Chronique de la rentrée en sixième dans un collège tout neuf

 

Creme-de-huit-heures-Elizabeth-Arden_reference.jpgCinq heures, mes yeux s’ouvrent sans difficulté. Je voudrais bien dormir davantage, renouveler en profondeur toutes les cellules de mon organisme, du cerveau jusqu’à la pointe des pieds, mais je fais partie des petits dormeurs. C’est toujours mieux que les petits rongeurs. Bien sûr, cela me désole ! Je lis si souvent que, sous toutes les latitudes, les actrices prennent soin de la jeunesse de leur visage et de leur cou à grand renfort de longues nuits et de crème de huit heures d’Elisabeth Arden…Je préfère entretenir la mienne avec une couche bien épaisse de joie, d’humour et d’amour pour les autres.

 

 

 

chat_noit.jpgLa lampe de mon bureau diffuse une lumière dorée comme dans les films de Kusturica dont j’ai revus récemment de larges extraits. Du temps des Gitans, à chat noir, chat blanc en passant par Arizona dream sans oublier underground : quelle énergie, quelle folie si merveilleusement portées par la musique du serbo-croate, Goran Bregovic. Hier, j’ai lutté contre le sommeil pour remplir tous les formulaires des enfants : les papiers pour la sixième et ceux du CM1 et du CE1. C’est idiot ! Je pourrais, parfois, remettre à demain ce que je peux faire aujourd’hui mais j’ai ce besoin très enfoui de me sentir à jour.

 

 

 

Groucho-Marx.jpgHier, notre grande, notre aînée, qui aura onze ans le quinze septembre a mis son réveil à sonner à six heures. J’ai essayé de la convaincre qu’elle n’avait pas besoin de se lever si tôt et puis je l’ai laissé s’organiser. C’était sa rentrée au collège pas la mienne. Alors, comme son petit frère partage sa chambre, j’y suis entrée à pas feutrés, slalomant entre Buzz l’éclair, le ranger de l’espace, toujours prêt à faire entendre sa grosse voix autoritaire, Monsieur Patate, prompt à perdre, dans un immense lâcher-prise, ses yeux, son unique sourcil façon Groucho Marx, son nez, ses oreilles et le bloc bouche-dents, le bateau des pirates aux arrêtes vives pour la plante des pieds et quelques chevaliers attendant Georges, le dragon. Ce matin, avec l’agilité d’un Arsène Lupin, j’ai subtilisé le téléphone pour que son alarme ne retentisse pas et ai octroyé quinze minutes supplémentaires à notre sirène aux cheveux dorés par la mer, le chlore et le soleil. Dans l’entrée, la grosse boule de poils ne comprenait pas pourquoi je n’avais pas déjà chaussé mes baskets encore détrempées de la rosée de la veille pour aller courir à travers champs et saisir le soleil au vol.

 

 

 

crêpe.jpgNotre grande s’est levée sans problème. Elle a enfilé ses vêtements et a refermé délicatement la porte de la chambre pour que son petit frère continue sa nuit veillé de près par Buzz l’éclair pas encore au rapport, Monsieur Patate, les pirates et les chevaliers. Elle s’est débarbouillée, coiffée avec un soin méticuleux. Elle a réuni ses cheveux en une grande queue de cheval haute et m’a rejoint dans la cuisine. Après avoir pelé et avalé sa poire conférence, elle s’est amusée à faire sauter les crêpes dans la poêle. En fait, dans les poêles. J’en utilise deux. C’est plus rapide ! L’odeur du beurre fondu et des crêpes se mêlaient à celle de la peinture à la glycéro de la salle de bains : un drôle de jus !

 

 

 

sac-us-marine-500-230.jpgElle n’a pas mangé de crêpes. Elle n’aime pas ça, contrairement aux autres membres de la famille qui les adorent ! Elle a vérifié le contenu de son sac, un sac US qu’une de nos amies qu’elle aime comme une tante lui a offert comme cadeau pour son anniversaire. Elle a pensé au cadenas pour le casier et à la carte de car pour le retour à la maison. Avant de partir avec son papa, elle est allée embrasser son frère et sa sœur qui lui avaient fait promettre hier de le faire. Son petit frère avait le visage marqué par les plis du drap et un bel épi à l’arrière du crâne. Sa sœur avait dormi sur son lit dans un sac de couchage. Sur sa chaise, toutes ses affaires étaient prêtes.

 

 

 

interdiction-pieges-barbares-tuent-aveuglemen-T-qpfsU_.jpegA 7h30, les battants du portail en bois vert capricieux s’ouvraient sur les champs du plateau et les gros pneus du 4×4 suédois paternel crissaient sur les graviers de la cour. Le soleil montait dans un ciel clair. Le papa était heureux de conduire sa grande au collège. J’aurais aimé que la bande de Tziganes de « chat noir chat blanc » apparaissent dans le champ et les escortent sur la petite route ! J’aurais encore plus aimé que Moustache soit présent pour voir partir sa petite maîtresse pour le collège. Mais Moustache est mort, tué par les dents d’un piège interdit comme des centaines d’autres chats aux alentours. Je n’en ai pas la preuve. Je vais devoir l’administrer pour que ces agissements barbares cessent et que notre maison connaisse à nouveau les bonheurs qu’un petit chat réserve à ses membres.

 

 

 

IMG_20140829_073839.jpgLes deux plus jeunes ont dévoré les crêpes. La cadette a pris le benjamin par la main et, ensemble, ils se sont débarbouillés, lavés les dents et coiffés. Elle a essayé de venir à bout de l’épi dans les cheveux de son frère. L’angoisse montait chez le benjamin qui rejoignait ce matin sa seconde sœur dans une nouvelle école. Il voulait être certain qu’on ne travaillerait pas aujourd’hui et sa sœur, à trop vouloir tout lui expliquer, finissait par lui faire peur au lieu de le rassurer. En empruntant le chemin qui rejoint la départementale, nous n’avons pas vu de biches et de chevreuils. Ma voiture était troublée de ne pas bifurquer à gauche par la route de terre qui serpente à travers champs, la route qui a des airs de piste africaine, la route qui conduit à l’école de la Claudinerie. J’y ai conduit un enfant, puis deux, puis trois quatre fois par semaine pendant sept ans! C’est long sept ans! J’ai promis d’y retourner et je le ferai. Je suis une vraie fidèle. Le loin des yeux loin du coeur n’est pas pour moi! La voiture a continué tout droit. Elle est entrée dans notre village, a franchi la rivière et est arrivée dans un autre village. Comme pour tous les matins de rentrée, il ne fut pas facile de trouver une place aux alentours de l’école. Les enfants se sont précipités vers leurs amis et certains écoliers avaient entrepris d’ouvrir les cartables pour faire admirer leurs fournitures scolaires.

 

 

 

Nous étions tous dans la cour et la directrice a procédé à l’appel des enfants, classe par classe. Le soleil montait et ses rayons chauffaient les dos et les nuques. Dans l’air flottait cette odeur de feuilles roussies par le soleil qui signe la bascule de l’été vers l’automne. Des hirondelles tournoyaient au-dessus du clocher de l’église. Après qu’un écolier ait été appelé, les personnes accompagnant les enfants devaient tout de suite dire si l’élève déjeunerait à la cantine aujourd’hui et demain, s’il participerait au premier TAP et prendrait le car.

 

 

 

image[2].jpegTandis que j’attendais que tous les enfants aient rejoint leur nouvelle maîtresse, une partie de moi était ailleurs, à quelques kilomètres dans une petite ville qui ressemble de plus en plus au château de la Belle au bois dormant, tant elle s’endort et meurt quand elle a été un bourg très dynamique avec un grand marché animé et des commerces vivants. Cette partie de moi accompagnait par la pensée et le cœur sa grande pour son entrée au collège. Notre grande était prête.

image[6].jpegElle n’avait pas peur. Tout à l’heure, vers dix heures, son papa me racontera ses premiers pas dans un tout nouveau collège : le plaisir de retrouver les copains, d’avoir deux de ses plus proches amies dans sa classe, la sixième E, de refaire le tour de l’établissement flambant neuf, du magnifique, du CDI, du réfectoire, du foyer socio-éducatif, d’assister à la remise solennelle de la clé du collège au Principal par trois petites filles, de voir couper le cordon tricolore, entendre les discours des élus, du Principal.

jpg_sur-le-chemin-de-l-ecole--_2013-10-01_.jpg Il me dira son émotion non pas tant de voir sa fille franchir cette nouvelle étape sur le chemin de l’autonomie mais de sentir combien l’école est toujours une chance et que, dans notre pays, on fait encore le maximum pour qu’elle le demeure, pour ne pas laisser des enfants sur le bas-côté, pour les accrocher quand ils sont dans la fuite, faire naître une envie. Sans doute, ce papa aura repensé à toutes ces petites filles et jeunes adolescentes vues en Inde, au Népal, au Pérou, en Bolivie qui allaient chercher de l’eau à plusieurs kilomètres de la maison plutôt que d’être assises à un bureau dans une classe.

 

 

 

IMG_20140901_073721.jpgEn quittant l’école primaire, j’ai songé au temps qui passe inexorablement et nous pousse. Je me suis revue sur la route entre la maison et la mare aux canards, en septembre 2005. Céleste venait d’avoir deux ans. Victoire en avait cinq. Louis était encore un concept. Céleste était dans un tricycle et Victoire dans le porte-bébé. Marcher jusqu’à la mare aux canards était une aventure ! Je voyais remonter depuis l’arrêt du car situé sur la départementale des collégiens. En septembre, ils avaient chaud dans la côte. Les cartables semblaient lourds. Cela tirait dans les mollets. Ils n’avaient pas encore goûté. Dans le champ attenant à la mare, les branches des pommiers portaient de superbes fruits qui serraient pressés pour faire du cidre. Maintenant, c’est ma fille qui remonte par la même route avec ses amis. Elle a chaud. Ses joues sont rouges. Ses jambes n’en finissent pas. Comme toujours, son sourire est éclatant. Il célèbre la vie !

 

 

 

IMG_20140830_074915.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner