L’été, lentement, s’installe. Heureux sont ceux qui peuvent partir en juin ou en septembre! Maintenant, les plages ressemblent à d’immenses couvertures faites en carrés de couleur avec des restes de vieilles laines. Les chemins de randonnée des Alpes ou des Pyrénées prennent des airs d’autoroute. Ici, le plateau se tient bien loin de toute cette agitation! Les moissonneuses-batteuses et sa légion d’Alexandre le bienheureux le dévorent avec méthode. Des soleils de chaume sortent de terre. Le blé n’a pas encore été coupé. Quelques trop rares hirondelles viennent boire à la surface de la piscine. Des moineaux s’installent sur la table de la terrasse et viennent piquer le coeur des tranches de pain que j’y mets à sécher pour Kiki et Nénette les moutons de Muguette, Rosalie, la magnifique truie des Bernard et les chevaux qui ont remplacé dans le grand pré se couvrant de chardons mauves mon beau Baba. Sa présence me manque toujours autant! Comme j’aimais le voir galoper et hénnir à notre arrivée sur le petit sentier. La terre est sèche. Il faut arroser le maïs. A la nuit tombée, les chauves-souris balaient le ciel et le tilleul sent délicieusement bon.
La France se prépare à sa grande messe nationale autour du ballon rond dimanche soir. Depuis le canapé, Stéphane, Mathieu, Valentin et Louis suivront le match Croatie/France. A Lumio, en Haute-Corse, une mamie, elle, sera entourée par ses trois petites-filles maquillées aux couleurs de la France. Dans le Gard, dans la bonne et vieille maison de Pont, une grand-mère et sa grande petite-fille suivront elles aussi cette rencontre mondiale. Ma soeur et moi serons sur la terrasse. Les grandes rencontres sportives dans lesquelles notre pays est engagé génèrent chez nous un tel état de stress qu’il est préférable que nous nous tenions éloignées de la télévision! Je ne sais pas où sera Charlotte. Du haut de ses seize mois que pourra-t-elle capter de cette soirée? Fantôme sera sous la table de la terrasse et Kraspek, le chat de ma soeur, ne sera pas loin. Peut-être sur la table!
Si les Tricolores l’emportaient, on verrait la France se lever comme un seul homme et communier dans un immense élan de joie. Les joueurs seraient invités à remonter l’avenue des Champs-Elysées. Vingt ans après, on aurait l’impression de revoir les mêmes images. Les victoires ont cela de merveilleux qu’elles jettent un voile sur tous les problèmes! Les victoires sportives font le bonheur des hommes politiques qui ont le sentiment qu’elles contribuent à les auréoler personnellement de gloire. Bien que le Général de Gaulle n’ait sans doute jamais chaussé des skis, les médailles d’or des soeurs Goitschel et le triplé en or aux jeux olympiques de Grenoble de Jean-Claude Killy lui demeurent attachés. Personne ne peut avoir oublié ces images d’un Jacques Chirac survolté empoignant et embrassant toute personne à sa portée. Jacques Chirac avait la passion des bains de foule. Il embrassait plus qu’il ne serrait la main. Ce redoutable tueur en politique faisait preuve d’une authentique bonhommie avec les Français. Notre actuel président qui, pourtant, a tant vilipendé l’entre-soi, a voulu transcender les parties peine à mettre en pratique son intérêt pour l’Autre. La pensée que Paul Ricoeur a développé dans son célèbre « Soi-même comme un autre » a du mal à passer de la théorie à la pratique.
L’été s’installe et bientôt, comme tous les ans, la France plongera dans cette grande sieste aoutienne, celle que mettent à profit les financiers qui ne dorment jamais pour lancer des OPA sauvages sur certaines entreprises. La France sera à l’arrêt étendue sur une serviette les pieds en éventail. Elle marchera confiante sur un chemin de randonnée. Elle retournera ses brochettes ou sa côte de boeuf sur les grilles de son barbecue, se rafraîchira d’une bonne bière, d’un Pastis ou d’un verre de vin d’orange, rêvera en suivant la course éphémère d’une étoile filante dans le ciel, dépliera sa toile de tente, chargera son coffre, boira un café sur une aire d’autoroute saturée, sera tentée d’abandonner son chien ou son chat, s’enduira de crème solaire, se régalera d’un sorbet ou d’une glace à l’italienne, lira l’un des romans de l’été, remplira ses grilles de mots croisés et évitera de penser à la liste des fournitures scolaires accrochée sur la porte du réfrigérateur, aux inscriptions aux activités sportives ou artistiques, au départ d’un aîné pour l’internat ou l’université et aux impôts à payer.
Cela fait plus d’un an que je souhaite faire un recueil de mes meilleures chroniques mais il faudrait du temps, beaucoup de temps, vraiment énormément de temps pour relire les 400 textes écrits et les classer. Du temps, malheureusement, j’en manque. Il me faudrait du temps dans la durée pas des bouts de temps fractionné. Je ne peux plus me permettre de ne pas dormir la nuit pour avancer dans ce travail. En ce moment, entre deux patients, je me replonge dans les chroniques écrites l’été depuis huit ans. Repartir dans ces chroniques, c’est comme prendre place dans une machine à remonter le temps, tourner les pages d’un album de photos géant.
Je vous redonne à lire celle que j’ai écrite en septembre 2010 et qui racontait une tranche de nos vacances. Quel merveilleux souvenir je conserve de cette traversée de la Bourgogne alors que le soleil déclinait et que le blé moissonné retombait en poussière dorée!
http://horscadre.ovh/chronique-estivale-dune-longue-absence/
Je vous souhaite une agréable fin de semaine et, dimanche, espérons que l’équipe de France viendra à bout de ses adversaires croates. Pour notre neveu qui aura soufflé ses quatorze bougies le jour-même, cela serait un magnifique souvenir! Dans les maisons, les cafés, les campings en France et dans les familles de français expatriés aux quatre coins du globe, on serra réunis derrière les Bleus qu’on aime le foot ou pas!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Au milieu des champs on trouve de belles plumes !
Au fond d’un jardin, dans l’axe d’un magnolia, dans un bureau étroit par la taille mais immense parce qui s’y construit jour après jour, on trouve un grand voyageur, photographe et poète. Merci pour les plumes. C’est le matin que je les ramasse avec Fantôme.