Chronique d’un printemps installé sur le plateau

En revenant d’une courte promenade (Fantôme manquait de motivation), j’ai vu deux hirondelles. Elles volaient à tire d’aile au-dessus du champ vert. C’est la première fois que j’en vois. Il faudra que je le dise à Muguette. A la fin de l’été dernier, nous les avions vues se rassembler devant chez elle sur les fils électriques. Quand nous habitions le Gard, les hirondelles venaient faire leur nid sous les tuiles des toits. Le matin, nous étions réveillés par leur chant aigu qui me fait toujours penser au son émis par les dauphins. Ce matin, avant de déposer Victoire au restaurant du coeur où, dans le cadre de l’aumônerie, elle vient en renfort de l’équipe des bénévoles réguliers, je suis allée voir Muguette. Tous les animaux de l’arche de Noé étaient nourris. Les moutons étaient étendus dans l’herbe et le nouveau Coco donnait de la voix au milieu de ses dames.

Une odeur forte de rôtisserie se répandait tout autour de la maison de Muguette. Elle préparait des cuisses de poulet pour l’un de ses deux fils. Je déposais sur la table de la cuisine trois parts de flan fait avec une partie des oeufs qu’elle m’avait donnés. En longeant le potager, j’avais noté qu’une partie de la terre avait été arrosée. Muguette et son fils allaient semer ensemble des graines de poireaux. Le vase et les branches de lilas avaient disparu. Hier, Muguette avait longuement « bêchoté », comprenez, qu’elle avait bêché la terre pour la préparer aux semis futurs.

Bientôt la fin de ces vacances immobiles. Je suis heureuse que les enfants aient réussi à passer des moments agréables avec leurs amis. Presque tous les après-midis, Louis rejoint sa bande de trois copains. Ils passent beaucoup de temps dans la forêt où ils fabriquent des maisons. Victoire est allée à plusieurs reprises en ville à vélo. Céleste a campé dans la propriété d’un ami d’Adrien. Le jour du campement, elle est partie avec une de nos trois tentes, deux tapis de sol, deux sacs de couchage, une frontale, un oreiller et des boules Quies.

Pour tromper l’immobilisme de ces fausses vacances, j’actionne la machine à remonter le temps. Je me remémore des journées sur la plage sauvage de l’Espiguette, en Camargue, des dîners à Aigues-Mortes ou aux Saintes-Maries-de-la-Mer, des piques-niques au bord de l’Ardèche, des expositions dans les carrières des Lumières des Baux de Provence, des cafés en terrasse avec des amis, des promenades à Vénéjan, à Goudargues ou sur le sentier botanique de la chartreuse de Valbonne et de longues promenades au point du jour avec Fantôme le long du Rhône.

Un vent froid s’est remis à souffler sur le plateau. Les jeunes céréales ondulent avec grâce. Je suis si triste devant les bourgeons morts de la glycine. Nous ne la verrons pas se dérouler amoureusement sur les canisses de la terrasse. Elle ne nous offrira pas son ombre parfumé. Une de mes patientes venue en vélo depuis un village voisin m’a dit que les hirondelles avaient fait leur retour voici trois semaines. Les malheureuses auront eu bien froid avec l’épisode de gel long et tardif.

Je n’avais plus rien à lire. J’ai découvert tout à fait par hasard le roman « La vallée » d’un auteur de polars, Bernard Minier. Je n’avais jamais entendu parler de lui. Quand j’ai commencé ce roman, il m’a été difficile de le lâcher. J’ai ressenti la même chose que lorsque je me plonge avec avidité dans les aventures du commissaire Adamsberg imaginées par Fred Vargas. Je suis littéralement happée et je dois me faire violence pour ne pas lire trop vite, voire même sauter des pages. Le fait que le roman fasse référence aux enquêtes menées précédemment par Martin Servaz ne pose pas de problème. Je préfère ne rien dévoiler du tout de l’intrigue mais c’est un roman très sombre qui questionne l’existence de Dieu et a renforcé mon envie de retourner marcher dans les Pyrénées. A la lecture de « La vallée », j’ai appris qu’on opposait l’alpinisme au pyrénéisme. Le terme alpinisme renvoie essentiellement à l’exploit sportif quand le terme pyrénéisme né au dix-neuvième siècle s’en est démarqué estimant que l’expérience physique de la montagne était inséparable de l’émotion esthétique et culturelle.

Trois mots résument ce mot apparu pour la première fois sous la plume d’Henri Béraldi: « ascensionner, sentir, écrire ». Dans le tome I de « Cent ans aux Pyrénées », il écrit: « L’idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir. S’il écrit sans monter, il ne peut rien. S’il monte sans écrire, il ne laisse rien. Si, montant, il relate sec, il ne laisse rien qu’un document, qui peut être il est vrai de haut intérêt. Si – chose rare – il monte, écrit et sent, si en un mot il est le peintre d’une nature spéciale, le peintre de la montagne, il laisse un vrai livre, admirable. »

Les montagnes me conduisent au trampoline situé à l’ombre du grand sapin. C’est certainement le plus beau cadeau que leur mamie a fait à ses petits-enfants. Louis est celui qui y a passé le plus de temps. Quand notre petite nièce, Charlotte, vient nous voir, elle demande à aller sauter dans le trampoline. Elle rit à gorge déployée et l’énergie statique dresse ses cheveux dorés autour de sa tête. On dirait un petit ange. Après presque dix ans de bons et loyaux services, il montre des signes évidents de fatigue.

Les graviers devant l’entrée de la maison conservent encore les traces rouges des expériences artistiques de Céleste. Encore quelques semaines et nous saurons ce que fera notre aînée à la rentrée et dans quelle ville. Est-on jamais complètement prêt au départ de son premier enfant? Je ne le pense pas. C’est une vraie révolution! Par ailleurs, Victoire, notre cadette, sera interne en septembre. Nous resterons avec Louis et les animaux. Je me demande comment notre fils et nous allons vivre ce passage de cinq à trois. Je l’ai souvent dit à nos enfants: j’ai le regret que l’entretien au quotidien de cette maison soit si lourd qu’il ait pu me prendre une partie de mon énergie et me voler des moments de légèreté avec eux.

Hier, à la demande express des filles, Stéphane a laissé la piscine se vider. Ce matin, il ne restait plus que quelques centimètres d’une eau brune. Cette après-midi, quand le vent sera moins froid, les filles vont la nettoyer. Elles adorent faire ça! Avec leurs grandes bottes, leur balai-brosse et leur seau, elles ressemblent à des mousses astiquant le pont d’un bateau.

A toutes et à tous une agréable fin de semaine et un bon retour à l’école pour les plus jeunes!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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