Le choix par Emmanuel Macron d’Edouard Philippe au poste de Premier Ministre me déconcerte beaucoup et, pour être tout à fait honnête, je ne pense pas que cela soit une bonne idée. Même si notre nouveau Président souhaite coller au plus près du costume tel qu’il avait été cousu sur-mesure pour que la haute stature du Général de Gaulle s’y glisse, au moment de la rédaction de la Constitution de 1958, un chef d’Etat a besoin de pouvoir s’appuyer complètement sur son Premier Ministre. Un Premier Ministre fait figure d’homme lige. Fidèle parmi les fidèles, près à monter au combat en toute circonstance. Les Premiers ministres les plus remarquables que notre cinquième République a connus n’avaient pas pour eux d’ambition personnelle. Leur seule ambition était de servir leur pays et leur Président.
Quand je vois Edouard Philippe aux côtés d’Emmanuel Macron, je pense automatiquement à une bande dessinée que nos parent adoraient, sortie tout de droit de l’imagination de René Goscinny, qui se passait à Bagdad à l’époque des Mille et une nuits et qui racontait les aventures du Vizir Iznogoud au service du Calife Haroun El Poussah. Iznogoud était prêt à tout pour devenir calife à la place du calife. Je pense qu’Edouard Philippe se verrait bien, plus tard, occuper l’Elysée après qu’il ait été restauré à grand renfort de millions d’euros.
Ce qui m’a fait plaisir, c’est de lire que la femme d’Edouard Philippe, Edith Chabre, qui a exactement le même âge que moi et occupe le poste de directrice exécutive de sciences-po à Paris, n’a pas suivi son mari quand il a été élu maire du Havre. Elle a conservé son métier et est restée à Paris avec leurs trois enfants. Une femme qui n’avait pas envie de tout lâcher pour épauler son mari, organiser des dîners officiels, embrasser, à Noël, des résidents dans des maisons de retraite ou des tout-petits dans des crèches, féliciter des jeunes joueurs de foot transpirants à l’issue des matchs et sécher le grand corps de son mari après qu’il ait traversé à la nage le bassin du commerce pour célébrer la réunification entre la Hausse et la Basse-Normandie issue du re-découpage des régions.
Je suis toujours heureuse quand je vois des femmes qui refusent de « sacrifier » leur carrière pour suivre leur mari dans la leur. Dans notre entourage très proche, nous avons une amie qui a fait ce choix au risque de mener son couple à la rupture mais cette amie avait été marquée par la dépression d’une mère en lien avec l’abandon de son métier et un quotidien entièrement dévoué à sa famille. Ne pas mettre ses pas dans ceux de sa mère quand, par ailleurs, elle déroule une très belle carrière dans une grande entreprise, c’était se mettre à l’abri des fragilités maternelles. Plus j’avance dans ma vie, plus j’écoute les femmes autour de moi et plus je constate qu’il y a trois catégories de femmes.
La première catégorie de femmes s’épanouit principalement dans la maternité, dans la vie du foyer et si elle exerce un métier qu’elle aime, l’axe majeur reste la famille. Le métier ne passera pas devant ses priorités maternelles. La deuxième catégorie ressent un fort besoin de réussite personnel tout en ayant à cœur de préserver un équilibre familial. Si ce besoin n’est pas suffisamment épanoui, l’équilibre devient précaire et cela aura fatalement des répercussions sur l’entourage. On ne le dit pas assez mais l’élément de stabilité, le point d’ancrage dans une famille, ce n’est pas le père mais la mère. Les Antillais le savent, eux, qui appellent les mères les potomitans. Le potomitan est le pilier central qui soutient un temple vaudou.
Enfin, la troisième catégorie de femmes qui, par ailleurs, n’aspire pas nécessairement à avoir des enfants, s’investit à plein dans sa carrière. Lorsque ces femmes sont des artistes (comédiennes, peintres, sculpteurs, musiciennes, chanteuses), leurs créations sont leurs enfants. Elles s’engendrent dans tous ces bébés qu’elles conçoivent, portent et dont elles enfantent, parfois dans une douleur intense. Si la reconnaissance est au rendez-vous alors elles sont libérées de la peur de la mort. En passant la postérité, elles ont trouvé la porte de l’immortalité.
En écrivant ses lignes, je pense à Niki de Saint-Phalle à laquelle je voue une vraie passion depuis que je suis adolescente. A l’écoute des vidéos qui jalonnaient la magnifique rétrospective que lui consacrait le Grand Palais, mon cœur se serrait car il était évident que Niki de Saint-Phalle n’avait pas eu d’autre choix que de faire le « sacrifice » de ses deux enfants sur l’autel paternel et masculin pour se réaliser dans son art et transcender la somme de ses souffrances. Dans l’un des témoignages, elle exprimait la nécessité pour l’Etat de verser un vrai salaire à toutes les femmes faisant le choix d’élever leurs enfants et de s’occuper de l’intendance de la maison. Niki de Saint-Phalle professait un respect total pour toutes les femmes et, toute sa vie, elle a lutté pour dénoncer toutes les violences qui leur étaient faites par une société essentiellement dirigée et pensée par des hommes.
Encore aujourd’hui, ils ne sont pas assez nombreux ces hommes près à laisser les femmes se réaliser pleinement et les femmes, si fortement sujettes à la culpabilité, se font prendre au piège. Combien sont-elles ces femmes qui s’allongent sur mon divan et me disent leurs difficultés à dégager du temps rien que pour elle et, trop souvent, la mauvaise grâce du compagnon quand elles partent dîner avec des amies ou faire du sport ? Elles sont la majorité ! Les hommes qui s’allongent sur mon divan ne me disent jamais « j’aimerais tant qu’on me coupe la tête ! J’aimerais tant ne plus penser à rien, ne plus faire tant de choses en même temps ! ». Ils viennent consulter essentiellement quand ils traversent des épisodes difficiles dans leur travail. Beaucoup se plaignent d’avoir « perdu » leur femme depuis qu’ils ont des enfants. Beaucoup sont malheureux devant l’absence de désir que leur femme leur témoigne. Alors, doucement, gentiment, j’essaie de leur expliquer pourquoi leur femme sont épuisées, pourquoi elles ne répondent pas toujours favorablement à leurs attentes et que lorsqu’elles se dérobent là encore elles sont en proie à de la culpabilité, culpabilité de ne pas être encore dans l’accueil, l’ouverture et culpabilité de savoir combien ce refus est blessant pour celui qui le vit.
De toutes les femmes entrées au Gouvernement, celles pour lesquelles j’ai le plus d’admiration sont Marielle de Sarnez et Françoise Nyssen. Elles ont le même âge toutes les deux. Elles se ressemblent beaucoup physiquement. Marielle de Sarnez est une femme fine, droite et féminine sans ostentation. Dans l’une de mes chroniques, j’avais évoqué l’école baptisée « le domaine du possible » que Françoise Nyssen, Présidente des Editions Actes Sud et son compagnon, Jean-Paul Capitani, ont eu à cœur de fonder en Arles après la mort tragique de leur fils Antoine, un enfant « différent » qui avait souffert sur les bancs d’une école traditionnelle. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour cette femme et pour ce combat que son compagnon et elle ont mené pour permettre à des enfants ayant la même forme d’intelligence que leur fils de trouver un lieu pour s’épanouir. Il faut toujours une force inouïe et un amour de la vie fabuleux pour construire sur une mort qui peut, à jamais, nous priver d’espoir.
http://horscadre.blogs.courrierinternational.com/archive/…
Je voudrais dédier cette chronique à toutes les femmes qui, au jour le jour, donnent tant d’elles-mêmes à ceux qu’elles aiment et qui, trop souvent, ne se sentent ni reconnues ni valorisées et qui essaient de donner du sens à leur passage sur cette terre. Plus on a accepté que le don est sans retour et plus vite on se libère de l’attente. C’est un pas essentiel à franchir !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner