Hier, je venais de terminer mes séances de sophrologie quand Stéphane, mon mari, m’a dit que Notre-Dame était en flammes. Je l’ai rejoint sur le canapé de la mezzanine et, la gorge nouée, les yeux brouillés, j’ai vu Notre-Dame s’embrasant et cette double herse des lances des sapeurs-pompiers dressée vers elle. Ces images semblaient absolument surréalistes! Notre-Dame de Paris ne pouvait pas brûler! On apprenait que le feu était parti des combles et que, sans doute, il était lié aux travaux de restauration de la toiture commencés depuis de longs mois. Comme nous sommes tous, à des degrés divers, devenus légèrement paranoïaques, je me mettais à redouter que l’incendie soit d’origine criminelle et qu’au tout début de la semaine sainte on ait cherché à détruire l’un des coeurs encore vibrants de la foi catholique.
La nuit enveloppait Paris et, sur la Seine, j’imaginais, dans les bateaux mouches, des touristes ébahis devant l’incendie. Les Parisiens avaient afflué plus pour montrer leur attachement à celle qui marque le kilomètre zéro de notre hexagone que pour faire des vidéos ou des selfies sur fond rougeoyant. Les Parisiens étaient venus aussi s’unir par leurs prières à Marie au travail si courageux des sapeurs-pompiers ayant tout mis en oeuvre pour sauver les beffrois. Devant ce spectacle apocalyptique et alors que la flèche s’était déjà effondrée, je pensais aux visages malicieux des gargouilles sensées éloigner le malin, aux trois rosaces magnifiques datant du treizième siècle. J’avais si peur que la chaleur les souffle! Je pensais que les enfants étaient tout petits quand nous avions été la visiter. En cinquième, Céleste et ses camarades avaient avec leurs professeurs de français et d’histoire étudié le tympan. Je songeais à tous ces moments délicieux passés près d’elle, ces moments où, surtout la nuit, j’aimais suivre les rondeurs de ses flancs et, au soleil couchant, voir sa silhouette se détacher sur un ciel d’été. J’aimais aussi beaucoup en faire le tour au printemps quand tous les arbres étaient en pleine floraison et que les pommiers du Japon semblaient réjouir la sculpture de Jean-Paul II.
Devant ces images terribles, je pensais à ceux que j’aime et qui, comme moi, ce soir-là, souffraient. Notre mère était en larmes. Ma soeur était en proie à une émotion profonde. Je pensais à l’un de nos cousins, Jean-Guilhem, qui occupe un poste à l’AP-HP et dont le bureau donne sur Notre-Dame. Je me demandais s’il était à Paris. Je pensais à Lydie Dattas dont le père, Jean Dattas, était organiste à Notre-Dame. Je songeais à la restauration en deux campagnes de travaux du grand orgue de Notre-dame, le plus grand orgue de France. Hier, j’ai appris que Notre-Dame était le monument le plus visité à Paris avec près de 14 millions de visiteurs par an. Je trouvais merveilleux que l’évêché de Paris se soit toujours refusé à en rendre l’accès payant (hormis la partie haute). Très vite, hier, des propositions de financement arrivaient de toutes parts et le principe d’une souscription nationale semblait acquis. Je ne pouvais pas ne pas sourire devant les offres si généreuses de grands groupes qui sont les champions de l’évasion fiscale…Je me disais qu’ils voyaient-là l’occasion rêvée de s’acheter une bonne conscience…D’ailleurs, je fulmine contre toutes ces pseudos fondations à vocation culturelle qui sont encore un moyen d’échapper à l’impôt. La plupart des fondations prennent des airs d’indulgences du Moyen Age!
La toute première fois que je suis entrée dans Notre-Dame, je pense que c’était avec notre père alors en poste à Matignon. Il m’avait entraînée dans l’une de ses très longues promenades dans Paris et, à la fin, j’étais si épuisée que j’avais bien du mal à marcher. Il se retournait vers moi. Cela semblait l’agacer que je le contraigne à ralentir sa cadence. J’avais dix ou onze ans et je ne pouvais pas imaginer que lorsque je serais devenue mère, je soumettrais nos trois enfants aux mêmes sorties sans fin dans Paris et que je serais prête à toute sorte de ruse pour les faire marcher encore et encore. La perspective d’une glace au chocolat chez Berthillon, île Saint Louis, étant l’une de mes bottes favorites!
La toute première fois que je pénétrais dans Notre-Dame, je me sentais littéralement écrasée par les volumes. Les cathédrales nous font prendre la mesure de ce que nous ne sommes rien à l’échelle du temps, que notre passage sur terre est aussi fugace que celui d’un éclair! C’est la raison pour laquelle notre temps terrestre est si précieux! Je me souviens combien les rosaces représentant les fleurs du paradis m’avaient fascinée. Je ne crois pas avoir été visiter le trésor mais je sais que nous étions montés nous approcher des cloches. Dans la tour nord, huit cloches ont été fondues en 2012 et dans la tour sud, on trouve deux bourdons. Toutes ont un prénom: Gabriel, Anne-Geneviève, Denis, Marcel, Etienne, Benoît-Joseph, Maurice, Jean-Marie, Emmanuel et Marie. C’est absolument merveilleux d’entendre les cloches sonner à toute volée comme nous les entendrons dimanche après qu’elles se soient tues en souvenir de la mort du Christ. Je n’avais jamais entendu d’enregistrement des cloches de Notre-Dame célébrant la libération de Paris en 1944. J’ai réussi à en trouver un:
https://www.youtube.com/watch?v=dyKtQyIAzJU
Hier soir, tandis que les flammes consumaient les 1300 chênes de la charpente représentant 21 hectares de forêt, je pensais à la foi qui animaient tous ceux qui, pendant deux siècles, l’avaient érigée. Je repensais à la trilogie si passionnante de Ken Follet « les piliers de la terre », songeais que je n’avais jamais lu « Notre-Dame de Paris » mais en avais vu l’adaptation de Jean Delannoy de 1956 avec la charnelle Gina Lollobrigida et le ténébreux Anthony Queen.
Ce matin, grâce aux efforts et au courage des sapeurs-pompiers de Paris, Notre-Dame de Paris est meurtrie mais elle est sauvée! La foi et l’amour du patrimoine vont permettre de panser ses blessures. On le sait: il en faut du temps et de la volonté pour se remettre de brûlures profondes nécessitant des greffes.
Hier, devant le peuple de Paris réuni autour de Notre-Dame, à l’écoute des commentaires des hommes et des femmes politiques, j’espérais qu’on en avait fini avec le déchaînement de violences né du mouvement des gilets jaunes et des corpuscules ultras qui s’y agrègent pour casser, brûler et piller. Notre-Dame en feu n’était-ce pas l’épilogue de cette pièce finalement si peu démocratique en XXII actes? Malheureusement, je viens de lire que le mouvement s’organisait déjà en vue de ce samedi…
J’aurais dû vous parler de notre toujours trop court séjour dans le Gard, dans la bonne et vielle maison de Pont, de mon émotion d’y voir notre Victoire y célébrer, là où elle est née la tête ceinte de lilas et de glycine, son quatorzième anniversaire, les attentions si délicates de Farida à l’attention de Victoire, les retrouvailles, trente ans plus tard, entre Stéphane et Anne-Sophie Pic, à Valence, ces temps chaleureux partagés avec Claire et Reno Marca venus dédicacer à la librairie « l’oiseau siffleur » leurs nombreux ouvrages, Virginie, artiste-peintre et Jacky, Farida et Nicolas et leurs enfants, Sarah qui nous avait suivis dans les Cévennes, sa maman, Milouda, Véronique, la maman de ma troisième filleule, Pauline, qui faisait enfin découvrir à ses trois enfants le lieu où, enfant, elle s’était éveillée à l’écologie, au bord de la Cèze, l’exposition autour de Van Gogh et, ensuite, du Japon, aux Carrières des lumières des Baux-de-Provence, la traditionnelle marche au départ d’Aiguèze, la découverte d’un vin blanc délicieusement floral, « mon » marché s’étirant lascivement le long des allées de la ville par jour de grand mistral froid, mes sorties au point du jour le long du Rhône avec le Ventoux se dressant au-dessus des vallées et un délicieux déjeuner dans l’Ain chez une mamie quatre galons gardant avec elle son unique petit-fils mais Notre-Dame l’a emporté.
https://www.youtube.com/watch?v=3M9sRcOrj3E
J’aurais aimé avoir plus de temps pour cette chronique mais, dans quinze minutes, des parents, un petit garçon et ses soeurs jumelles vont sonner. Fantôme, en bon secrétaire particulier, se précipitera pour assurer l’accueil. Tandis que je montrai dans le cabinet avec le petit garçon et sa maman, le papa s’installera sur la grande table en bois et les filles pourront travailler, dessiner, colorier ou jouer. Céleste et Victoire dorment encore paisiblement. La pluie tombe sur le plateau comme elle doit venir apaiser la charpente fumante de Notre-dame. Hier, dans la foule, on entendait monter un chant que nous avons entonné avec les jeunes lycéens lors de la dernière réunion d’aumônerie portant sur le Carême: « Nous te saluons ô toi Notre Dame… ». Ce chant m’émeut toujours beaucoup.
Jeudi Saint, je reprends ma chronique. Ce matin, Fantôme et moi étions sur les routes avant sept heures si bien que nous avons entendu carillonner longuement les cloches de l’église du village. Hier, à 18h50, les cloches de toutes les cathédrales de France sonnaient à toute volée pour Notre-Dame. Le milliard d’euros offert pour reconstruire Notre-Dame de Paris fait gronder un grand nombre de personnes tant en France qu’en Europe ou dans d’autres pays du monde comme au Brésil. Huit siècles d’histoire doivent-ils l’emporter sur des millions d’être privés du minimum vital, de services de l’Etat en totale déliquescence, de milliers d’autres édifices menaçant ruines? Bien sûr, la France étant de moins en moins industrialisée et de plus en plus dédiée au tourisme, rouvrir les portes de Notre-Dame est une priorité absolue. Maintenant, je redoute que l’acte XXIII du mouvement des gilets jaunes soit d’une grande violence avec le retour des black blocs en marge des manifestations. Si le mariage du jaune et du noir donne des abeilles dont la disparition nous menace directement, dans les foules, il est synonyme de débordements effrayants et de volonté affichée de saccages et d’agressions des représentants des forces de l’ordre.
Bonne semaine sainte à tous et paix dans les coeurs et les âmes!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner