Chronique à quelques encablures de l’Avent

Depuis quelques jours, Fantôme et moi nous émerveillons devant le plateau prisonnier du givre. Aux premières lueurs du jour, la route glisse et la nature scintille. Fantôme et moi sommes taillés pour le grand froid sec qui nous galvanise. Tous les deux, nous pourrions marcher de longues heures sans nous lasser du spectacle offert par un automne encore flamboyant. Hier, pour la première fois, l’eau de la mare était gelée et j’ai cassé la pellicule de glace pour que Fantôme puisse boire. Les chevreuils sont toujours sous le pommier dans un champ qui appartient à Muguette et où la chasse a toujours été interdite. Les animaux ne fuient plus à notre approche. Ils se sont habitués à nous. Un jour, il faudrait que j’emprunte l’appareil-photos de Stéphane et que, sans Fantôme, je vienne me mettre à l’affut avant l’arrivée des chevreuils. Je pourrais faire des gros plans. Les tiges rouges du sarrasin ont disparu et, ce matin, j’ai vu que les petites marguerites étaient figées par le givre. Maintenant, les amoureux devront attendre le retour des beaux jours pour jouer à savoir combien ils s’aiment.

Le 23 novembre, jour de l’anniversaire de Louis, c’était l’ouverture de la 37ème édition des restaurants du coeur. L’association dresse le même constat que le secours catholique: la pandémie a augmenté la pauvreté en France et les familles monoparentales, les retraités et les jeunes isolés sont les plus durement frappés. Victoire aide, pendant les vacances, à la constitution des colis et, samedi, elle espérait participer à l’une des collectes dans un hypermarché. Je donne toujours des féculents et des produits d’hygiène comme des couches pour les bébés. Hier, au lycée, lors de la réunion de la commission de l’éducation à la santé et à la citoyenneté, j’ai proposé que soit organisée une collecte de protections hygiéniques. En troisième, Victoire avait réalisé une vidéo extrêmement percutante sur la gratuité pour toutes des protections hygiéniques. Ce week-end, si vous voyez des bénévoles des restos du coeur soyez généreux. Il fait froid et un repas chaud est essentiel!

Au premier dimanche de l’Avent, j’irai sortir la grande boite dans laquelle sommeillent depuis de longs mois les santons. Depuis que nous avons un chat, nous ne pouvons plus installer la crèche dans la grande pièce à vivre car je redoute qu’il s’amuse à jouer avec les petits personnages et qu’il ne les casse. j’en serais très triste car certains d’entre eux ont mon âge. Ils m’ont été offert comme cadeau de naissance. Presque tous les ans, profitant d’une foire aux santons qui se tient dans la ville où elle habite, notre maman offre des personnages, des animaux ou des objets pour la crèche à ses petits-enfants. Je vais aller acheter des jacinthes chez notre amie Sandie qui possède des serres sur les hauteurs du village. Il y en avait toujours au marché de Noël organisé par l’APE. C’est notre père qui nous en offrait à l’approche des fêtes de Noël et j’ai mis mes pas dans les siens. J’en offrais également à ma soeur, à Charlotte et à Valentin quand je les voyais. Peut-être que Charlotte serait heureuse d’avoir une jacinthe et de la voir se déplier de jour en jour.

Hier, comme je ne travaillais pas, j’ai refait des petits gâteaux alsaciens et je les ai rangés dans une grande boite en fer. J’avais préparé une boite pour l’une des trois CPE du lycée où Victoire est interne. J’aime énormément cette femme qui, au bout d’une semaine, connait tous les élèves de seconde, les analyse avec beaucoup de finesse et est toujours de bonne humeur même quand la maladie de Raynaud la fait souffrir. Tout à l’heure, Victoire m’a appelé entre deux cours pour me dire combien madame B avait été émue de notre petite attention. C’est si facile de faire plaisir!

Muguette a enfin du chauffage et j’en suis soulagée pour elle. Elle a traversé ces derniers jours de vrai froid avec sa seule cheminée. Là où se tenait le poêle Morvan, Muguette a installé un guéridon. Le potager est désormais bien triste. La bâche qui protégeait les tomates s’est déchirée en plusieurs morceaux. On dirait des petits fantômes essayant de faire peur aux poireaux et aux choux. Muguette avait préparé un petit salé pour son fils cadet. Elle a gardé le coeur du chou pour le manger en salade. Je ne sais pas encore ce que je vais offrir à Muguette. Ses cheveux ont bien poussé. Bientôt son amie Jocelyne fera venir la coiffeuse à domicile et toutes deux se feront couper les cheveux. Depuis deux jours, Simone, une amie d’enfance de Muguette, veuve depuis de longues années, installe de longues guirlandes lumineuses tout autour de sa maison. Je trouve triste que Muguette ne fasse plus rien pour entrer dans l’esprit de Noël depuis la mort de son mari. Je n’arrive pas à savoir si c’est parce qu’ouvrir les cartons contenant les décorations et les santons lui rappelleraient trop de souvenirs heureux qui la feraient souffrir ou parce que, vraiment, elle n’a plus envie de rien.

En rentrant à la maison, pour me réchauffer, j’ai ramassé toutes les feuilles mortes accumulées sur la terrasse et dans le jardin. Cela m’a rappelé que lorsque nous étions enfants, ma soeur notre chienne Réo et moi, dans le grand parc de la préfecture du Mans, jouions à sauter dans les tas de feuilles faits par le jardinier. Tandis que je remplissais une poubelle avec les feuilles mortes, Fantôme, impassible, me regardait. Même s’il faisait froid, que mes vieilles chaussures ont perdu en étanchéité, c’était très agréable d’être dehors, d’écouter le bruissement des feuilles, de sentir monter leur odeur, de voir le soleil grimper dans le ciel, la lune rapetisser et de me rappeler des moments de vie joyeux partagés sous les canisses.

Dés que nous serons entrés dans le mois de décembre, je pourrai faire faire à mes patients cet « exercice » que j’ai inventé et que j’aime tant: décorer un sapin avec des boules de moments heureux vécus depuis le début de l’année et, aussi, se projeter dans ceux qui adviendront. J’aime aussi beaucoup quand ils me racontent leurs souvenirs associés aux Noëls de leur enfance et la manière dont ils entrent dans cette période. Bien sûr, il y a ceux qui n’aiment pas les fêtes de fin d’année et voudraient s’endormir à la mi-décembre pour se réveiller à la mi-janvier. J’ai déjà presque complètement rempli ma hotte de maman Noël. Chercher des idées de cadeaux pour mes proches est une activité qui me procure une joie immense même si mes moyens sont limités et qu’ici je ne trouve pas forcément ce que je souhaite.

Cette année encore, j’ai acheté un calendrier de l’Avent pour Louis. L’an passé, il avait mangé tous les chocolats cachés derrière les fenêtres en deux jours! Voici trois ans, une de mes amies m’a offert pour mon anniversaire un calendrier de l’Avent de la maison Dammann. Tous les jours, j’étais si heureuse de découvrir un nouveau thé ou une infusion! Ce cadeau m’avait tant plu que c’est ce que j’ai choisi pour la maman de Louis P qui avait invité Victoire à fêter son anniversaire.

Voici deux chroniques écrites l’une le 30 novembre 2019 et la seconde le 29 novembre 2016. Samedi, Victoire et son ami Jules iront collecter des denrées alimentaires et des produits d’hygiène pour les restaurants du coeur. L’Avent est lumière s’il est partage et ouverture à l’Autre.

J’aurais voulu avoir le temps de vous raconter l’incroyable soirée d’inauguration du club créé par Stéphane à Eléphant Paname mardi soir à Paris mais le temps m’a manqué. Ce sera pour la semaine prochaine. Dimanche, les enfants iront chercher la boite contenant la crèche et les santons. Elle est glissée sous une armoire bretonne, dans notre chambre. Je les laisserai tout installer. Je m’amuserai de les voir redécouvrir les visages des santons sortis de leur linceul de papier absorbant. Nous commencerons alors vraiment à entrer dans l’esprit de Noël. Depuis que Louis a rejoint le collège, je ne consacre plus plusieurs journées à confectionner des gâteaux alsaciens vendus au marché de Noël de l’APE.

Louis est le seul qui a souhaité avoir encore un calendrier de l’Avent. Il est devenu presqu’impossible de trouver un calendrier représentant une crèche traditionnelle. Les calendriers sont à l’effigie de la reine des neiges, des playmobils ou du denier opus Star Wars. Quand ma soeur et moi étions enfants, notre grand-mère maternelle nous offrait de magnifiques calendriers de l’Avent dont nous étions si heureuses d’entrouvrir les fenêtres. On y voyait Marie, Joseph, l’enfant Jésus, les bergers, les rois mages, le boeuf, l’âne et les moutons. Les ciels étaient brillants d’étoiles. Depuis mon lit, j’essayais de m’imaginer la vie à Bethléem, la naissance d’un enfant dans une étable, l’adoration des bergers, l’arrivée des mages et, plus tard, la fuite pour échapper à la violence aveugle des soldats d’Hérode.

Tandis que Louis travaille une fiche de lecture avec son papa, les filles dorment encore et Fantôme s’est installé sur un coussin après la sortie matinale. Quand nous sommes arrivés chez Muguette, elle avait déjà nourri ses deux moutons Kiki et Nénette. Elle venait de déposer sur son poêle une casserole de grains de blé pour ses poules. Elle avait son bonnet bleu vissé sur sa tête et aux pieds une de ses nombreuses paires de crocs. La conversation a roulé autour du gaspillage, de l’incapacité des jeunes générations à pratiquer l’art d’accommoder les restes et sa peur que, pour la planète, il soit désormais trop tard.

Une lumière dorée éclaire le plateau. Les arbres sont roux. L’automne nous quitte. Les feuilles se ramassent à la pelle comme dans la chanson de Montand. Je vais aller réveiller Céleste et Victoire. Nous partirons au marché. Tandis que je passerai de l’étal du fromager à celui du poissonnier et de celui du primeur à celui du marchand d’olives, les filles iront d’une boutique à une autre. Demain, quand je me lèverai sur ce premier jour de décembre, j’irai ouvrir la fenêtre du calendrier Dammann que Virginie, la maman de Théo et d’Adèle, m’a offert pour mon anniversaire. Demain, avec Stéphane et les enfants, nous commencerons à glisser dans une boite bretonne nos meilleurs souvenirs et, le 1er janvier, nous les lirons.

Pour vous, ce matin, j’ai ressorti une chronique écrite le 29 novembre 2016. Je vous l’offre comme première fenêtre du calendrier de l’Avent.

Quinze minutes pour goûter le calme, une tasse de café à la main, après la petite tempête des cinq matins dans la semaine. Les filles ont quitté la maison à 7h20 et Louis et deux de ses amis viennent juste de partir pour l’école. Tous les matins, après les avoir embrassées sur le bout du nez, j’adresse un petit signe de la main à Céleste et à Victoire par la fenêtre du salon. Je m’amuse à ne faire apparaître que ma tête entre les deux pans des rideaux rouges. Le matin, je suis toujours gaie comme un pinson. Le bonheur simple de se sentir vivre et d’en mesurer la chance ! Entre le départ des filles et le petit déjeuner de Louis, Fantôme et moi sommes allés nous promener sur le plateau. Un vent du nord glacial, les dernières feuilles des pommiers tourbillonnant, des oiseaux volant par centaines et décrivant dans le ciel clair des arabesques, le bruit de leurs ailes battant l’air, de jeunes moutons s’amusant à se bousculer en une sorte de mêlée frisée et bêlante. Quand je suis rentrée, j’avais le visage gelé et les doigts gourds. Fantôme s’est précipité sur le canapé !

Mes yeux se promènent dans la maison désormais si tranquille. Les lits sont faits, sauf celui de Louis dont je change les draps. Une première machine tourne. Je l’entends qui ronronne depuis mon bureau. Dans la crèche, les santons semblent sommeiller. Ils s’animeront avec le retour des enfants et leurs traits s’éclaireront à la lumière de la première bougie de l’Avent. Fantôme se délecte avec un énorme os que l’une de mes patientes dont le mari est boucher, charcutier et traiteur m’a apporté jeudi soir dans un sac dégoulinant de sang. Fantôme l’a boudé jusqu’à samedi et, depuis, il le ronge méthodiquement et grogne quand on s’approche de lui.

Les playmobils de Louis sont sereins. Ils s’étalent lascivement dans l’une des pièces à l’étage de la maison. Hier soir, avant que sa mamie ne reparte par le train, nous avons reconstitué ensemble le ranch, le commissariat de police et le château-fort. Ils étaient disloqués façon puzzle comme des bouts de monsieur Patate. La Porsche que sa mamie lui a offerte pour ses neuf ans est sur mon bureau. Ce matin, avant de boire son chocolat chaud, il en a démonté les jantes. Louis aime quand les jouets ont perdu leur côté trop neuf, trop beau, quand les coups et les bosses témoignent de toute cette vie de rudes combats, de luttes au corps, de courses folles, de sorties de route. Les playmobils sont scalpés. Les chevaliers ont perdu des membres. Leurs visages sont souvent couverts de feutre rouge. Plus ils sont mal en point et plus Louis les aime ! Il a pour mon Ravi, celui qui a mon âge et qui a perdu ses deux bras, une profonde affection quand, Victoire, plus jeune, voulait à tout prix le dissimuler dans un coin obscur de la crèche. C’est Woody qui a vécu les aventures les plus incroyables. Louis l’a noyé dans un seau, enterré dans le sable sur la grande plage de l’Espiguette en Camargue, exposé à la brûlure du soleil gardois, pendu par les pieds dans la cour de la maison de sa grand-mère maternelle, lavé des dizaines de fois à grand renfort de savon. Woody a survécu à toutes ces épreuves. Il semble avoir gagné, enfin, le droit au repos du guerrier sur le lit de Louis.

Louis est comme moi, il parle souvent de la mort, de sa mort, de ce qu’il voudrait avoir entrepris avant de mourir. Notre père m’avait, à son insu, transmis ce sentiment aigu que notre vie est courte, filante telle une étoile dans un beau ciel d’août. Ce sentiment crée chez celui qui l’éprouve une urgence à vivre, urgence qui peut devenir pathologique si on a pu penser perdre son temps, le dilapider sottement dans des moments de non-action. Je crois que Louis ressent déjà cette urgence à vivre. Comme moi, il adore et il déteste ! Comme moi, il vit la plus belle journée de sa vie et, le soir, ce plus beau jour est devenu le pire. Il est excessif, entier, traversé par une tempête d’émotions. Son humeur ressemble à la couleur du ciel en mer d’Iroise. Jusqu’à l’adolescence, j’ai été sur ce mode qui pouvait évoquer certains personnages de la littérature russe. Mais, je n’ai, à ce jour, encore jamais jeté par-dessus mon épaule de verre de vodka. Pourtant, cela me plairait beaucoup ! Malheureusement, je n’aime pas la vodka et quand j’étais plongée dans les aventures de Sylvain Tesson, sur les bords du lac Baïkal gelé, je me demandais comment il pouvait en ingérer une telle quantité !

J’avais la grippe quand je suivais Tesson dans son aventure pas toujours solitaire. La vision du lac Baïkal pris dans la glace apaisait ma fièvre. Je brûlais d’envie d’entrer dans un bania et, ensuite, d’aller me plonger dans l’eau gelée. J’aurais rêvé vivre une expérience similaire mais j’aurais souhaité la partager. Stéphane a une chance immense car il va accompagner une expédition le long du Baïkal fin février. J’adore le froid, pas lui ! Depuis que les températures sont tombées, je m’amuse à le mettre à l’épreuve, le matin, en ouvrant grand les fenêtres quand il est encore dans le lit et à l’inviter à se lever.

Les expériences dites « limites » m’ont toujours attirée. J’aime le dépassement de soi tant intellectuel que physique. J’aime sentir qu’en moi rien n’est figé, que je suis telle l’écorce terrestre, en proie au jeu de la tectonique des plaques. Pendant notre tour du monde, nous avons vécu des moments de dépassement très forts. L’âge venant et, avec lui, un vague, très vague début de sagesse, j’ai appris à me canaliser, à dompter ma nature sauvage comme un poney de Michel Déon. Je sais que Louis va y arriver. Il va s’adoucir, apprendre à s’économiser, à dompter Thanatos mais il gardera sa grande sensibilité et ses magnifiques élans enthousiastes qui pourront alterner avec des épisodes de grande tristesse.

Dimanche, Victoire a eu la gentillesse de m’accompagner à la messe du premier dimanche de l’Avent. Céleste préfèrait profiter de sa mamie qui a peu le loisir de venir nous voir et que ses petits-enfants attendent et célèbrent toujours comme le Messie ! Quant à Louis, il n’est pas venu car il ne sait toujours pas si Dieu existe. Je le laisse cheminer. Je ne crois pas au passage en force mais je crois en la force de l’exemple. Assister à une messe, l’hiver, dans nos petites églises de campagne est un véritable acte de foi tant un froid humide et pénétrant y règne. Victoire et moi, nous sommes vêtues de manière à survivre à une température sibérienne. Et, en effet, quand nous sommes arrivés dans l’église, l’atmosphère y était glaciale. Victoire m’avait fait promettre que nous ne prendrions pas place au premier rang. Elle redoute toujours que notre Père, Didier, l’interroge, ce qu’il ne manque pas de faire avec les enfants présents qui, le plus souvent, se transforment en statues de sel comme la seconde épouse de Loth quittant Sodome et à laquelle la Genèse ne donne même pas de prénom. On était si nombreux dans l’église que, finalement, on n’a pas eu froid. L’Evangile de saint Matthieu, au travers du rappel du récit de l’arche de Noé, nous invitait à nous tenir prêt, à ne pas attendre que Jésus s’annonce pour être en chemin vers lui. Se tenir prêt, c’est le sens profond du temps de l’Avent, un temps pour se préparer à la naissance du fils de Dieu. Il s’agit de faire entrer la lumière, de s’ouvrir davantage aux autres et de partager.

C’est donc un temps de partage simple que nous avons vécu à la sortie de la messe autour d’un verre de jus de pomme fermier et en croquant dans de délicieux petits gâteaux faits maison. Nous avons acheté des bougies présentées par le secours catholique. Je serais volontiers restée davantage mais Victoire avait les pieds frigorifiés et, à la maison, Céleste et Louis étaient impatients d’installer la crèche. C’est encore un beau temps de partage qui nous attendait Stéphane et moi à la ferme de la Rougerie accueillant, comme chaque année, à la même époque, des artisans autour d’un marché de Noël. J’adore cette ferme dont l’ambiance me rappelle les intérieurs des maisons de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande et réveille en moi l’envie de voyager. Nous y avons retrouvé notre amie Aline qui, avec son mari, maire de notre village, fabrique et expose de très beaux jeux en bois et Marie-Christine, kinésiologue, dont les yeux bleus profonds sondent les cœurs et les reins. Nous sommes restés un long moment à nous laisser transporter dans les histoires magiques des Rainier, une famille d’araignées dont tous les membres sont sortis de l’esprit hautement habité de Mathilde Lebossé. Mathilde Lebossé est une conteuse dans l’âme, une de ces magiciennes de l’imaginaire qui vous font passer de l’autre côté du miroir en prenant par la main le petit enfant qui sommeille en vous et attend qu’on vienne le chercher. Fascinée, je l’écoutais me raconter l’histoire d’Edouard, le tailleur de guêtres, d’Amélia, la nourrice de six bébés araignées, d’Aliocha, le caresseur d’espoirs, d’Adhémar, le pilote de courge, de Bernard et de ses champignons et d’un autre frère dont le prénom m’a échappé, musicien et compositeur de son état, qui voyage sur un tapis d’Orient et voue à Loti une vraie passion.

L’histoire d’Aliocha m’a vraiment séduite. Aliocha est né dans un grenier du Bolchoï. A si souvent entendre les danseurs et les danseuses redouter de ne pas réussir à s’élever au rang d’étoiles, il a eu l’idée de devenir « caresseur d’espoirs ». Les gens peuvent l’appeler au téléphone pour partager avec lui un espoir et s’ils sont timides, ils peuvent glisser dans le goulot d’une bouteille un papier sur lequel ils auront écrit ce qu’ils espèrent. Aliocha a disposé autour de lui des objets doux à caresser. Ce sont des gris-gris. Il les caresse en se concentrant sur l’espoir de manière à ce qu’il se réalise. Chaque membre de la famille Rainier évolue dans un univers qui lui est totalement dédié. Rien n’a été laissé au hasard. Mathilde Lebossé est non seulement une conteuse mais une extraordinaire décoratrice d’intérieur. Ce qui est amusant, c’est qu’elle avait les insectes en horreur et a abordé ce travail en songeant qu’elle pourrait se défaire de sa peur des araignées. Cela a marché. Elle est guérie ! J’aurais aimé lui demander si elle faisait comme Sido, la mère de Colette et, dans leur maison de Saint Sauveur, leur donnait du lait à boire dans une soucoupe.

En rentrant, nous avons retrouvé nos trois enfants accrochés à leur mamie sur le canapé rouge, près du feu de cheminée. Céleste avait fini sa géographie, Victoire sa physique et sa chimie et Louis jouait avec son nouveau cadeau d’anniversaire : une Porsche Playmobil. Tous ensemble, nous avons encore vécu un beau moment de partage. Les uns contre les autres, tels des grains de raisin accrochés à une grappe, nous avons vu le film adapté du livre de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie ». Comme Stéphane va partir avec un groupe skier dix jours le long du Baïkal, je pensais que les enfants seraient heureux de voir à quoi ressemblait cet endroit unique au monde, ce lac plus grande réserve naturelle d’eau douce de la planète. Les enfants ont beaucoup aimé le film mais notre aînée, à la nature anxieuse, n’était pas vraiment rassurée en songeant que son père allait dormir dans des cabanes ou sous tente et que la température y serait si froide. Elle s’inquiétait également de la manière dont il allait se nourrir et voulait être sûre qu’il n’aurait pas à aller chasser. En écoutant Céleste et en songeant à ce que nous avions pu vivre, parfois, pendant notre tour du monde, je me disais que le temps était venu que nous voyagions avec nos enfants ! Bien qu’ayant grandi à la campagne depuis l’âge de deux ans, Céleste a bien du mal à concevoir la vie sans un centre commercial à plus de dix kilomètres de chez elle !

Vingt-quatre heures se sont écoulées dans ma vie de femme, de maman, de sophrologue et de chroniqueuse. Il faisait encore plus froid ce matin ! Mais, quelle joie, de sentir craquer les brins d’herbe gelée sous les roues du vélo et de voir rougeoyer la ligne d’horizon sous la poussée du soleil levant !

Très belle semaine à vous tous ! N’hésitez pas à envoyer vos espoirs à Aliocha. Je sais qu’il saura les caresser suffisamment pour qu’il se réveille. Je lui adresse un vœu, celui de revoir, avant que 2016 ne s’envole, une personne qui m’est très chère qui vit au loin et voyage essentiellement sur un tapis volant, un tapis d’Orient !

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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