Chronique depuis un plateau exposé au vent du nord

Depuis plusieurs jours, le gel ravage les vignobles et les vergers. Il a frappé des régions traditionnellement préservées. C’est la désolation chez les exploitants. Je me demande à quoi vont ressembler les étals des marchés cet été. Je pense particulièrement au magnifique marché de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard rhodanien. Tous les matins, je trouve des brins d’herbe figés par le givre. Je crains que la glycine qui avait commencé à entrouvrir ses bourgeons ne donne plus aucune fleur parfumée. Sur le plateau, le vent du nord souffle fort nous obligeant à nous couvrir malgré le beau soleil installé dans un ciel limpide. Ici, le colza ne semble pas avoir été touché par les températures négatives.

Ce matin, enfin, j’ai pu voir Muguette. Deux fois, cette semaine, j’avais trouvé le verrou tourné dans la serrure du portail. Muguette a réussi à se faire couper les cheveux. La dernière fois, c’était avant les fêtes de Noël. Depuis que nous nous connaissons, il me semble que c’est la première fois que Muguette a les cheveux aussi longs. Ce matin, je ne vois rien de sa coupe courte. Ses cheveux sont dissimulés sous son bonnet de laine bleu marine. Pépette est sur ses genoux. Muguette et Eugène ont accompagné leur café avec un oeuf dur. Je le devine aux restes de coquilles sur la table de la cuisine. Dans un pot en grès, de belles branches de lilas.

Dans les marches de l’escalier, Muguette a étalé des baguettes. Hier, elle a trouvé un grand sac devant chez elle. Elle va les laisser sécher au soleil. Ensuite, elle les coupera et en distribuera des morceaux aux moutons et à Fantôme quand nous sommes de passage. Je ris en voyant les baguettes dans l’escalier, des rouleaux de papier toilette, des sceaux et la canne de Muguette. On dirait une installation au palais de Tokyo!

Des herbes folles s’épanouissent au milieu des graviers devant la maison. Il faudrait que je les arrache mais, avec ce vent froid, cela ne me tente pas. A chaque fois que je désherbe, je dérange les gendarmes et les araignées. Je n’aime pas troubler les insectes. J’ai suspendu à nouveau des boules de graisse au balcon de mon bureau. Je ne l’avais pas fait depuis de longs mois préférant distribuer les graines sur la terrasse. Cookie s’étant révélé un chasseur redoutable, je ne veux plus que la terrasse soit un guet-apens pour les oiseaux. Ils ont niché dans les haies. Avant que Cookie ne sème la terreur dans le jardin, ils attendaient tous les matins que je vienne déposer des graines dans la mangeoire et renouveler les boules de graisse. Ils accueillaient ma venue par des chants joyeux. Dés que j’avais regagné la maison, je les voyais se précipiter. Il y avait ce pic-épeiche magnifique que j’observais depuis la petite fenêtre du couloir et que Céleste avait réussi à photographier.

Hier, après que Victoire ait travaillé plusieurs heures sur un devoir d’histoire, nous sommes parties nous promener. Cela faisait bien longtemps que cela ne nous était pas arrivé. Fantôme caracolait en tête, truffe au vent. J’apprécie toujours ces marches en tête à tête. Elles permettent de se parler librement. A l’abri du vent, en plein soleil, nous étions vraiment bien. Victoire qui a eu seize ans mardi se rappelait ce jeu de piste que j’avais organisé pour l’un de ses anniversaires. Il a souvent fait un temps magnifique pour les anniversaires de Victoire et de Léa, née le même jour. Il faisait si beau qu’il arrivait que les enfants se baignent. Les filles portaient de jolies robes légères. J’avais vu un peu long pour le jeu de piste. Les enfants avaient chaud. Ils étaient fatigués. Les ballerines neuves avaient donné des ampoules à certaines amies de Victoire. Stéphane avait fini par charger toute la troupe dans son Volvo. Les enfants étaient ravis de rouler le coffre ouvert. Le goûter avait eu du succès! La marche, ça creuse!

Demain matin, j’irai retrouver un peu de vie au marché mais la ville sera triste. Ces vacances n’en sont pas vraiment. Je n’ai pas fermé le cabinet et je passe beaucoup de temps à assumer des tâches domestiques. Je pense beaucoup au Gard où, traditionnellement, nous allons passer une semaine en avril. J’imagine une belle marche dans les dentelles de Montmirail, à Aiguèze, autour de la chartreuse de Valbonne, un pique-nique le long de l’Ardèche, des moments de partage avec des amis fidèles, l’ambiance si particulière dans la bonne et vieille maison de Pont, les allées ombragées du cimetière où reposent tant de membres de la famille, le parfum de la glycine, toutes les odeurs et les couleurs du marché du samedi matin.

A toutes et à tous une agréable fin de semaine!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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