Chronique depuis la huitième marche de l’année

Depuis plusieurs jours, on nous annonce une chute brutale des températures après une fin d’année très douce, si douce que le sapin avec des racines que nous avions choisi avant Noël portait des bourgeons d’un vert tendre au bout de ses branches. Ce matin, le froid est là accentué par un vent glacial. Le ciel est gris. Quelques flocons se perdent au-dessus du plateau. Le liquide va continuer à descendre dans les thermomètres. Le soleil s’installera nous offrant la lumière qui nous fait défaut depuis de longues semaines. Le grand froid sec et ensoleillé, le temps de la montagne en hiver, c’est celui que j’apprécie le plus. Quand tant de personnes seules ou de familles sont condamnées à la violence de la rue, que les places d’hébergement d’urgence manquent, que de plus en plus de gens rognent sur les dépenses de chauffage, il ne m’est plus possible de saluer l’arrivée de cette vague polaire.

Ce matin, j’ai ressorti ma grosse doudoune orange, enfilé les gants et le bonnet de la même couleur et lassé mes chaussures de randonnée. J’aurais aimé que Fantôme soit là pour m’accompagner autour du plateau. Il est toujours là mais dans une présence-absence encore souvent douloureuse réveillant le manque. Personne sur le chemin, pas même la petite cane qui a élu domicile sur la mare aux nénuphars. Elle a certainement organisé son nid sous la cabane sur pilotis. L’un des champs a été labouré. Les entrailles de la terre s’offrent sans pudeur. Près des poiriers, des sangliers ont creusé le sol. Des pommiers bordant le chemin sont morts. Ils servent de refuge aux pics-verts et aux chouettes. L’eau de la mare est brune, la terre est sombre, le ciel est blanc. En janvier, à moins qu’il ne fasse beau, le plateau ne se donne pas à voir sous son jour le plus poétique. Pas facile de trouver des éclats de beauté, de la magie dans ces promenades matinales.

Hier, la maison s’est vidée après avoir été pleine de vie pendant les vacances de Noël. Stéphane est parti dans le Vercors. Céleste et Antoine reprenaient le train pour Paris. Pour la première fois, j’étais assise à l’arrière de la Fiat 500 et Céleste était au volant. La nuit était tombée. Comme une enfant, j’admirais les décorations de Noël habillant les façades des maisons ou représentant des animaux dans les arbustes. Du jazz aux sonorités brésiliennes nous transportait très loin au bord de la mer, les pieds nus dans le sable. Nous sirotions un cocktail face à la ligne d’horizon. Victoire nous a dit qu’elle serait heureuse d’aller étudier au Brésil. Ce serait pour nous l’occasion de découvrir ce pays immense et, peut-être, la propriété du photographe Sebastião Salgado. Revenu de l’enfer du Rwanda plus mort que vivant, c’est grâce à sa femme qu’il a pu renouer avec la lumière. Elle a eu l’idée de replanter massivement les terres du domaine familial. Ensemble, ils ont créé l’Instituto Terra. Il s’agit d’une organisation environnementale consacrée au développement durable. Son but est de redonner vie à la forêt victime de déforestation massive.

Aidés par leurs employés et de nombreux volontaires, les Salgado sont parvenus à faire pousser des arbres tropicaux endémiques. Ils se sont transformés en une forêt dense et verdoyante. En l’espace de vingt ans, plus de deux millions d’arbres ont été replantés. Ils couvrent une surface de 600 hectares. La forêt joue à nouveau son rôle de protecteur naturel pour les oiseaux, les mammifères, les amphibiens et les reptiles. Le site a été reconnu  » réserve privée du patrimoine naturel ».

Les fêtes sont passées. Bientôt, les agents municipaux décrocheront les guirlandes. Les petits sujets peints sur les vitres disparaitront des maisons et des devantures des boutiques. Samedi, j’ai déshabillé notre sapin. Son odeur était toujours délicieuse. Je fermais les yeux et m’imaginais marchant dans l’allée d’une forêt vosgienne. C’est toujours le coeur lourd que je retire les boules, les guirlandes et les cheveux d’ange. Mais, cette année, j’ai bon espoir qu’il ne sera pas mort et qu’il pourra reprendre de sa vigueur depuis la terrasse. Le matin, j’avais oublié de déplacer les rois mages devant la crèche. Je sais bien que l’évangile de Matthieu qui les évoque est sujet à caution. Il ne donne pas leurs prénoms et on en déduit qu’ils étaient au nombre de trois car Matthieu parle de trois présents: l’encens, la myrrhe et l’or. La légende me plait. Enfant, je les faisais progresser un peu tous les soirs en direction de la crèche.  Hier, à l’heure du thé, nous avons partagé notre première galette des rois. J’étais dans l’ignorance de ce que, depuis 2020, on commercialise aussi des galettes des reines. Est-ce que je me sens moins attachée à la reconnaissance et à la sauvegarde des droits des femmes car je ne mange pas de galette des reines? Vraiment pas!

Pendant les vacances, la maison a joué à plein son rôle de maison de famille au gré des allées et venues des uns et des autres. La vie s’est peinte par touches impressionnistes: de grandes tablées joyeuses, des échanges en anglais et en roumain, des grands-mères heureuses de voir leurs enfants et petits-enfants réunis, des cousins en grappe sur le canapé de la mezzanine devant un film, des puzzles à quatre ou cinq mains, des peintures, des visages croqués, des morceaux de musique improvisés par deux cousins, une entrée pleine de chaussures et de manteaux, une salle de bains transformée en salon de coiffure, des promenades autour du plateau, des sorties en vélo, deux soeurs riant devant le dernier film réalisé par Kenneth Branagh « Mystères à Venise », des tables resserrées autour d’une ainée ou d’une cadette, un benjamin heureux de retrouver ses soeurs, un chat apeuré par toute cette agitation.

Jeudi matin, Victoire prendra le train pour Reims en transitant par Paris. Nous ne la reverrons plus avant plusieurs semaines. Hier soir, toutes les deux, installées confortablement sur le canapé et tandis que Louis révisait avant un contrôle, nous avons revu pour la énième fois le cultissime La Boum de Claude Pinoteau sorti en France en 1980. J’avais onze ans cette année-là et n’ai découvert les aventures de Vic, de sa famille et de ses amis que bien plus tard. J’ai déjà écrit sur ce film et sur ce sentiment étrange que j’ai ressenti en le vivant la toute première fois du côté des adolescents et une autre fois du côté des parents. Il me restera à l’éprouver avec le coeur d’une Poupette. Hier, je réalise que, maintenant, les parents de Vic sont bien plus jeunes que moi et que ce qu’ils vivent pour la première fois avec leur fille ainée, je ne le ressentirai plus.

Maintenant, Victoire prépare un gratin dauphinois pour le dîner. Sa valise est presque prête. Quelques vêtements finissent de sécher sur des fils dans le garage. Louis ne tardera pas à monter dans le car qui le déposera sur la place de l’ancienne gare du village. Céleste doit être rentrée après sa deuxième journée de stage à l’hôpital. Après une grande sieste, le chat vient de demander à sortir. Il reviendra après le dîner. La nuit descend sur le plateau. Dans la boite à chaussures, les santons sommeillent profondément. Sur la terrasse, les branches du sapin de Noël sont couvertes de neige. En passant à sa hauteur, j’ai senti l’odeur de la forêt. Il est vivant!

Si le coeur vous en dit, j’ai mis en ligne ce matin sur le podcast Inventaire à la Prévert, le premier épisode de l’année 2024. Il y est question de trois films: « La Boum », « La bûche », « Anatomie d’une chute » et d’un livre: « L’Amour » qui m’a été offert à Noël.

Bonne semaine et à très bientôt,

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

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