Chronique d’une première adaptation à l’école maternelle

fenêtre ouverte.jpgCe matin, je pousse les volets sur une belle journée. Il fait beau, déjà chaud. Cette après-midi, notre numéro trois fera une courte adaptation à l’école. Avec Louis, nous déposons les filles, l’une en C.P, l’autre en moyenne section de maternelle. Un petit détour par la boulangerie, et nous voici de retour à la maison. Depuis son bureau désespérément ouvert sur les pièces à vivre, un papa, entre deux coups de téléphone, travaille sur ses projets. Il faut faire en sorte de ne pas le déranger.

canard.jpgNous commençons par de la balançoire, d’un côté du jardin puis de l’autre. Un lapereau prenant le frais à l’ombre d’un massif de pivoines détale à notre arrivée. Louis le suit jusqu’à l’entrée de son terrier. Nous poursuivons avec une promenade en tricycle jusqu’à la mare aux canards et à l’enclos des moutons. A notre arrivée, les animaux à plumes et à poils se précipitent. Louis a du mal à jeter des morceaux de pain rassis de l’autre côté du grillage, trop haut pour lui. Comme il persévère, il finit par faire retomber quelques morceaux dans l’eau peu engageante de la mare. Nous n’avons pas encore écoulé tout notre stock de pain dur, mais les canards, rassasiés, nous tournent ostensiblement le dos. Des morceaux de pain flottent à la surface. Quel dommage, qu’à la maison, je sois la seule à aimer le pain perdu ! Nous rentrons.

étendre le linge.jpgLouis m’aide à étendre le linge. Il s’impatiente. Je ne tiens pas la cadence infernale qu’il cherche à m’imposer. En effet, je ne parviens pas à accrocher, en même temps, deux paires de chaussettes, un tee-shirt et deux culottes ! Faut-il que je sois gauche ! Maintenant, direction la cuisine. Louis m’épaule dans le nettoyage de belles feuilles de romaine. Ensuite, il apprend à manier l’essoreuse. Tandis que je prépare des tomates à la provençale, Louis s’amuse au-dessus de l’évier. Il transvase de l’eau d’un verre à une tasse. Il laisse un savon se dissoudre dans l’un des deux bacs. Il lave des couverts avec l’éponge. Son tee-shirt est trempé. L’eau ruisselle le long du meuble en bois et vient former une belle flaque, aux pieds de l’une des chaises en polycarbonate dont la transparence, dans le soleil, met délicieusement en lumière toutes les traces de doigt des enfants ! Les tomates sont au four, les filets de loup sont empapillotés, le riz basmati sera bientôt cuit. Encore quelques tours de balançoire, toujours plus haut, et je fais déjeuner mon petit écolier. Une odeur d’ail et d’herbes de Provence a envahi toutes les pièces de la maison.

carotte_botte.jpgIl est l’heure d’aller à l’école. La voiture est une fournaise. J’installe Louis à l’arrière. Je m’empresse de mettre le contact et de descendre toutes les fenêtres pour que l’air circule. Louis tient, contre lui, un petit sac contenant un change et son doudou. Il a aussi, dans la main, une belle carotte destinée à Neige, le cochon d’Inde de la classe et la mascotte de toute l’école. En sept ans de vie, Neige a été passer week-ends et vacances scolaires dans toutes les familles de la commune. Nous n’avons pas échappé à la règle !

Nous nous garons à l’ombre d’un cerisier sauvage dont les petits fruits ne sont pas encore mûrs. Les enfants du primaire sortent de la cantine. Céleste est l’une des premières. Elle se précipite dans notre direction. Quelques rares mamans qui font déjeuner les enfants à la maison sont encore là. Céleste glisse ses doigts au travers du grillage vert pour saisir les miens. Elle réclame un baiser. J’essaie tant bien que mal de coller ma joue sur la grille. Tout d’un coup, j’ai l’impression que Céleste est en prison et que c’est l’heure des visites au parloir. Je chasse cette pensée, une pensée à la Prévert et conduis Louis dans l’autre cour de récréation.prisonChild2.gif

Je me dirige vers la maîtresse qui a déjà eu les filles et va accueillir Louis dans sa classe. Les petits camarades de Victoire viennent m’embrasser et me faire admirer qui sa nouvelle casquette, qui sa belle robe qui vole, qui sa nouvelle coupe de cheveux, qui ses chaussures ouvertes. La tête me tourne. C’est alors que Victoire se jette à mon cou, avant de s’emparer de son petit frère pour lui faire faire le tour du propriétaire. Flanquée de toutes ses petites amies, elle entraîne Louis dans le bac à sable. Je discute avec les maîtresses. Il fait vraiment très chaud. Les visages des enfants sont d’un beau rouge tomate. Une petite fille se précipite vers son institutrice pour lui montrer un superbe escargot luisant d’une bave mousseuse. Une autre réclame à boire, un autre encore aimerait bien aller faire un petit tour aux toilettes. Je regarde mon fils qui aura trois ans à la fin du mois de novembre et, tout d’un coup, je le trouve tout petit. A la c
rèche, en dernière section, cela ne me frappe pas. Ici, au milieu d’enfants tous plus âgés que lui, il me fait l’effet d’un gros poupon.

peinture 2.jpgLa récréation est finie. Les enfants entrent calmement dans l’école. Chacun se dirige vers sa classe. Avant, petit passage aux toilettes et lavage des mains. Louis accroche son sac avec celui de sa sœur. Il est un peu déçu. Il ne pourra pas donner sa carotte à Neige. Le cochon d’Inde est déjà parti pour le week-end chez une petite fille qui ne vient pas à l’école les après-midis. Les enfants me font admirer les photos de leur sortie dans un château de la région, avec démonstration de catapultes. Louis est très attiré par les pots de peinture dans lesquels trempent des pinceaux. A la demande de la maîtresse, il s’assied sur un long banc. Sa sœur est à côté de lui. Elle lui caresse les cheveux. Il a les yeux dans le vague. Les deux heures de sieste quotidiennes sont passées à la trappe aujourd’hui. Victoire est à la fois fière et heureuse. Aujourd’hui, elle remplace sa soeur aînée dans le rôle important de grande sœur.

Il est l’heure, pour les parents, de partir. Je m’approche de Louis. Je l’embrasse. Il fait mine de pleurer mais se reprend très vite. Je pousse la porte. Dehors, il fait encore plus chaud. Ca sent vraiment, maintenant, la fin de l’école, les feux de la Saint Jean, les galas de danse ou de gymnastique, les kermesses et le début des grandes vacances. Dans la cour, les enfants ont abandonné tricycles, vélos et patinettes. Mon œil est attiré par une sorte de petite chose brune. Je m’approche. Je me penche. C’est l’escargot. Je le prends et le dépose, à l’ombre, sous la haie de buis. Du côté des « grands », je cherche Céleste mais ne la vois pas.escargot 2.jpg

premiers-pas-vincent-van-gogh-1-678-iphone.jpgJe retourne à la voiture. L’ombre du cerisier n’a pas empêché la chaleur de s’accumuler à l’intérieur. Je m’assieds et, le regard au loin, cherche à rassembler des images de Louis de sa naissance à aujourd’hui. Même si j’ai fait de mon mieux pour voir mon fils grandir, jour après jour, je trouve que le temps de la petite enfance est passé bien vite, vite comme le temps des cerises. Je réalise que j’ai oublié ses premiers pas. Je ne comprends pas comment ma mémoire n’a pas sauvegardé intacte ce moment qui devrait être inoubliable ! J’ai beau fouiller, vider le contenu de tous les tiroirs, tout retourner de la cave au grenier, ce souvenir ne revient pas.

Je sais que, dans quelques années, mon fils me taxera de mère indigne quand je lui avouerai ne pas être en mesure de lui raconter dans quelles conditions il a réussi à trouver son équilibre sur ses deux pieds. Je sais que la pire des réponses à lui faire serait, alors, d’invoquer son statut de troisième dans sa fratrie, sorte de pendant au fameux, « tu as essuyé les plâtres » réservé à l’aîné. Je me demande de quoi se plaindra notre deuxième, sans doute de ne pas avoir été celui qui vous fait parent ou celui avec lequel vos envies de grossesse et de nourrisson se referment. Allez, il est temps de rentrer. Je chasse toutes ces pensées futures et me promets, une fois encore, de m’approprier davantage la phrase de Prévert, « ni derrière, ni devant mais dedans ».

En septembre prochain, ce sera ma troisième rentrée à l’école maternelle. Je n’aurai pas besoin de consulter la liste des petites fournitures indispensables pour savoir quoi mettre dans le sac à dos de Louis: une serviette de table avec un élastique, un tablier pour les ateliers salissants, une boite de mouchoirs en papier, un petit oreiller et sa taie, un gobelet non jetable, des chaussons et une photo.

C’est alors que je me rappelle la phrase du grand Jacques. Je laisse septembre et je reviens à juin ! Il y a tant à vivre et à découvrir d’ici-là!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner