Chronique autour de deux nouvelles étapes fortes (rentrée en sixième et rentrée en seconde)

En ce trois septembre, ce sont plus de douze millions d’enfants et d’adolescents ainsi que huit-cents-quatre-vingt-mille professeurs qui retrouvent le chemin de l’école, du collège ou du lycée. Dans les sacs, un mélange d’odeur de cuir et de plastique se veut promesse de travail sérieux et aussi de courage devant les difficultés d’apprentissage ou les devoirs à rendre.

En ce trois septembre, l’alarme de mon portable retentit à six heures. Mon cerveau ne se demande pas s’il a assez dormi. Mon corps sait bien qu’il est épuisé mais, bon soldat, il ne se pose pas de question, se lève et va pousser les volets en bois vert des fenêtres de la chambre qui s’ouvrent sur un ciel noir, pur, piqué d’étoiles scintillantes. Récemment, dans une dictée tirée du magnifique récit dans lequel je suis actuellement plongée  » Hautes solitudes. Sur les traces des transhumants » d’Anne Vallaeys, Céleste a écrit le verbe scintiller conjugué à la troisième personne du pluriel de l’imparfait « s’intillaient ». Cela avait fait sourire sa soeur soumise, elle aussi, aux mêmes exercices de fin de grandes vacances scolaires.

Le ciel est sombre. L’air est frais. Pas un bruit. Je retrouve mes petites habitudes. J’avance à pas feutrés en direction de la cuisine, caresse longuement notre Fantôme, notre berger australien qui aurait volontiers, dans une autre vie, accompagné les bergers et leurs troupeaux de moutons et de brebis d’Arles à la haute vallée de l’Ubaye. J’allume la radio et écoute les chroniques des journalistes de France Inter. J’ai un faible très prononcé pour les journalistes des matinales, ceux qui se lèvent à quatre heures pour prendre la tranche du 5/7. Le mot « rentrée » est sur toutes les lèvres et la parole est donnée à des auditeurs qui revisitent leurs souvenirs d’entrée à l’école maternelle. Inutile que j’y revienne. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises. Ma rentrée à la maternelle fut si catastrophique que dès le lendemain je découpais ma robe avec des ciseaux à bouts ronds et que notre mère qui espérait tant être enfin débarrassée d’une petite fille feu follet qui l’épuisait devait me tirer dans la rue. J’eus gain de cause! On abandonnait cette école où les institutrices parlaient le portugais et où les jeunes enfants étaient condamnés à des siestes, pour moi, inutiles! L’école était faite pour apprendre à lire, à compter, à dessiner, à modeler, à danser, pas à dormir! A deux ans, pour être enfin soustraite à cette obligation redoutable, j’avais enduit de cirage noir ma robe, mes chaussettes, mes jambes, mes bras et mon visage et avais fait une entrée fracassante dans le salon où notre mère prenait le thé avec des amies!

A six heures vingt, je pousse doucement la porte de la chambre de Céleste et lui souffle qu’il est l’heure de se réveiller. Pas besoin que je revienne. Elle se lève tout de suite. Elle enfile un jean noir, un tee-shirt rouge, un pull gris, des baskets rouges et laisse ses cheveux dorés cavaler sur ses épaules. Elle est belle de cette beauté sans artifice, une beauté qui n’est pas seulement physique mais qui vient du coeur. Le thé est trop chaud. Elle le boira tout à l’heure. Elle grignote quelques céréales en regardant son portable. Elle me lit le message qu’elle vient de recevoir de son parrain. Quand cela sera possible, elle ira à Lyon et fera un stage dans son cabinet d’avocat mais aussi dans celui de la meilleure amie de son papa, Nelly et, enfin, dans celui du mari de Nelly, Xavier. Elle aura ainsi un large aperçu des branches du droit privé. Stéphane, son papa, fait son apparition en haut de l’escalier. Il a quitté notre chambre hier soir. Trop de tension, un dos nerveux. Avec Louis qui ne parvenait pas à trouver le sommeil, nous avons regardé « African Queen » un film réalisé par John Huston en 1951 avec Katharine Hepburn et Humphrey Bogart. J’avais vu ce film avec notre grand-mère maternelle. En le revoyant, je m’étonnais de me le rappeler si bien. Quand le film s’était terminé, Stéph avait laissé passer le train du sommeil. Il ne stationnerait plus en gare avant une heure du matin. C’est lui qui va accompagner Louis, notre benjamin, au collège pour son entrée en sixième. Hier soir, Victoire a préparé la tenue de son frère: jean gris, tee-shirt blanc, veste en toile bleue et baskets grises. C’est avec Victoire, qu’au tout début des grandes vacances, au moment des soldes, Louis avait été refaire sa garde-robe. Victoire est très à cheval sur le style. Dans une pièce de théâtre joué à l’école primaire, elle incarnait la brésilienne Cristina Cordula. Elle était parfaite et arrachait à la salle de larges éclats de rire.

Victoire dort profondément et elle ne sortira pas de sa chambre pour venir embrasser sa soeur et son frère. Avant que nous ne partions pour le lycée, Louis demande à Céleste de l’aider à se coiffer. Il trouve que ses cheveux ne ressemblent à rien. Ils auraient besoin de quelques coups de ciseaux. Par une photo prise devant le trampoline, non loin du bouleau argenté, j’officialise cette rentrée 2018. Dans notre famille, les rentrées sont des moments très importants, très investis. Certaines rentrées encore plus! Hier, notre mère en villégiature chez notre oncle Guillou et notre tante dans le massif de l’Estérel et ma soeur, à Paris, ont appelé les enfants pour leur souhaiter une bonne rentrée. J’ai, également, adressé des messages à mes filleules, à des jeunes patients et à des amis proches. La rentrée, c’est aussi l’occasion de s’envoyer des pensées affectueuses et rassurantes.

Céleste et moi partons après avoir embrassé Louis. Fantôme se demande pourquoi je ne l’ai pas déjà emmené se promener et, avant, voir Muguette, sa petite chienne Pépette et ses moutons juneaux, Nénette et Kiki. Fantôme aime partager avec les moutons des morceaux de pain sec et boire dans l’arrosoir l’eau fraîche que Muguette tire de son puits. Tous les jours de la semaine, elle ne nous a pas laissés repartir sans nous donner diverses variétés de tomates ramassées ensemble dans son potager, des mirabelles ou des reines-claudes et des petites pommes rouges au goût de châtaigne. Avec les tomates, j’ai fait un coulis que j’ai congelé et qui fera renaître l’été dans un plat de pâtes en hiver. Avec les fruits, j’ai fait une tarte XXL. J’en avais apporté un morceau à Muguette mais elle l’a trouvée trop sucrée à son goût. Muguette se nourrit peu. Le matin, elle boit son café noir et croque dans des bouts de pain sans beurre ni confiture. Elle a horreur des yeux que le beurre fait apparaître à la surface du café quand on y trempe ses tartines.

Dans la voiture, nous n’écoutons pas de musique. Céleste a froid. Je mets le chauffage en route. Le soleil, tout rouge, monte lentement au-dessus de la ligne d’horizon. C’est curieux de prendre le chemin de Montargis quand, depuis quatre ans, nous allons à Château-Renard. Céleste me dit que le chauffeur du car va lui manquer ainsi que la vision des hordes de chevreuils saisie dans les petits matins sur la route les menant au collège et serpentant à travers les champs. Quand nous arrivons devant le lycée, quelques voitures stationnent déjà. Le nombre de véhicules augmente assez rapidement et les lycéens sont de plus en plus nombreux à attendre debout devant les grilles du lycée située à la lisière de la forêt. Sorti de terre en 1960, le lycée compte environ mille-six-cents élèves. Pour éviter des semaines très lourdes, Céleste et Valentine, sa meilleure amie, avaient à un moment songé à être internes avant de changer d’avis à quelques jours des épreuves du brevet. A partir de demain matin, Céleste prendra le bus avec Pauline à 7h10 et rentrera le soir à 18h50. Il faudra, ensuite, trouver le courage de se mettre au travail et je sais déjà que Céleste aura besoin de soutien pour y arriver. Finies les soirées étendues sur le tapis d’Orient devant un film ou un documentaire loués à la médiathèque!

Le temps passe. Céleste qui n’a pas vu arriver Valentine décide de rejoindre Flavie et Léa. L’émotion me gagne au moment de l’embrasser. Ma vue se brouille. Je ne suis pas inquiète. Je sais que Céleste va enfin se mettre au travail et qu’elle va aimer ses trois années au lycée. Je lui souhaite de les aimer autant que moi, d’y avoir, en première en français et l’année suivante, en philosophie, d’aussi merveilleux professeurs que moi. Des êtres qui continuent de vous accompagner dans votre vie tant toutes les graines qu’ils ont semées n’en finissent jamais de lever! Ce qui m’émeut tant, c’est de la voir ouvrir ce nouveau chapitre de sa jeune existence et de la sentir si sereine et si prête.

Au moment où je passe devant le lycée, nos regards se rencontrent et je lève ma main en un petit coucou. Nos enfants grandissent et avancent dans cette confiance que nous leur accordons. Mon portable clignote. Stéphane vient de m’envoyer une photo de Louis et de sa brochette d’amis. Tout à l’heure, à la maison, après que j’aie promené Fantôme dans une lumière dorée attachée aux matins de septembre, Stéphane me racontera comment Louis a fait rire toute l’assemblée. Au moment où le Principal l’a appelé, il a glissé doucement un « Et voilà! » qui, dans le silence, a été entendu de tous. Il s’est ensuite dirigé vers son professeur principal qui lui souriait et qui le connaît bien. Très grande judoka française, hyper investie dans le bureau du club de judo, elle a remis à Louis une médaille lors d’une rencontre. Stéphane est certain que Louis et son professeur vont très bien se comprendre. Son professeur saura cerner ce petit zèbre complexe qui se soumet à une exigence redoutable et plonge dans une authentique détestation de lui-même quand il se sent en échec. Une grande judoka saura certainement lui expliquer qu’on apprend de ses erreurs et que c’est ainsi qu’on devient meilleur.

Les nuages ont gagné le ciel au-dessus du plateau. La croix de saint Jean est partie dans un atelier pour y être ressoudée. Victoire est toujours dans son lit. J’ai beaucoup pensé à elle en lisant, hier, sur la terrasse, un article consacré à ces ados qui vivent couchés. Le journaliste plein d’humour avait recensé six manières d’être installé dans son lit que je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous. Il y a le « nem » qui consiste à être roulé bien serré dans sa couette telle la farce d’un pâté vietnamien dans sa galette de riz. Il y a la position du ravioli chinois, également appelée Ha Kao, où le jeune est littéralement « boulifié » sous sa couette dont il a replié les bords sous lui pour conserver toute la chaleur avec un effet assez proche de la cuisson vapeur. Il y a l’étoile de mer. Etendu sur le dos, l’ado est plongé dans une intense observation du plafond de sa chambre et, sur le ventre, l’inspection de son oreiller. Il existe une variante à l’étoile de mer avec un pied dehors de manière à garantir le rafraîchissement de tout le corps. Pour finir, on trouve La Geronimo, jambes en tailleur, couette sur le dos, à la manière d’un grand chef apache dénommé Go Kla Yeh, celui qui bâille, qui permet de se boire et de manger. Et, la plus littéraire, La Madame Récamier, dans laquelle l’ado est étendu sur le côté et se sent une naturelle prédisposition à la lecture.

Ce qu’il y a de rassurant dans cet article écrit par Michel Dalloni qui maîtrise si bien le sujet, c’est que cette nouvelle tendance des adolescents n’inquiète pas les thérapeutes tant qu’elle ne devient pas pathologique et ne désocialise pas ceux qui s’y adonnent. Pour la plupart des psychologues, le lit devient une sorte de parade aux agressions du monde moderne. Comme le dit Pierre Lassus, psychothérapeute, directeur général honoraire de l’Union française pour le sauvetage de l’enfance : « Cette parade aux agressions de la modernité permet de profiter du système tout en jouissant de son cocon ». Il voit dans ce comportement un exercice de liberté, de mise à l’abri le temps d’achever sa formation. Comme il est de notoriété que les psys adorent culpabiliser les parents, à la question du journaliste consistant à savoir quoi dire à des parents qui s’impatientent et s’énervent de voir leurs enfants alités des heures durant, Pierre Lassus répond: « Je ne vois décidément rien de négatif dans de séjour prolongé au lit. Que les parents s’en soucient est dans l’ordre des choses. Mais leur inquiétude, quand elle est excessive, en dit long sur eux, sur leurs angoisses, leurs obsessions et leurs projections. Le véritable problème est peut-être là… »

Et si, finalement, nous étions jaloux de cette liberté que prennent nos ados? Et si nous ne rêvions pas de devenir comme le personnage attachant imaginé par Yves Robert, Alexandre le Bienheureux? Demain, dans tous les cas, Victoire devra se lever, s’habiller et, avec Louis, reprendre le chemin du collège. Victoire qui a toujours été, avant l’année dernière, une nature ultra tonique,  a décidé de se remettre au sport. C’est déjà un premier pas!

En fin de journée, Céleste et Louis partageront avec nous leurs ressentis de la journée. Tous les deux me tendront des documents administratifs à remplir, des autorisations à signer et j’aurai aussi des chèques à faire. Resterons encore les inscriptions aux activités sportives, à l’aumônerie et, peut-être, à la chorale pour les filles et nous serons en ordre de marche pour une nouvelle année scolaire.

J’espère que la rentrée se sera bien passée pour vos enfants et vos petits-enfants. Je laisse le mot de la fin à Béatrice Copper-Royer, psychologue, mot que je partage parfaitement: « C’est leur rendre un grand service que les enfants ne se sachent pas l’unique objet d’intérêt de notre existence! ». J’explique souvent à notre trio que leur père et moi avons été un couple constitué de deux êtres différents et indépendants, que nous avons préexisté à leur naissance et que nous continuerons d’exister quand ils seront partis et que cette existence sera d’autant plus positive que nous ne nous serons pas oubliés en tant qu’individu et couple dans nos rôles de parents.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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