Jeudi dernier, dernière représentation du spectacle « Robin des Bois » joué par les comédiens de la troupe de théâtre professionnel « le masque d’or ». Cette troupe fête, cette année, ses trente ans d’existence. Nous fêterons, nous, nos dix ans dans le Loiret en septembre et, le choix des pièces par le metteur en scène et comédien Fabrice Pierre ne m’a jamais donné envie de venir les voir jouer. Je dois avouer que je n’ai rien d’une lectrice assidue de « Télérama » ou des « Inrocks » et que je suis lasse que des critiques parisiens, ayant leurs petites habitudes « rive gauche », me disent ce que je dois lire, voir ou penser. Les ayatollahs me hérissent le poil ! Je prône l’éclectisme le plus total, l’approche des choses sans jugement sans a priori…en bonne sophrologue gagnée par la phénoménologie de Bachelard et, aussi, mais plutôt, surtout, parce que ma sœur et moi avons eu la chance d’avoir pour père un homme qui lisait absolument TOUTE la presse, écoutait tous les genres musicaux, voyait des films sans jamais consulter les critiques au préalable et nous a même appris à distinguer la pensée politique d’un écrivain et son œuvre quand cette dernière n’en était pas le reflet malsain. Il ne supportait pas que nous ne réfléchissions pas par nous-mêmes. La pensée pré mâchée, les profils formatés, le trop « propre sur soi » et « bien pensant » l’inquiétaient.
Alors, me direz-vous, pourquoi, sans les avoir jamais vus, avez-vous craint d’être déçue par une pièce jouée par cette compagnie au nom si joli? Et bien simplement, parce que des pièces telles que « Le jour se lève, Léopold », « Romulus le Grand » ou encore « Un pour la route » ne me tentaient pas. Pire, j’étais assurée de ne pas aimer car le théâtre dit « contemporain » au même titre que l’art et la musique qui se revendiquent de cette appartenance me font fuir. Je garde encore un souvenir assez catastrophé par les commentaires élogieux des visiteurs de cette Maison Rouge, la fondation Antoine de Galbert, un des héritiers du groupe Carrefour, collectioneur, située au numéro dix du boulevard de la Bastille ou encore de quelques expositions de la fondation Cartier. Quand nous habitions dans le Gard, si j’ai eu beaucoup de plaisir à aller voir, pendant le festival d’Avignon, ma sœur jouer avec ses camarades dans une pièce drôle et enlevée, je n’aurais jamais pu prendre place au milieu des spectateurs du « in ». Pour vous dire le vrai, je ne sais pas m’extasier devant une création coupée de l’émotion, une création qui ne parle qu’à l’intellect, qui entend délivrer des messages essentiels sur le monde qui nous entoure, une création « donneuse de leçon ». « Pouah ! Très peu pour moi » dit monsieur lapin dans un album que tous les enfants aiment, et je reprends ses propos.
Comme j’ai souri, étudiante, alors que j’évoluais souvent dans une sphère assez et « rive gauche » et « Télérama » de ces personnes promptes à encenser tous les films réalisés par Woody Allen et Jean-Luc Godard, sous prétexte que c’était justement du « Woody Allen » ou du « Godard ». Comment peut-on, par définition, trouver brillante toute l’œuvre d’un cinéaste alors qu’objectivement son travail n’est pas toujours aussi bon? J’y vois une aliénation de son jugement, une limite que l’on se met à sa propre liberté de pensée. Depuis « le temps des Gitans », je voue à Kusturica dont l’énergie et la folie rappellent Fellini une vraie passion. Mais cette passion ne m’empêche pas de trouver certains de ses films moins intéressants ou de ne pas réussir à en passer la porte d’entrée.
C’est amusant car, adolescente, sur le choix d’un seul film je m’étais taillée une solide réputation d’intello en herbe ! En effet, pour une sortie ciné du samedi soir, j’avais entrainé mes amis suivre les aventures pleines de rebondissements de Cécilia, jeune serveuse de brasserie à l’époque de la Grande Dépression aux Etats-Unis et de Tom Baxter, acteur du film « la rose pourpre du Caire », dans le 14ième film de Woody Allen portant le même titre. Ce film les ennuya tant que je ne fus plus jamais sollicitée pour en choisir un autre ! Raphaël de C, si jamais tu lis cette chronique, je pense que tu n’as pas dû oublier cet épisode mémorable ! Trente ans après, je ne t’en voudrai pas de m’avouer que tu t’étais endormi.
Alors, jeudi dernier, nous voici, mon mari, nos trois enfants et moi-même devant les grilles du domaine de la Pailleterie dont la maison de maître abrite l’école de musique de la ville d’Amilly. Son maire est un ardent défenseur de la musique baroque, de la peinture et du théâtre ultra contemporains. C’est un très bel endroit : un immense parc qui accueille un centre aéré, une école d’art et des animaux. Il fait chaud, vraiment chaud. Nous économisons nos mouvements et nous nous sommes enduits d’un mélange d’huiles essentielles qui devraient nous protéger des attaques virulentes des moustiques mutés, à grand renfort de pesticides et d’engrais, en B52 ! Dans l’assistance, nous reconnaissons des visages connus et des camarades des enfants.
Enfin, l’une des portes s’ouvre. Nous entrons par groupes de 20 conduits par un comédien qui se présente : « je suis Tuck ». Il porte le nom du frère, confesseur de Marianne, dans le Robin des Bois des premières ballades anglaises. Il saute, court, agite sa clochette comme un ménestrel du Moyen-Age. Les enfants sont installés sur l’herbe devant les fauteuils. Quand nous sommes tous assis, Tuck, avec beaucoup d’humour, nous explique que ce spectacle est vraiment vivant, que nous allons changer de places et de lieux. Le spectacle sera partout : devant, derrière, sur les côtés. C’est une sorte de Jean sans terre, frère de Richard cœur de Lyon parti pour la troisième croisade, reconverti en Président de la République qui nous fait entrer dans la pièce. Il déclame un discours qui ressemble en tous points à cette soupe que nous servent tous nos futurs maires, députés et Présidents de la République. Dans la salle, le maire d’Amilly qui n’est pas venu en VIP mais en simple spectateur doit sourire à l’écoute de ce long monologue que le comédien nous déclamera deux fois, côté perron et côté cour de la maison, en costume noir et en manteau de fourrure porté à même la peau. Robin des Bois et ses fidèles sont cachés dans la forêt de Sherwood qui nous environne. Les feuilles des arbres bruissent.
Monté sur un andalou splendide répondant au nom de Gribouille, le shérif de Nottingham – une comédienne à la belle voix rocailleuse que j’ai entendu à l’occasion d’une lecture- nous assénera, d’un bout à l’autre du spectacle, des articles du Code pénal. Histoire de nous faire comprendre que notre société est prisonnière de normes rigides. Je me dis que Gribouille, rendu nerveux par la chaleur et les éclairs qui zèbrent un ciel d’encre de Chine, serait bien inspiré de la mettre à terre pour la faire taire ! Mais, la comédienne a de la présence, une belle assiette et l’animal reste sous son contrôle.
La pièce est, en fait, une succession de tableaux auquel la maison prête sa silhouette noble et la magie de ses pièces éclairées. La mise en scène est très originale, remarquablement bien huilée et fait oublier le caractère navrant de ce Robin des Bois qui aurait enchanté les fidèles festivaliers d’Avignon « in ». Dans la cour des papes, jouée en polonais sous-titré en japonais, le bel andalou remplacé par un crocodile, la pièce aurait fait un tabac et les critiques les plus durs seraient tombés en pamoison. Il est un tableau que j’ai adoré : celui d’un personnage se tenant debout, nous tournant le dos, s’abritant de l’averse sous un parapluie noir, éclairé par un réverbère et observant des publicités de luxe projetées sur un mur, le tout, sur fond d’un morceau de jazz très envoutant. Je ne suis pas sarcastique, ce moment méditatif était vraiment agréable mais, malheureusement, trop vite, noyé sous la récitation des articles du Code pénal ! Quand les deux paons qui sont les vrais maîtres du domaine de la Pailleterie faisaient retentir leurs « Léon » puissants, c’était amusant comme tout !
A la fin, Tuck nous a annoncé que Robin et ses amis nous conviaient à une fête dans la forêt de Sherwood. Nous avons suivi notre gentil et joyeux ménestrel le long d’un chemin bordé de grands arbres dont les racines veinaient la terre sèche. Puis, le chemin a décrit une boucle et nous nous sommes retrouvés face à une sorte de piste d’avion délimitée par des lumières blanches et bleues. La piste menait à une clairière. En son centre, un magnifique feu de camp et, tout autour, des canapés, des fauteuils, des tables, des abat-jours, une estrade et Gribouille grattant le sol de son sabot. A un stand, on pouvait s’essayer au tir à l’arc. Dans le ciel, les éclairs continuaient de filer. Je pensais à la pochette de l’album de Dire Straits « telegraph road » dont j’écoutais les titres la nuit, lycéenne, avec mon walkman. Les comédiens, les figurants dont un petit garçon que j’ai eu comme patient sont venus nous apporter des verres d’eau ou du vin et nous offrir une assiette de soupe. Nous nous sommes installés dans un large canapé en cuir et tous les artistes, enfin rendus à leur vraie sensibilité, se sont succédés sur l’estrade pour dire un poème ou chanter. Scénarisé ou pas, un homme jeune a pris la parole devant l’assistance pour déclarer sa flamme à son amoureuse et la demander en mariage.
Pour ce moment-là, ce moment de partage, de fraternité, de simplicité et de liberté, j’ai été heureuse d’avoir pris des places pour « Robin des Bois ». J’aurais pu rester là encore un long moment à profiter de cette ambiance unique, mais il était déjà minuit et les enfants partaient le lendemain dans l’Ain retrouver leur mamie, deux tantes, un oncle et une cousine. Les enfants étaient vraiment enchantés par le spectacle. Dans la voiture qui nous ramenait à la maison, Louis m’a fait rire en me disant qu’il pensait voir le serpent Triste Sire, celui du dessin animé de Walt Disney sorti en 1973, celui qui zozote et dort dans un berceau. Je ne le lui ai pas dit car cela n’aurait rien évoqué pour lui mais j’ai pensé que, de mon côté, j’aurais aimé voir Sean Connery ou bien encore Kevin Costner dans le rôle de Robin des Bois.
Cette chronique est la dernière avant la mi-août. Quand nous avons assisté au spectacle, Stéphane et moi avions laissé nos téléphones à la maison si bien que nous n’avons pas pu prendre de photos. Je remercie notre amie Michèle qui a eu la gentillesse de me laisser autoriser celles qu’elle a prises. Je vous souhaite de passer un bel été et de vous ressourcer pleinement. A bientôt !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Dans mon souvenir c’était un autre film. » le lieu du crime » avec C. Deneuve ?
Bises
Tu crois vraiment? J’avais tout à fait oublié ce film de Téchiné. Je ne me rappelle pas l’avoir vu. Il ne nous reste plus qu’à nous plonger dans nos carnets de 1986! Le mien n’est pas très loin. Je regarderai. Je t’embrasse.