Chronique d’une séparation

 

Impression.jpgEn juillet dernier, la voix enrouée, les yeux humides, pleins de chagrin et de colère, il leur annonçait qu’elle était partie. Même si les parents de trois savaient que leur couple s’était fragilisée, que le ciel n’était pas toujours d’un bleu céleste au-dessus de leurs têtes, qu’ils semblaient ne plus voir le soleil se lever du même côté, l’annonce de son départ les saisissait. La maman s’étonnait que son amie dont elle se sentait pourtant si proche, avec laquelle elle avait tant partagé sur le fond ne lui ait rien confié. Il disait n’avoir rien vu venir, qu’au printemps, il était question de donner un petit frère ou une petite sœur à leur fille, peut-être, également, de déménager pour aller voir, ensemble, si ailleurs l’herbe était plus verte. Et puis, un dimanche, elle avait dit qu’elle partait. Elle étouffait. Elle voulait reprendre sa liberté. Elle lui laissait leur petite fille, mais elle chercherait à en avoir la garde. Avant de louer un appartement en ville, de quitter cette campagne qui lui pesait, elle s’était installée chez des amis. Leur petite fille l’y rejoignait pour y passer des fins de semaine. Ils n’arrivaient plus à communiquer. Il avait mal. Elle ne cherchait plus à expliquer.

 

 

 

affiche himbas.jpgLa dernière fois qu’ils avaient passé un moment tous ensemble, c’était un moment très court. Ils s’étaient donnés rendez-vous dans une petite ville qui, tous les ans, à la même époque, organise deux jours de concerts gratuits avec des activités pour les enfants et une grande fête foraine. Par messages, ils s’étaient mal compris. Ils étaient arrivés quand eux partaient. Alors, ils étaient passés à la maison. Elle avait été piquée par un moustique. Les insectes pullulaient au bord de la rivière. Il y régnait une chaleur humide. Le dessus de son pied avait doublé de volume. Elle ne pouvait plus se chausser. Elle avait allongé sa jambe sur le canapé. Et, ensemble, ils avaient suivi un documentaire très amusant sur les Himbas, une tribu rattachée au peuple bantou et vivant au Kaokoland dans le Nord-Ouest de la Namibie. La réalisatrice du documentaire, Solenn Bardet qui a vécu avec eux, avait eu l’excellente idée de les laisser se filmer eux-mêmes dans leur quotidien. Pendant ce temps-là, tous les enfants jouaient et il avait été lui chercher, à la pharmacie de garde, les médicaments prescrits par le médecin des urgences de l’hôpital.

 

 

 

peche-aux-canards.jpgLa toute dernière fois qu’elle les avait vus ensemble, c’était à la kermesse de l’école. Leur petite fille était venue à plusieurs reprises au stand de la pêche aux canards dont elle s’occupait avec une autre maman. Il faisait chaud, mais heureusement moins chaud que les années précédentes où on se sentait dégouliner à grosses gouttes sous la toile blanche des stands. Régulièrement, un enfant prenait trop fortement appui sur le rebord de la piscine en plastique et l’eau passait par-dessus bord inondant jolies petites robes à imprimées fleuries, bas de pantalon en toile légère et sandalettes en cuir. La maman de trois avait trouvé qu’il était étrange. Les traits de son visage étaient figés. Il n’avait pas ouvert la bouche ni esquissé un début de sourire. Elle, silhouette filiforme, coupe courte, yeux cernés, comme étrangère à ce qui l’entourait, lui avait adressé un regard d’une grande tendresse mais terriblement désenchanté. Dans ce regard, elle avait lu, encore plus que d’habitude, une grande souffrance, des blessures toujours à vif. Pourtant, la maman de trois n’avait pas songé que la petite fille allait perdre le couple formé par ses parents, que cette entité achevait de se diluer dans une masse de silences, d’incompréhensions, de différences, de valises héritées du passé et de plus en plus lourdes à porter. La petite fille, espiègle, gaie, depuis quelques mois habituée à voir peu sa maman soumise à des horaires de travail surhumains, habituée à ce que son papa aille la chercher à la sortie des classes, lui prépare ses repas, démêle ses grands cheveux bouclés, lui offre des bonbons à la boulangerie, l’initie à la pêche à la truite, cette petite fille-là plaçait toute sa concentration au bout de sa canne en bambou pour attraper les canards.

 

 

 

allegorie_justice_code_civil_balance.jpgQuand ils étaient revenus de vacances, la maman était partie depuis plusieurs semaines. Le papa et sa fille s’étaient installés encore un peu plus dans leur mode de vie à deux. Maintenant, il faudrait attendre que le juge statue sur la garde de leur fille. Elle avait voulu que leur maison soit vendue et, très rapidement, elle avait trouvé preneur.

 

 

 

cocker-1.jpgEn début de semaine, en passant devant la maison, elle a constaté que le portail était ouvert quand il est habituellement fermé.  Et, en regardant en direction des baies vitrées, elle a compris qu’ils étaient partis. Il avait enlevé les rideaux qu’ils avaient choisi ensemble et qui étaient restés très longtemps pliés dans leur sac d’origine avant qu’ils ne se décident à les suspendre. De toute évidence, tout le contenu de la maison avait été déménagé. D’eux, il restait le barbecue, des fauteuils en plastique, une brouette rongée par la rouille après des semaines d’exposition à la pluie, des outils de jardinage, une balle du chien, un petit cocker dont elle avait eu envie et dont il s’occupait. La maman de trois est restée immobile devant la maison. Elle avait froid malgré son énorme doudoune orange. Elle ne savait pas si le froid était lié à la température extérieure ou à cette impression de vide laissée par l’intérieur sans vie de la maison autrefois tellement chaleureuse et accueillante. L’ambiance très agréable qu’on ressentait dés qu’on franchissait le seuil était intimement associée à la maman qui avait habité cette maison. Elle avait des doigts de fée, un esprit d’une grande créativité.

 

 

 

Truite-au-persil-et-basilic.jpgTandis que la grosse boule de poils semblait chercher son petit camarade à quatre pattes, la maman revisitait leurs souvenirs communs liés à une période où la petite fille pouvait encore s’endormir en pensant à ses parents réunis. La maman de trois revivait  des promenades, des dimanches en automne, dans les forêts environnantes, pour remplir des paniers de champignons, des dîners en plein air, à l’arrière de la maison dont le jardin donnait directement sur les champs, des dîners organisés autour de truites pêchées le matin-même et grillées sur le barbecue, des soirées d’anniversaire en hiver pour fêter tous les natifs de la famille triangulaire, des goûters ou le papa les régalait de morceaux de banane roulés dans des feuilles de brick mises à croustiller dans le four et, ensuite, trempées dans une sauce au chocolat.

 

 

 

balancoire.jpgLa maman de trois se rappelait une image, celle d’une silhouette si gracile que, de loin, elle avait pensé que c’était celle d’un enfant. Cette silhouette se balançait depuis la balançoire du portique. C’était la maman artiste de la petite fille aux cheveux bouclés, la compagne du cuisinier amoureux de la pêche en rivière. La famille venait de s’installer à quelques mètres de chez eux. Ils avaient acheté la maison, la « petite » maison restée longtemps inoccupée. Bientôt, ils feraient connaissance. La petite fille et leur petit garçon se retrouveraient dans la même école, puis dans la même classe pour leur dernière année de maternelle. Les parents se lieraient d’amitié.

 

 

 

KRAMER-CONTRE-KRAMER.jpgDés le début, les parents de trois avaient dit qu’ils ne prendraient pas parti pour l’un ou pour l’autre. Les relations au sein d’un couple sont trop complexes pour qu’on joue au Salomon. Maintenant, elle espérait que le juge, à la fin du mois, au vu des pièces remises par les avocats au nombre desquelles des témoignages de proches, saurait statuer dans l’intérêt de la petite fille dont les parents avaient été, durablement, un homme et une femme qui s’aimaient, formaient une famille avant de devenir deux parties se disputant, par avocat interposé, la garde d’une enfant de six ans. Depuis que ses parents se sont séparés, la petite fille semble plus sereine. La maman s’appelle Nathalie. Le papa se prénomme Paul. Ils avaient baptisé leur petite fille Eglantine. Sans sa balançoire, le portique est orphelin, mais les beaux jours reviendront. Le vieux noyer au tronc déformé par le vent du nord se couvrira de fleurs. Les parents désunis sauront aller de l’avant. La communication sera rétablie pour le bien-être de la petite fille.

 

 

 

 

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner