaient usées. L’encre s’effaçait. Du cahier des mois néo-zélandais, un superbe cahier en cuir grenat acheté dans une papeterie vénitienne, émanait une odeur d’eucalyptus. Elle y avait glissé de longues feuilles tout à fait désséchées désormais. Le cahier racontant le récit de leurs aventures au Ladakh, dans le Nord de l’Inde, juste avant l’attentat perpétré contre les tours jumelles du World Trade Center et de leurs trois longues marches népalaises manquait à l’appel. Dans la chambre miteuse d’un hôtel borgne, dans l’un des plus pauvres quartiers de Calcutta, ils avaient été volés, en même temps que l’objectif que son mari affectionnait tant, un grand angle aux pouvoirs magiques. Le vol de leurs deux petits sacs à dos les avait terriblement affectés. Elle avait longuement pleuré ses cahiers et, sur le moment, la détresse entraperçue par son compagnon de route depuis douze mois dans les couloirs du commissariat, n’avait pas pu la soulager. Ce qu’elle avait écrit, sur le vif, jour après jour, à l’issue de chaque marche était perdu à jamais.

grain de sable.jpgEn tournant les pages, elle était arrivée à la date du jeudi 8 mars. Elle y avait recopié, à Punta Arenas, la ville  continentale la plus australe, un vers de Blake qu’elle avait du découvrir au détour d’une lecture: « To see a world in a grain of sand and a Heaven in a wild flower, hold infinity in the palm of your hand ». La relecture de ce court vers avait automatiquement enclenché la machine à souvenirs. Elle s’était rappelée des nuits magiques où le ciel, parfaitement limpide, laissait à chaque étoile la chance de briller de tous ses feux, où tout semblait possible et où, d’un instant à l’autre, dieux et déesses de l’antiquité gréco-romaine allaient surgir et tournoyer dans une danse qui n’aurait rien de macabre.

le petit prince.jpgElle se revoyait, enfant, étendue sur une sorte de matelas de fortune installé sur le sol d’une petite maison où ses parents et une bande d’amis avaient, en fin de semaine, leurs habitudes. C’était dans le sud de la Martinique. Depuis Fort-de-France, il fallait compter une heure et demi pour arriver à bon port. On traversait une succession de villages. La route était tortueuse. A l’arrière, ballotée, malmenée par les virages, la petite fille  était malade. C’était encore pire quand le conducteur, le propriétaire de la maison, fumait des gitanes. Sur le moment, elle n’avait jamais osé se plaindre. Elle souffrait en silence. C’était une autre époque. Les enfants étaient vraiment à leur place d’enfants! Quand, récemment, elle lui avait dit que ses cigarettes la rendaient malade, il l’avait grondée et lui avait demandé pourquoi elle n’en avait jamais rien dit. Alors, elle avait répondu qu’il lui faisait peur et que, jamais, elle n’aurait couru le risque de le voir se mettre en colère! La nuit venue, on allumait les lampes à pétrole. Les insectes venaient s’y brûler les ailes. Tandis que tard, très tard, les rires des adultes venaient concurrencer la cacophonie assourdissante de la faune, la petite fille regardait les étoiles scintiller depuis une fenêtre entrouverte. Elle avait déjà lu « le petit prince » et elle détestait le moment où le renard amadoué et le petit prince amoureux de sa rose se disent adieu. Elle imaginait une autre fin au conte de Saint Ex. Le renard et le petit prince ne se quittaient jamais et, tous les deux, ils décidaient de prendre soin de la rose.

grande ours.jpgA l’adolescence, dans le massif de l’Estérel, sa cousine, sa soeur et elle scrutaient le ciel. Elles comptaient les étoiles filantes nombreuses au mois d’août et son oncle leur apprenait à lire la carte du ciel. C’est à lui qu’elle devait de savoir situer la grande et la petite ours.

the logical song.jpgA l’âge de seize ans, le 15 mars 1986, soit le jour précédent le second tour des élections législatives amenant la première cohabitation de la Vième République, elle contemplait, sur les genoux de son tout nouvel amoureux, la voie céleste. C’est évident, ils étaient, alors, seuls au monde comme Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, Jacques et Bernadette. C’est l’époque où Supertramp faisait planer les jeunes âmes à coup de « logical song ». Très vite, c’est avec une autre qu’il admirait les constellations et elle, elle faisait mine de trouver cela naturel. De toute manière, elle avait toujours été trop fière pour se répandre et par dessus-tout, elle avait toujours estimé qu’on ne pouvait forcer personne à nous aimer sur le long terme. Alors quand elle était quittée, elle souriait. Elle avait mal, comme tout le monde mais cela ne la durcicait pas. Aucun chagrin d’amour n’avait fait naître chez elle, l’envie de faire soufrir les autres, de verser dans la loi du talion. Non, elle avait continué à avancer les bras largement ouverts et les contours du coeur aussi larges que la forêt amazonienne.

lucioles.jpgEn terminale, réfugiée involontaire avec sa mère et sa soeur dans une maison de campagne sans chauffage et sans confort où l’hiver, la température tombait si bas que la glace prenait dans la cuvette des toilettes, située dans un hameau du Tarn, elle aimait, les beaux jours revenus, s’attarder, avant de fermer sa fenêtre, sur la silhouette de la montagne noire et écouter les bruits des moutons arrachant à la terre ses jeunes pousses. C’est dans ce hameau, qu’un soir de fin de printemps, elle avait vu son unique ver luisant et cette rencontre lui avait semblé aussi merveilleuse que s’il s’était agi du lapin blanc d’Alice ou de la fée clochette en personne. Quand, bien plus tard, avec ses filles, elle avait regardé le terrible dessin animé japonais « le tombeau des lucioles », elle avait pleuré sans bruit pour éviter que ses filles se transformant en éponges se mettent également à sangloter et elle s’était rappelée sa rencontre avec ce ver luisant du Tarn.

poneys sauvages.jpgElle se remémorait parfaitement les nuits étoilées au-dessus du Péloponèse. A l’âge de quinze ans, elle avait adoré la Grèce continentale et les Cyclades. Elle avait aimé découvrir la signature de lord Byron dans la pierre d’un temple, imaginer, à Delphes, la pythie dire l’avenir. Elle avait eu une pensée pour un grand oncle, hélléniste, professeur, archéologue et auteur d’une étude sur l’aurige de Delphes. Elle avait eu aussi une pensée pour sa grand-mère qui lui avait raconté avoir, alors qu’elle travaillait à l’opéra de Paris, eu la chance incroyable d’écouter Maria Callas répéter dans le théâtre antique. En Grèce, les nuits étaient vraiment inoubliables et, jeune étudiante, elle avait rêvé après avoir dévoré « les poneys sauvages » posséder un jour une petite maison sur une île grecque.

étoile du berger.jpgAu Maroc, également, les ciels, dans le Sud, du côté de la frontière avec l’Algérie, étaient de toute beauté. Dans le désert, à la pureté du ciel, à l’illusion que chaque étoile était accessible, venait s’ajouter un silence si troublant car si inhabituel qu’elle avait eu l’impression qu’il était bruyant. A Tarroudant, dans un hôtel réputé pour ses magnifiques jardins, une nuit, son futur mari et elle avaient fini par s’accrocher parce qu’ils n’arrivaient pas à s’entendre sur le point cardinal qu’indiquait l’étoile du berger!

San Pedro.jpgPendant leur grand voyage, en Nouvelle- Zélande, elle se souvenait d’une nuit merveilleuse, nuit de jour de l’An. Ils pédalaient avec un couple de Hollandais. La route leur appartenait. Le ciel était infini comme l’horizon mathématique. Ils n’entendaient rien d’autre que le bruit de leurs roues. Le ciel était mmense mais moins qu’au-dessus des têtes des araucarias, dans l’un des parcs naturels du sud du Chili et moins encore que depuis le désert d’Atacama. C’est là, c’est sûr, que le ciel, la nuit, avait été le plus beau, le plus pur depuis une montagne de la vallée de la lune. Ils avaient abandonné leurs VTT dans le sable et pris d’assaut l’un des monticules. Le soleil avait glissé loin, très loin, derrière la ligne d’horizon. Tout était devenu rose comme les plumes des flamands des lagunes du Sud Lipez. De grandes plaques d’argent se dessinaient sur le sol. L’atmosphère était vraiment lunaire et elle se rappelait que ses parents lui avaient raconté comment une partie de la nuit, ils avaient attendu, le coeur battant, d’assister à la diffusion universelle des premiers pas d’Armstrong sur la lune.

Dans la vie, il y a ceux qui regardent par terre, le bout de leurs chaussures, ceux qui regardent droit devant eux et, enfin, ceux qui regardent en l’air. Bien sûr, on peut appartenir aux deux, voire aux trois catégories précitées. Il faut ajouter ceux ou plutôt celles qui arrivent à voir lattéralement et même derrière. Dans cette catégrorie, en général des femmes et des enseignants ou encore des personnes ayant travaillé à l’assouplissement de leur champ de conscience.

petite ours.jpgDans tous les cas, l’observation du ciel, la nuit, est un moment magique. C’est ce qu’elle s’était dit tous les matins, avant six heures, quand elle avait mis dans le jardin leur tout jeune chiot berger australien. La semaine passée, les gelées avaient été fortes. En marchant, elle entendait les brins d’herbe prisonniers du givre crisser sous ses semelles. Les tulipes avaient du mal à pousser leurs têtes entre leurs longues tiges. Le prunus se couvrirait bientôt de délicates fleurs roses. Le froid anesthésiait le parfum des violettes. L’abricotier était mort. Elle inspirait profondément l’air frais dans ses poumons. Le chien courait après une balle. Elle cherchait la grande et la petite ours. Un avion s’aventurait dans le ciel. Elle se demandait toujours quelle était sa destination et quand elle repartirait.

Un de ses proches amis lui avait confié voici bientôt vingt ans ne jamais regarder les étoiles. Il n’avait pas le temps! Elle avait trouvé ça triste et elle espérait que, désormais, depuis un désert cher au coeur des Bédouins, il arrivait à goûter une forme de paix dans l’observation contemplative d’un ciel étoilé la nuit.

Très bonne fin de semaine à vous tous.

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

1 commentaire sur “Chronique étoilée

  1. Regarder la terre et regarder en l’air…l’infiniment petit et l’infiniment grand sont éloignés par la distance mais…réunis par leur sens

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