Sous une voûte bleu Mistral, le village d’Antraigues a dit adieu, sobrement, à Jean Ferrat. C’était hier. Aujourd’hui, sur les ondes, passe une de ses chansons. Il y est question d’une belle montagne, de viande aux hormones et de l’envol d’une hirondelle qui ne saurait annoncer l’arrivée de l’automne. Au volant de sa voiture, une maman conduit son aînée au centre aéré. La route est étroite. La neige et le verglas ont dessiné de profonds sillons sur la chaussée. Les virages sont serrés. C’est la toute première fois qu’on ressent une réelle impression de printemps. Il fait très chaud dans la voiture. La petite fille demande à la maman de descendre la vitre de sa fenêtre et de la sienne. La maman s’exécute de bonne grâce. Ce matin, encore, la température flirtait avec les zéros degrés et, maintenant, en ce tout début d’après-midi, le mercure monte déjà à dix-sept. Avant de partir, la petite fille a abandonné, dans l’entrée, une paire de bottes cavalières passablement fatiguées en cette toute fin d’hiver. Elle les a troquées contre une nouvelle paire de baskets montantes en tissu. Elle a laissé, aussi, sur un fauteuil, sa doudoune rose. Cette dernière a bien besoin d’un bain prolongé dans une eau à trente degrés !
Alors que la maman est prête au départ, la petite fille a disparu dans sa chambre. Elle en ressort avec une jolie veste en jean bleu foncé. Elle l’enfile sur une robe taillée dans la même toile de Nîmes. Avant que la maman ne fasse tourner la clef dans la porte, la petite fille a tout juste le temps de se regarder dans la glace. Elle est contente de l’image qui s’y reflète. Maintenant que ses cheveux ont poussé, sa maman peut les entourer en un petit chignon, retenu par un simple élastique. De profil, elle ressemble à un de ces petits rats sautillants d’une école de danse classique. Dans la voiture, la mère et la fille écoutent, fenêtres largement ouvertes, la voix de Jean Ferrat, à laquelle s’unissent les chants, de plus en plus présents, des oiseaux. Elles se laissent aller au plaisir, tout simple, de filer, sur une petite route de campagne, de sentir le vent léger souffler, sur leurs joues et dans leurs cous, des mèches de cheveux qui ont la douceur d’une caresse. Elles ne se parlent pas, ou presque pas. Elles croisent plusieurs tracteurs. Les semailles ont commencé, dans une terre à la fois riche et sèche. Dans les prés, les poulains restent près de leur mère, les agneaux sautent gaiement. Les potagers sont prêts à recevoir plants de tomates et pieds de laitue, graines de radis et d’herbes variées.
La petite fille pense à Pâques qui approche et au plaisir, tous les ans renouvelés, de chercher, avec les cousins, les œufs, poules, lapins et autres animaux en chocolat que les cloches, sur le chemin du retour, ont la bonne idée de faire pleuvoir dans les jardins, les terrasses et même à l’intérieur des appartements. La petite fille pense à l’atelier jardinage qui l’attend cette après-midi. Elle pense, encore, à cette septième dent de lait qui ne tient plus qu’à un fil, et encore plus, à jeudi, à demain, car, sa maîtresse va lui offrir un cadeau. Le cadeau reçu en récompense des dix images patiemment récoltées.
La maman, elle, imagine, déjà, les massifs odorants de lilas et de glycine, les fleurs roses du prunus, la farandole de légumes nouveaux, les hirondelles, ombres mobiles, dans des ciels changeants. Elle pense qu’il serait enfin temps d’organiser le baptême du petit troisième. Elle pense à l’anniversaire de sa seconde fille. Elle se revoit, écrivant, de sa plus belle écriture, dans une encre verte, sur des cartons jaunes, les invitations à venir fêter le retour du printemps et les cinq ans de Victoire. Sur les cartons, elle a collé des coccinelles. Elle pourrait aussi ouvrir son esprit à des pensées bien moins poétiques, telles que la question de savoir quand il conviendra de faire transhumer les vêtements d’hiver vers les cantines et les vêtements d’été vers les placards, les vêtements étiquetés « demi-saison », ne bougeant pas, de racheter des sachets d’anti mites, de monter sur une échelle de peintre en bâtiment pour arracher les toiles d’araignée aux poutres en chêne et de se renseigner sur le début des dates d’inscription du petit dernier, à l’école maternelle. Toutes ces pensées sont, aujourd’hui, interdites de cerveau!
Dans la forêt, ça sent la sève, coulant sur les troncs rugueux des résineux. Les chants des oiseaux sont encore plus présents. Comme toujours, cette première impression de printemps, la renvoie, sans qu’elle le veuille, aux nouvelles d’Alphonse Daudet. En un instant, elle imagine, avec une netteté déroutante, un pauvre sous-préfet, tout dépenaillé, étendu dans les sous-bois, pris dans les filets d’une nature ensorcelante, s’enivrant du parfum subtil des violettes et, désormais, tout à fait incapable de tracer, sur une page toujours blanche, la première lettre du premier mot d’un discours, destiné à être prononcé au concours
régional de la Combe-aux-Fées.
Les voici arrivées au centre aéré. La petite fille tend sa carte à une animatrice, dépose un baiser sur la joue de sa maman et rejoint ses amis. La maman marche dans la forêt, en direction de sa voiture. Elle respire l’air à pleins poumons. Elle fait entrer, en elle, toutes ces merveilleuses sensations de printemps et, mentalement, fait ses adieux à l’hiver.
Un grand merci pour votre message. C’est toujours un grand bonheur d’avoir un retour sur son travail et, ainsi, de s’inscrire dans le partage. A quelle astuce songiez-vous? Pour ce qui est de vous lancer dans le blog, il n’y a aucune raison que vous n’y parveniez pas. A très bientôt et excellent premier mai.