chronique d’une rentrée scolaire

Ce matin, le vent fait tanguer les arbres du jardin. La balançoire et le trapèze vont et viennent sans que les jambes de nos deux petites filles leur impriment une infernale cadence. La lavande s’efforce de conserver encore un peu ses fleurs d’un bleu passé. Au-dessus de nos têtes, soleil et pluie disputent une partie de bras de fer. Dans l’entrée, deux sacs d’école flambant neuf achèvent leur nuit. Mon mari et moi n’avons pas fini de nous préparer pour ce grand jour que, déjà, une petite fille, aux cheveux ébouriffés, aux mèches
fines décolorées par les rayons du soleil et la mer, aux yeux encore emplis de sommeil, pousse la porte de la salle de bains. « On va à l’école, maman, ce matin ? ». Je la prends dans mes bras et lui réponds que oui, c’est aujourd’hui que les enfants retournent à l’école. Sa sœur aînée s’est levée, elle aussi, et commence à s’habiller avec les vêtements choisis la veille dont LE jean favori, le jean qui fait qu’on se sent bien et prêt à tout affronter. Je regarde notre aînée. Je devine sa peau encore toute chaude de sa nuit de sommeil. Je sens chez elle ce mélange d’excitation et d’angoisse liée à cette nouvelle rentrée. En un tour de main, les filles sont habillées, coiffées et lavées. Pour une fois, le petit-déjeuner ne traîne pas en longueur. Dans la maison règne vraiment une ambiance de grand jour que seul notre petit Louis, âgé de 21 mois, semble ne pas percevoir.

Ce matin, Victoire entre en moyenne section de maternelle et Céleste va franchir, avec l’entrée au C.P, un nouveau rite de passage. Elle dit être heureuse de retrouver l’école mais
quelques mauvais rêves sont venus trahir une angoisse bien légitime. Comme tant d’autres mamans, j’ai, quelques jours avant, acheté les fournitures scolaires. Ma liste de C.P était bien sommaire en comparaison de celles remises aux collégiens et dont les parents perdent patience, pris au piège des allées des hyper marchés. Les filles avaient elles-mêmes choisi leur sac : un sac à dos avec des princesses pour Victoire dont nous devions nous apercevoir, dans la voiture, qu’il contenait tout le nécessaire pour un pique-nique pour deux,
et un sac à dos avec roulettes pour Céleste. Le week-end suivant ces acquisitions, les filles étaient si heureuses qu’elles traînaient partout, dans la maison comme dans le jardin, leurs deux sacs dans lesquels elles avaient méticuleusement rangés toutes leurs affaires scolaires. La maîtresse ayant émis le désir que chaque fourniture porte le nom de son petit propriétaire, j’avais, avec un feutre indélébile, marqué chaque crayon de couleur, chaque feutre, chaque bic.

Comme beaucoup de mamans, je n’aime pas les rentrées scolaires. J’ai beaucoup de mal à faire face à la détresse réelle des enfants qui ne veulent pas quitter leur père ou leur mère, qui s’accrochent à eux, qu’il faut, parfois, littéralement arracher à leurs parents et dont les pleurs ou les cris finissent par déclencher ceux des autres petits enfants qui, jusqu’alors, avaient réussi à surmonter l’épreuve de la séparation. On sait que cela ne dure pas très longtemps mais, sur le moment, c’est très éprouvant. Je mentirais si j’écrivais que la rentrée de notre fille aînée en C.P me laisse indifférente. J’ai le ventre noué et je suis certaine que son papa saura mieux que moi lui tenir la main ce matin. Il est l’heure. Les filles enfilent leur imperméable et se saisissent de leur sac. Nous échangeons un baiser et elles grimpent dans la voiture paternelle. Louis et moi les regardons s’éloigner et leur faisons un petit signe de la main. Je conduis Louis à la crèche. Dans la voiture, nous passons en revue les prénoms des enfants de la famille Barbapapa :
Barbotine, Barbabelle, Barbalala, Barbouille, Barbidur, Barbidul et Barbidou.  Je dépose mon petit garçon qui est toujours ravi de retrouver ses petits camarades et son univers.

Stéphane m’appelle pour me faire le récit de la rentrée. Tout s’est bien passé. Victoire était heureuse de changer de classe et de revoir ses petites amies. Quant à Céleste, elle a
découvert que sa classe de l’année dernière avait été divisée en deux classes, moitié CP, moitié CE1 et qu’une de ses meilleures amies manquait à l’appel,
pour cause de déménagement dans une commune environnante. Dans sa nouvelle classe, elle s’est installée à côté d’une autre très bonne amie. L’institutrice est toute jeune et particulièrement douce. Cette description me rassure car je sais combien la personnalité de l’enseignant est déterminante dans la réussite, par un enfant, de son année scolaire.

Dans la voiture, je songe que cette rentrée marque, à sa manière, la fin de l’été. Je me revois, il n’y a pas si longtemps que cela, rangeant, le jour de notre retour à la maison, les
vêtements des enfants dans les valises. C’était mardi de la semaine dernière. Les gros orages traditionnels de la mi-août éclataient avec quinze jours de retard. Ces orages qui font chuter les températures et contraignent au port d’une petite laine, à l’heure des fins de soirées sous les tonnelles. Dehors, la pluie formait un rideau. Les enfants étaient au spectacle derrière les carreaux. La pluie les enchantait comme on se réjouit de tout ce qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Comme toujours, je me sentais bizarre car je n’aime pas les fins. Je sentais une petite boule grossir au fond de ma gorge. Chaque vêtement était un souvenir, un bout de l’été, une photo de nos vacances. Je revoyais les enfants ivres de joie dans l’eau, plongeant à la recherche de coquillages, réalisant de superbes châteaux de sable qu’ils rêvaient de préserver des assauts destructeurs des vagues, découvrant la curieuse sensation d’un bain de nuit, riant aux éclats au restaurant, après avoir ingurgité une quantité déraisonnable de frites nappées de Ketchup aussi rouge que sucré. Je refermais les valises sur nos vacances d’été et mille et une petites sensations délicieuses : le plaisir de marcher pieds nus dans le sable mouillé, la douce caresse, sur le dos, d’un soleil de fin de journée, la fraîcheur d’une douche après une journée de plage, le goût acidulé d’un verre de rosé, la gourmandise de mûres gorgées de soleil explosant dans la bouche, les enfants
faisant des concours de la langue la plus violette, l’odeur si particulière des feuilles de platanes et de marronniers grillées par deux mois de plein soleil et commençant à tapisser les allées.

Après six semaines avec les enfants, j’attendais avec impatience cette rentrée. Je rêvais du moment où je retrouverai la sérénité de mon bureau. C’est chose faite et c’est une
sensation étrange. Tout est si calme ! Il va falloir que je me réacclimate.

 

Anne-Lorraine
Guillou-Brunner

 

 

 


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2 commentaires sur “chronique d’une rentrée scolaire

  1. J’ai toujours détesté l’école et les rentrées scolaires étaient un véritable calvaire. Je n’avais même pas ma maman pour m’amener, c’était le jardinier qui se tapait la sale besogne et je me renfrognais dans le fond de la Simca. L’air du temps a transformé les rentrées bougonnes en une étape importante de l’année, une de plus qu’il faut bien réussir, sinon les parents culpabilisent.

  2. Comme vous, j’avais une sainte horreur des rentrées (j’étais tout de même heureuse de retrouver mes amis) et peu de passion pour l’école. Il me semble que certaines rentrées ont toujours eu un relief particulier: entrée à l’école maternelle, entrée à l’école primaire et entrée au collège. Elles sonnent toutes comme des rites de passage où il faut mourir à quelque chose pour renaître plus grand et plus solide.

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