Chronique automnale

giacometti.jpgLa rentrée des classes s’éloigne. Les hirondelles se rassemblent sur les fils électriques. Petits et grands ont retrouvé le chemin de leurs activités sportives ou artistiques favorites. Le matin, le thermomètre affiche péniblement dix degrés. Les après-midis sont ensoleillées. Les jolies grappes de raisin chasselas ou muscat font la joie des enfants. Les rosiers jettent leurs dernières forces dans la bataille contre l’automne et quelques bourgeons fleuriront cette semaine. Une rose trémière étire sa longue silhouette en direction du ciel comme un clin d’oeil à Giacometti. Numéro deux commence à lire et sa maman est navrée que contrairement à numéro un au même âge, l’apprentissage de la lecture ne repose pas sur une méthode syllabique mais sur cette terrible méthode globale. Elle voit bien que son numéro deux retrouve les mots de mémoire plus qu’elle ne cherche à les décomposer. En même temps, comment arriver à lire « rouge » si, au préalable, on n’a pas appris que o et u font ou?

 

smarties.JPGNuméro un a fêté ses huit ans à grand renfort de courses en sac, partie de rugby, vols dans le hamac, défilés de mode au son des standards d’Abba qui ont bercé leurs vacances corses. Sous les canisses, un vent malin faisait danser les mèches de cheveux des petites filles. A peine soufflées, les bougies magiques du gâteau se rallumaient et l’héroïne de la fête finissait par se lasser. On le sait : il ne faudrait jamais faire deux choses en même temps mais, au contraire, placer toute sa concentration dans une chose à la fois. Voulant optimiser une fenêtre de moins de deux heures sans enfants le matin de l’anniversaire de son numéro un, la maman de trois s’est lancée dans la préparation concomitante de deux gâteaux : un gâteau au chocolat inspiré d’une recette de brownie mais sans noix remplacées par des framboises fraîches et un gâteau au yaourt aromatisé à la vanille. Comme il est écrit dans presque toutes les histoires des « Madame » et des « Monsieur », «  et ce qui devait arriver, arriva », la maman oublia de verser dans la pâte du gâteau au yaourt la moitié d’un sachet de levure alsacienne. Quand elle a réalisé son erreur, il était trop tard ! En sortant du four, le gâteau n’avait pas fière allure. Il ressemblait à une sorte de financier géant. Numéro deux y a remédié en le décorant avec des mini smarties et des cœurs en sucre rose et blanc. Elle a planté en son milieu une fontaine lumineuse autour de laquelle elle a absolument tenu à faire glisser une couronne en pâte à sel réalisée à l’école. Numéro un et numéro trois ont décoré le gâteau au chocolat. Samedi, les derniers enfants ont quitté la maison vers 19h30. Les parents ont pris le temps d’un apéritif sur la terrasse. Les plus jeunes des fratries ont pu, eux aussi, s’amuser dans le hamac. La maman s’est ensuite armée de patience pour ranger les chambres, raccrocher, un à un, tous les vêtements utilisés pour les trois défilés de mode, sans oublier tous les accéssoires indispensables pour parfaire les tenues des filles: chapeaux, écharpes, gants, parapluies, ombrelles, cannes et lunettes de soleil. Sur le moment, elle était légèrement agacée. Avec le recul, elle s’est dit que c’était là un excellent moyen de faire l’inventaire des placards de ses deux filles. Le soir venu, les enfants n’ont pas réclamé d’histoires. Numéro un était enchantée. Sur le damier noir et blanc de la grande pièce du bas de la maison, la grosse boule de poils ne bronchait pas. Elle était aussi fatiguée que les enfants !défilé de mode.gif

 

passage à niveau.gifLe lundi, en fin de mâtinée, elle est à l’arrêt dans sa voiture qu’elle n’a pas eu le courage de nettoyer depuis de longues semaines. Les cailloux sont légions. Les glands des chênes pullulent et les marrons tentent une première percée. Elle se rappelle que lorsqu’elle était enfant une grand tante maternelle, professeur de lettres, de grec et de latin, lui avait montré qu’elle pouvait réaliser de jolis bols pour ses poupées dans les cupules. En fait de bols, il s’agissait plutôt de tasses à thé. Elle attend au passage à niveau que le train qui dessert Paris passe son chemin. Son esprit se met à divaguer. Elle n’est plus là. Elle est dans un aéroport international, mieux, elle a pris place dans un vol long courrier. A l’invite de l’hôtesse, elle boucle sa ceinture et attend le départ. Très doucement, l’avion se met à rouler sur les kilomètres de pistes. Puis, la vitesse s’accélère. Les passagers sont gagnés par les vibrations des roues de l’appareil sur le revêtement grumeleux de la piste. Les dos sont plaqués contre les sièges et tout d’un coup, l’avion décolle. C’est un moment dont elle ne se lasse pas, celui où l’avion quitte le sol et gagne de l’altitude.

 

Tour du monde 064.jpgSon esprit a besoin de prendre de la hauteur, de s’évader, de renouer avec le voyage. Paris lui manque. Elle ressent un besoin urgent de se promener dans les rues capitales, d’échanger avec ses amis de longue date, de pousser la porte d’un de ses musées préférés comme celui de l’Orangerie, d’aller au théâtre. Comme pour l’heure, tout ceci n’est pas possible, elle se réfugie dans les souvenirs de leur voyage au long cours. Avec son mari, elle vient d’arriver au Népal. Ils découvrent Katmandou, capitale colorée et animée. Ils ont élu domicile dans le quartier de Thamel. En ce mois de septembre, le quartier est, leur dit-on, incroyablement calme. Les terribles attentats du 11 septembre ont dissuadé les étrangers de voyager. La plupart des réservations ont été annulées. La saison s’annonce particulièrement difficile pour les professionnels du tourisme au Népal. De plus, les tensions entre les troupes maoïstes et les représentants de la monarchie n’arrangent rien. Cependant, la ville leur paraît incroyablement animée avec son ballet incessant de taxis, pousse-pousse, auto-rickshaw, bicyclettes et piétons.

 

Tour du monde 044.jpgIls aiment tout particulièrement l’ambiance du vieux quartier de Durbar square avec sa concentration inouïe de temples et de palais, d’étals de fleurs pour les offrandes, de fruits, de légumes et de poissons séchés. Les constructions en bois du seizième siècle sont particulièrement bien conservées. L’humidité fait pousser de l’herbe verte entre les tuil
es des toits des temples et des maisons. Des sâdhu déambulent vêtus d’un pagne ou d’une bure de couleur safran. Ils n’ont pour seul bagage qu’un bol pour mendier leur subsistance et une cruche d’eau. Certains portent un trident en hommage à Shiva, l’ascète parmi les ascètes.

 

himalaya_l_enfance_d_un_chef_1997_reference.jpgLes rues de Katmandou sont étroites et les boutiques regorgent de lampes en papier de riz, de pulls en cachemire, de petits sacs en soie rebrodés de perles, d’articles de montagne et de bâtonnets d’encens. Dans toutes les rues de Thamel, on entend la musique du film « Himalaya, enfance d’un chef » et les chansons de Manu Chao. En allant sur internet, ils trouvent un mail de leur ami anglais Ben, rencontré en Patagonie chilienne. Il leur confirme son arrivée au Népal dans une dizaine de jours et son désir de se joindre à eux pour une grande marche. Cette nouvelle les enchante. Cela fait longtemps qu’ils espèrent avoir la joie d’être rejoints par un de leurs proches, à l’occasion d’une étape de leur voyage.

 

Tour du monde 072.jpgLe train qui dessert Paris est passé. Les paysages himalayens et les visages toujours souriants des porteurs s’éloignent. Les barrières se relèvent. La maman repart. Sur le fauteuil passager, le numéro de septembre de la revue « arts magazine ». Sur la couverture, une question : « l’art rend-il heureux ? ». Pour la conductrice, c’est une évidence et elle anticipe sur le bonheur à vivre devant les toiles de Fra Angelico si elle trouve le temps et la patience de prendre place dans la file d’attente du musée Jacquemart André avant le mois de janvier de l’année prochaine.

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner