chronique des vêtements souvenirs

Un matin, entre deux
grains, nous étions tout un groupe de femmes à déposer des sacs de vêtements au
profit de l’association Emmaus. Dans ces sacs, des vêtements d’adultes mais
surtout ceux des enfants que j’avais tant tardés à trier et qui s’étaient accumulés
dans les cantines et les placards. Je repoussais toujours à plus tard ce moment
où il faudrait prendre le problème à bras le corps et se séparer, à jamais, des
vêtements dans lesquels nous avions vu grandir Céleste, Victoire et Louis. Un
grand nombre de vêtements avaient été offerts, hérités de cousins plus âgés ou donnés
par des amis. De mon côté, j’en avais aussi donnés ou prêtés qui étaient,
alors, revenus à leur point de départ. Certains étaient encore en transit.

 

Trier les vêtements avait
été un moment particulièrement nostalgique car, avec eux, j’avais revécu ces
pages déjà tournées de notre histoire riche de tous ces grands et petits
évènements. Chaque vêtement avait appelé un souvenir. Comme Mary Poppins,
j’avais sauté, à pieds joints, dans certains d’entre eux et m’étais retrouvée plusieurs
années en arrière.

 

Dans
cette petite robe en liberty bleu clair parsemé de myosotis, notre aînée avait,
par un bel après-midi de fin d’été, esquissé ses premiers pas le long du Rhône.
Dans ce pantalon de laine en tissu écossais vert, elle s’était familiarisée à
l’univers de la crèche.

 

Dans
ce pantalon noir et ce gilet prune, Victoire s’était essayée à la marche. Dans cette
robe blanche et rouge, en tissu gaufré, elle avait soufflé ses deux bougies. Dans
cette salopette bleu ciel, Louis avait fait ses premières gammes. En petit
marin, il avait appris à se laisser glisser le long du toboggan. J’avais été
très émue en retrouvant le premier pyjama offert à notre aînée, un pyjama en
éponge bleu nuit couvert de mots tendres.  

 

Prenant exemple sur notre
mère, j’avais mis de côté quelques vêtements en me disant que les enfants,
comme ma sœur et moi, l’âge venu, seraient heureux de les retrouver et de les
faire porter aux leurs.

 

J’avais tenu contre moi
une petite robe que les filles avaient toutes les deux adorée. Elle avait
appartenu à leur grande cousine. C’était une petite robe rouge avec une poche
sur le ventre sur laquelle était brodée une magnifique coccinelle. A être tant
et tant portée, cent fois lavée, elle avait perdu ses formes et le tissu était
tout râpé. N’empêche, j’avais décidé de la conserver, de même que le ravissant
nid d’ange,
dans
deux tons de rose, dans lequel les filles avaient trouvé le sommeil.

 

En général, on dit que ce sont les femmes qui
n’ont pas  terminé leur famille idéale qui ne parviennent pas à se séparer des
vêtements de leurs enfants. Ce n’est pas mon cas et pourtant cette démarche m’aura
beaucoup coûté. L’émotion venait de la presque fin d’un âge merveilleux qui va
du stade nourrisson jusqu’à la petite enfance. Serait bientôt totalement
derrière nous cette sensation si douce d’une toute petite main dans le creux
d’une paume adulte, du poids d’une tête qui s’abandonne totalement sur votre
épaule. Encore dix mois et nous en aurions fini avec les années crèche. Louis,
à son tour, ferait sa grande entrée à la petite école.

 

J’en étais là de mes
réflexions quand un jeune homme s’est saisi de mes sacs et les a expédiés, sans
ménagement, au fond d’un gros camion. J’ai imaginé, alors, des petites filles
et des petits garçons que je ne connaissais pas, traverser, à leur tour, toutes
ces premières fois, tous ces petits et ces grands évènements de la vie, portés
par les regards aimants de leurs parents.

 

Anne-Lorraine
Guillou-Brunner

 

 


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