Chronique autour d’un rêve réalisé: écouter le cerf bramer

Avant de faire la connaissance de Stéphane à Montmartre chez une amie d’enfance, un certain samedi de septembre 1997, je ne savais pas combien j’aimerais la vie en pleine nature, la marche dans la durée, les nuits sous la tente. Croyant bien faire, notre maman qui ne savait plus comment juguler l’énergie de sa fille ainée avait eu l’idée de m’inscrire chez les scouts. Nous habitions au Mans, dans la Sarthe. A neuf ans, je me retrouvais affublée d’une jupe culotte en velours marron et d’une chemise bleue. Je devenais jeannette. J’ai détesté cette expérience. Si je suis très sociable, je suis aussi très individualiste. La vie communautaire ne me plait pas. Je n’aime pas qu’on décide de mon emploi du temps, de l’heure à laquelle je dois me coucher ou me lever et des activités que je dois pratiquer. Si j’aimais les marches en forêt et les célébrations en plein air, j’avais en horreur les nuits passées sous une grande tente de l’armée plantée dans le champ boueux d’un agriculteur mais, dans la Sarthe, on disait d’un « propriétaire terrien ». Je n’aimais pas les douches collectives et le bruit assourdissant des grandes tablées de filles faisant plus de bruit que des oisillons affamés! J’aimais le confort de mon petit lit, la bonne odeur des draps, la chaleur de la douche, la propreté des toilettes.

Bref, ce fut un fiasco! Je n’avais pas plus aimé mon très long séjour dans le Queyras à Saint Véran avec ma classe de CM2 ou ma seule expérience de colonie de vacances à la montagne également. Je m’étais perdue sur la piste plongée dans le brouillard. Je ne voyais plus le bout de mes spatules. Je m’étais foulée le pouce en tombant dans la poudreuse. Cette année-là, Plastic Bertrand affolait les ondes avec son « ça plane pour moi ». Ma soeur, elle, a adoré les camps d’aumônerie dans des conditions spartiates: toilettes sèches, douche aléatoire, nourriture rare mais marches grandioses et veillées folles autour d’un feu de camp. Quand elle rentrait, notre mère la faisait se déshabiller presque sur le pas de la porte de la maison gardoise et tout partait directement à la machine.

Quand, avec Stéphane, j’ai commencé à goûter à la vie sous tente en pleine nature j’ai adoré même si notre première expérience dans le Massif central fut rendue très difficile par le froid. J’ai aimé car nous n’étions que tous les deux, décidions de nos aventures et que tout ce que nous utilisions était propre et à nous. Pendant les deux mois que nous avons passés en Nouvelle-Zélande sous la tente dans des campings ou des bivouacs sauvages, je rangeais toujours tout de manière très méticuleuse. Pour rire, à Noël, j’avais acheté des sujets pour la décorer. Il faut dire que nous avions une tente de luxe, une grande tente North Face faite pour les ascensions en haute montagne. Nos duvets étaient chauds et sentaient bon. Nous avions des petits oreillers rétractables. Nos tapis de sol étaient la Rolls des tapis: des thermarest. Les campings néo-zélandais sont extrêmement propres et très bien conçus. Je me rappelle un camping flambant neuf peu de temps après que nous soyons arrivés sur l’île du Sud. Nous étions les seuls campeurs. Les douches étaient si puissantes qu’on se serait cru dans un centre de thalassothérapie.

A Leh, capitale du Ladakh, nous avons demandé à un couturier de nous faire deux sacs à viande. Je les ai toujours. Je les mets sur le divan de mon cabinet. Quand je les repasse, je sens monter l’odeur qu’il y avait dans la toute petite échoppe du tisserand. Avec des tissus, je fais voyager mes patients que, dés le retour du froid, j’emmitoufle dans l’un des sacs de couchage que nous avions pendant notre voyage.

Quand nous avons marché en autonomie complète de longues semaines tant dans le nord de l’Inde qu’au Népal, nous avions notre tente. Après plusieurs heures de marche, nous nous endormions comme des bébés même si dans l’habitacle la température descendait largement en-dessous de zéro et que des cristaux de givre se formaient sur les parois. J’adorais me laver dans les rivières ou prendre des douches sous les cascades. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante que pendant ce grand voyage. Je n’avais plus jamais froid. Je dormais bien. Je sentais que mon corps et mon esprit marchaient à l’unisson quand, habituellement, chez moi, c’est la tête qui domine. J’étais pleine d’une bonne énergie et mon cerveau fonctionnait vite et bien. Mes sens étaient tout le temps en éveil. Le confort moderne ramollit. L’homme est fait pour employer son corps et non pour encaisser de longues heures assis devant un bureau. Les maux de dos, les migraines, les problèmes de vision et certaines angoisses sont tous liés à cette vie coupée de la nature et de l’activité physique.

Depuis de très longues années, je caressais un rêve: aller écouter le cerf bramer. Sur le plateau, le matin, de bonne heure, je contemple les chevreuils. Pendant notre tour du monde, nous avons nagé avec des otaries. La période du brame est courte et les conditions météorologiques pas toujours bonnes pour se mettre à l’affut. Comme on m’avait dit que les cerfs en rut sont très dangereux je m’étais renseignée pour que nous y allions avec un guide. En juin, je parlais à Paul qui a été notre Père pendant quatre ans et qui pratique en famille la chasse depuis l’enfance de mon désir d’aller écouter le cerf bramer. Il me disait qu’il n’était pas nécessaire de se faire accompagner et m’envoyait le lieu précis où aller entendre le brame dans la forêt d’Orléans. La forêt d’Orléans avec ses 50 kilomètres de superficie est la plus grande forêt de France.

Hier, nous nous garions là où Paul nous l’avait indiqué et marchions sur un chemin forestier en direction d’un étang. Stéphane espérait que nous trouverions des champignons mais hormis une vesse de loup nous n’avons rien trouvé au pied des chênes entourés par de hautes fougères. Vers 18h30, nous étions à notre poste d’observation face à l’étang assis sur un vieux poncho bleu troué et adossé à un tronc d’arbre. Stéph avait installé son appareil photo sur un pied et fixé un micro. L’affût: cela me fascine! C’est pourquoi j’aime tant un photographe animalier comme Vincent Munier ou un homme comme Jean-Michel Bertrand qui se met sur la piste des loups depuis des années pour réaliser des documentaires magnifiques. C’est pourquoi le livre de Sylvain Tesson qui retrace la quête menée par Vincent Munier et sa compagne pour photographier la panthère des neiges m’a tant plu. Des heures et des heures sans bouger, sans parler, à se fondre dans la roche pour avoir un jour la chance de saisir un animal en voie de disparition.

Hier, lentement le soleil descend, les couleurs changent, des canards passent au-dessus de nous et des cygnes avancent avec grâce. Un premier son rauque monte de l’autre côté de la rive suivi d’un deuxième, d’un troisième et bientôt d’un quatrième. Les cerfs semblent se répondre. Le son évoque par moment des rugissements ou des barrissements. Des sons puissants qui semblent monter de la pré-histoire et nous renvoient à notre fragilité d’hommes face à la nature. Les oiseaux sont de plus en plus nombreux. Les chauves-souris dansent tandis que les grenouilles croassent et que les moustiques se plaisent à nous piquer. Le soleil a disparu et le brame est de plus en plus puissant. Il y a quelque chose de désespéré dans le brame. Nous ne verrons pas les animaux entrer dans l’eau et je me réjouis que nous n’ayons pas entendu leurs bois s’entrechoquer. L’humidité tombe. Les clapotis de l’eau sont plus présents.Nous repartons à regret par un long sentier à travers la forêt. Des étoiles se sont allumées dans le ciel. L’appel des cerfs s’éloigne. Je pense au lion de Brel.

https://www.youtube.com/watch?v=c3HwQR8ZOwY

Dans le massif de l’Estérel, pendant longtemps, notre tante et notre oncle entendaient les cerfs bramer. Mon oncle m’a écrit qu’il y avait une harde de 80 bêtes dans le massif. Lui qui y marche depuis maintenant au moins 50 ans a trouvé une dizaine de bois qu’il a conservés dans sa cave. Tous les deux pouvaient voir et entendre le cerf bien en vue sur une plateforme. Depuis plusieurs années, plus de cerf et rarement une biche. Il ne sait pas si c’est lié au braconnage ou à la chasse. Maintenant, ils ont les visites régulières du fils d’une jeune renarde qui avait pris ses habitudes chez eux à l’automne dernier et allait même se coucher sur le canapé. C’est là la magie de vivre dans une maison en pleine nature et d’être capable de s’émerveiller devant les animaux et les plantes.

J’ai adoré cette expérience de communion parfaite avec la nature. C’était merveilleux de n’être que deux! Avec un groupe, l’ambiance doit être différente. Le caractère intime est perdu. La prochaine fois, nous emporterons des jumelles, des sacs de couchage et un produit contre les moustiques. Quand on veut entendre le cerf bramer, il importe de ne pas porter de parfum, de vêtements faisant du bruit, de ne pas utiliser de lampe frontale, de ne pas faire de bruit et, surtout, de ne pas chercher à approcher des cerfs. J’ai fait une réaction allergique à la piqure d’un tout petit moustique tigré. Ce n’est rien au regard du bonheur que j’ai éprouvé, du sentiment de plénitude qui m’a habité et que j’essaie de partager avec vous. Je suis pleine de reconnaissance à l’égard de Paul car, sans lui, je n’aurais pas vécu ces moments uniques. Ce soir, Paul ira avec des amis écouter le brame. S’il s’installe sur son tronc, il trouvera les coques des pistaches que nous avons mangées hier!

Passez une belle semaine!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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