Chronique d’une famille en mode Parcoursup depuis le plateau

Ma patiente de 10h00 m’a fait faux-bond. Ce n’est pas du tout dans ses habitudes. Enfant unique, séparée de son conjoint, maman de trois fils et déjà grand-mère de deux adorables petits-enfants (j’ai suivi sa petite-fille), elle a accueilli chez elle sa maman qui ne quitte plus son lit-fauteuil. Je l’ai aidée à se préparer à la mort de sa maman très fragile et exprimant clairement son désir de partir. Madame B avait de très fortes poussées de tension. Elle met tout en oeuvre pour que sa maman soit bien. Elle lui concocte de bons petits plats. L’hiver dernier, elle a été lui acheter une cane au marché car sa maman en avait envie. Tandis que je commençais ma chronique, madame B m’a envoyé un message. Son fils ainé est aux urgences. Elle a oublié de m’appeler pour me prévenir. C’est également une maman très attentionnée qui vient de déménager dans une maison de plain pied avec un jardin. Madame B et sa maman ont toutes deux travaillé dans une maison de retraite municipale. La maman de madame B lui avait fait promettre de ne pas la confier à l’une de ces institutions. La fille honore avec amour son engagement mais, parfois, c’est compliqué quand sa maman est injuste avec elle et qu’elle en arrive à se fâcher et à le regretter. Madame B m’avait apporté une friandise pour Fantôme quelques jours avant sa mort. Je lui ai dit que lorsqu’elle serait sortie des cartons et que sa maman, elle et toute la basse cour auraient pris leurs marques, je viendrai leur faire une petite visite.

J’avais écrit ces quelques lignes hier mais, ensuite, je n’ai pas trouvé le temps de continuer. Le matin, à 6h40, notre fille cadette entrait dans la cuisine et me disait: « Maman, je suis acceptée ». Je la serrais dans mes bras accueillant ce bonheur. Les résultats de l’école dans laquelle Victoire espérait être admise devaient être accessibles en ligne aujourd’hui. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir avec un jour d’avance que son voeu premier se réalisait! Parcoursup est un enfer pour les jeunes, les professeurs et les parents! Voici deux ans, notre fille ainée avait su mi juillet qu’elle était admise dans l’école qu’elle préférait. Elle était en Haute-Corse avec sa mamie. En catastrophe, il avait fallu qu’elles trouvent un médecin agrée par le ministère de la santé pour remplir un certificat attestant qu’elle pouvait entrer dans l’IFSI, que Stéphane scanne et envoie toutes les pages du carnet de santé à la secrétaire du médecin et que le généraliste commence les vaccinations obligatoires dont l’hépatite B. Mais et c’était une bénédiction nous n’avions pas à lui trouver un point de chute. Elle vivait déjà chez sa tante à Paris avec ses cousins. Certains jeunes sont fixés très tard et se mettre alors en quête d’une chambre ou d’un studio devient très anxiogène. Parcoursup s’y entend depuis 2018 pour gâcher l’été de nombreuses familles!

Ce matin, avant d’aller prendre le petit déjeuner, j’écrivais: « Un jour vos enfants sont petits, ils ont besoin de vous pour les histoires du soir, vos bras sont l’endroit le plus réconfortant de la terre, le monde est grand comme un jardin ou une cour de récréation, ils laissent exploser leur joie dans les manèges à la kermesse. Un jour vos enfants vous dépassent en taille, vous enserrent quand ils entendent votre peine, empruntent votre voiture. Les cadeaux de fête des mères ne sont plus faits à l’école. Vos enfants ont des projets d’avenir grands comme le monde. Ils vous parlent de studio à trouver, de linge de maison et de vaisselle à acheter. Un matin, dans une cuisine à l’heure des braves, un enfant devenu grand vous annonce avec émotion avoir réussi là où il avait envie d’être accepté. Vos bras s’ouvrent pour communier avec lui autour de SA réussite. Un soir, dans cette même cuisine, au-dessus de cette table où il a si souvent travaillé, des flûtes s’entrechoquent et vous entendez se refermer une porte tandis que le vent en ouvre une autre. Bravo Victoire!Bravo à tous les jeunes! »

Hier matin, après que notre cadette soit partie au lycée avec son frère et grande amie Léa et que je pensais à la manière dont elle avait investi l’école où elle trouvait la place que, sans le vouloir, sa fratrie lui prenait, sa soeur ainée me téléphonait pour me dire combien elle était heureuse pour sa soeur mais aussi combien elle était déçue qu’elle ne la rejoigne pas à Paris. Les deux soeurs qui sont très proches avaient le projet d’être réunies en septembre et de passer deux ans ensemble. Ce n’est que tardivement que notre cadette a osé le concours de cette école qui lui semblait inaccessible. Hier, j’ai senti toute la déception de notre ainée qui, pourtant, se réjouissait de voir sa soeur qu’elle aime si fort être reçue. Quand les filles avaient émis le souhait de vivre ensemble à Paris, je m’étais demandée comment nous allions y arriver financièrement. En même temps, j’espérais que Victoire puisse vivre ces années de construction dans une ville fabuleuse qui permet de rencontrer des gens venus de tous les horizons, de se cultiver et de ne jamais ressentir l’ennui. Presque toutes les semaines, notre ainée me dit sa joie d’être à Paris, d’échanger avec des couples inconnus dans des cafés, de faire le tour du monde en métro, d’aller écouter du jazz, de voir des expositions, d’observer les passants depuis la terrasse d’un café. Paris est une ville fabuleuse quand on est jeune. Même avec un petit budget, on peut profiter de Paris et avec une carte d’étudiants on rentre gratuitement dans presque tous les musées.

Joséphine, une ancienne étudiante de l’école où Victoire étudiera à partir de la fin août, lui a décrit la ville comme très agréable et elle va lui donner des adresses de lieux sympas. Dans cette école, pas moins de 90 nationalités représentées. Deux mineures: Afrique et Amérique du nord. Notre fille va se mettre au swahili. Son papa avait commencé à apprendre cette langue aux langues O dans le but de présenter le concours du quai d’Orsay. Une recherche rapide m’a appris que le swahili était la plus importante langue batoue et comptant le plus grand nombre de locuteurs en Afrique noire. 40 à 50 millions de personnes parlent le swahili. A l’origine, la côte swahilie allait du sud de la Somalie au Mozambique en incluant les Comores.

Les Swahilis ou «gens du Sahel» (signifiant «le rivage», en arabe) étaient des commerçants métissés d’Africains, d’Arabes et d’Indiens établis dans les comptoirs côtiers et sur les routes menant à la région des Grands Lacs. Le brassage de populations nées du commerce avec le golfe Arabo-Persique et l’Inde a donné naissance à une civilisation originale fondée essentiellement sur le commerce et sur l’existence de nombreuses cités marchandes comme Mogadiscio, Mombasa, Zanzibar, Kilwa et Sofala, véritable Méditerranée d’Orient dont le Portugal de Vasco de Gama s’est emparé au XVIe siècle. Aujourd’hui, le kiswahili, parlé de Djibouti au Mozambique et jusqu’à Kinshasa, est la langue officielle de la Tanzanie et la grande langue véhiculaire de l’Afrique. Au cours du XIXe siècle, le swahili pénétra le continent tout au long des pistes marchandes et esclavagistes. La colonisation européenne favorisa encore son extension.

Le swahili est aujourd’hui la langue africaine la plus enseignée dans le monde. Dans la majorité des cas, le swahili n’est pas une langue maternelle, mais une langue seconde parlée en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie, à l’île de Zanzibar et aux Comores, sans oublier le Rwanda et le Burundi, la Somalie, la Zambie et l’Afrique du Sud. Victoire aura la possibilité d’étudier une année en Afrique. Ce continent continue d’être au coeur d’intérêts financiers qui laissent toujours les populations sur le bas-côté. L’Occident a maintenu à leur place, depuis la décolonisation, des dictateurs monstrueux avec lesquels il joue au diable. Les Européens plient bagages tandis que les Chinois et les Russes les remplacent. La langue française y est de moins en moins parlée. Tant de défis à relever dont certains passent par la lutte contre le dérèglement climatique. Quand notre ainée sera diplômée, elle a le projet de partir plusieurs mois exercer son métier en Afrique. Il est possible qu’un jour nous y soyons tous réunis. 

Notre père a beaucoup séjourné en Afrique après avoir quitté le corps préfectoral. Il allait en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Gabon. Il nous écrivait tous les jours. Il nous racontait les pays, les gens rencontrés, les odeurs, les marchés et les tensions liées aux missions qu’il remplissait sur place. Il évoquait les rues poussiéreuses de Dakar, la mer si bleue, l’indicible pauvreté, les sourires des enfants. Il aimait particulièrement le Mali. Comme il serait malheureux de voir ce que ce pays devient gangrené par les groupes extrémistes! Mettant mes pas dans les siens, j’aurais aimé découvrir Bamako et Tombouctou, le fleuve Niger, la grande mosquée de Mopti, les marchés colorés. Toutes ses cartes sont rangées dans un classeur. J’ai constaté qu’au dos de certaines l’encre bleue blanchissait. Il n’était pas facile à déchiffrer et encore moins quand, moralement, il était fragile. Son écriture devenait lilliputienne comme s’il voulait disparaitre, ne plus exister. L’écriture dit beaucoup de notre état intérieur. Je le constate quand mes patientes ou patients remplissent des chèques. 

Vendredi soir, les cours au lycée seront finis. Si les élèves de seconde seront vraiment en vacances, les élèves de première et de terminale réviseront en vue des épreuves de français, de philosophie et du grand oral. Notre fille a choisi d’évoquer en SES le quotidien des maires de France qui démissionnent ou ont annoncé ne pas se représenter dans trois ans. En HGGSP, elle a travaillé un sujet très douloureux celui de la reconnaissance du viol comme crime et arme de guerre dans le droit international. Ces deux sujets sont tristement d’actualité. A Saint-Brévin, la maison du maire a été victime d’un incendie la nuit alors qu’il dormait avec sa femme et leurs enfants. La guerre en Ukraine s’accompagne d’une volonté d’épuration de la population ukrainienne. En forçant les corps des femmes, on les humilie, on porte atteinte à l’honneur des hommes, on les marque comme du bétail et on les expose sciemment à des grossesses débouchant sur la naissance d’enfants à moitié russes. Les hommes et les garçons n’échappent pas à cette violence mais elle est souvent tue car trop difficile à verbaliser.

Hier, Louis a rendu ses livres si peu ouverts et son dossier d’inscription contenu dans une grande enveloppe brune. Ca sent la fin! Je pense à ce que j’éprouvais à l’approche des grandes vacances quand nos enfants étaient encore petits. Ce sentiment presque de vertige de les voir quitter l’école maternelle ou primaire. J’étais triste devant les murs sans les dessins des enfants, les portemanteaux comme abandonnés sans les vêtements. Les kermesses vont commencer. Les baptêmes, les communions, les professions de foi, les confirmation et les mariages fleurissent comme le seringuas, les fleurs d’acacia, les coquelicots et les graminées qui nous ont valu trois heures aux urgences samedi après-midi. Il faudrait qu’il pleuve pour fixer les pollens et arroser la terre qui, ici, est craquelée et asséchée par le vent. Seuls la Haute-Corse et le Morbihan ont des nappes phréatiques remplies.

Hier, notre fille cadette traversait un moment de doute fort relatif à son orientation. Elle se sentait perdue. Aimerait-elle cette école dont son grand-père passé par-là et y ayant enseigné disait qu’elle était idéale pour briller dans les dîners en ville? Ne devait-elle pas faire le choix d’une double licence à Paris? Alors Stéphane et moi nous sommes replongés dans des articles et avons sollicité des personnes compétentes pour aider Victoire à se déterminer: une personne a estimé que les deux voies étaient excellentes, une autre a plaidé pour la double licence et encore deux autres ont estimé que l’école était une opportunité à saisir et une porte grande ouverte sur d’autres formations.

J’espère que tous les jeunes décrochant leur bac cette année trouveront la voie leur permettant de s’épanouir au plus près de leur aspiration. J’envoie toutes les bonnes ondes positives possibles aux parents qui traversent Parcoursup pour la première fois. Je pense aussi à tous ceux qui vont vivre le premier départ ou le dernier d’un enfant, aux membres de la fratrie qui restent. Les envols du nid provoquent des appels d’air. De nouveaux équilibres sont à trouver. Fantôme ne pourra pas nous aider. Louis m’a offert de m’accompagner à la messe pour que je n’y aille pas seule. Je ne sais pas s’il le fera à la rentrée mais j’ai été touchée par sa proposition. Il sait qu’il m’aura pour lui tout seul à partir de septembre et, clairement, je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle car, au registre du travail, je ne le lâcherai pas! Il pense que je n’en ai plus la force, que j’ai tout donné à sa grande soeur mais il me sous-estime! J’ajouterai bien un smiley pour que vous saisissiez la pointe d’humour mais je ne le peux pas!

Bonne semaine!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

1 commentaire sur “Chronique d’une famille en mode Parcoursup depuis le plateau

  1. Bravo à Victoire pour sa réussite, elle mérite amplement d’être accepté dans cette école, je ne sais pas laquelle, je lui souhaite de s’y épanouir et de faire de belles rencontres. Bravo aussi à toi Annelo ainsi qu’à Stéphane pour avoir su l’accompagner sur son chemin.
    Je vous embrasse bien fort particulièrement Victoire.

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