Tu avais Paris en horreur. Je ne voulais plus vivre en Province. Tu aimais te coucher tôt. Je dansais jusqu’à ce que le soleil se lève sur la Seine. Tu étais contemplatif. J’étais hyper active. Tu n’aimais ni le vin ni le café ni les pâtisseries et ne fumais pas. Je buvais vin et café, fumais au moins un paquet par jour et avais un penchant pour la ganache. Tu m’as initiée à U2. Je t’ai fait aimer Chet Baker. Tu voulais faire un tour du monde. Je voulais fonder une famille nombreuse. Tu n’avais presque jamais quitté ta région natale. J’avais roulé ma bosse depuis ma naissance. Tu composais des poèmes superbes et réalisais des photos magnifiques. J’écrivais des histoires et chantais le soir dans les cafés. Il a fallu que tu reviennes une fois à Paris pour que nos regards se croisent en septembre 1997. Nous étions deux aînés un peu cabossés par la vie. Nous nous sommes dits oui le 31 juillet 1999, unis par une volonté identique de liberté, de création et de couleurs. Pour avoir réussi à traverser tant de choses, ensemble ou dans une grande solitude, sans dévisser, nous sommes des Vikings! 15 ans…des noces de cristal. Notre vie a souvent pris des allures d’ascension de K2. Le meilleur est à venir!
C’est ce que j’écrivais à mon mari voici cinq ans. Je continue de penser que le meilleur est à venir. Je repense à cette soirée magique que nous avons passée tous les deux, en février, dans l’unique restaurant du hameau de l’Eco, au-dessus de Bonneval-sur-Arc. Nous avions gagné le hameau à pied. Les enfants avaient préféré rester à l’appartement. L’ambiance était très chaleureuse chez Mumu, ancienne gardienne de refuge. Nous avions été choisir des poteries dans son atelier. Redescendre à la station par un chemin gelé, une nuit de pleine lune, était absolument merveilleux! On entendait l’eau d’une rivière galoper sous la neige. C’était un petit bout d’éternité!
A présent, voici ce que j’avais écrit en 2016 pour nos noces de rose:
Enfant, je n’ai jamais rêvé de robes de princesse et de beaux princes charmants ou, plutôt, de beaux princes charmants et de robes de princesse. Maintenant, j’avoue que je me serais volontiers vu habiter une grande demeure à laquelle on aurait accédé par une allée plantée de chênes centenaires. Cette maison, je l’ai habitée. Elle s’appelait « Chêne de cœurs » et se situait dans la Sarthe, à Saint Pavace, petit village à douze kilomètres du Mans. Enfant, je ne me suis jamais surprise à m’imaginer dans une robe de mariée. Ma mère m’a raconté avoir commencé à en dessiner alors qu’elle était toute petite. Bien que rebelle, non par choix mais par nécessité, je n’avais rien contre le mariage. Les sacrements sont très importants à mes yeux. Si je me mariais, ce mariage durerait toujours. Il serait plus fort que la mort. L’amour qui en résulterait pourrait réellement soulever des montagnes. Bientôt dix-sept ans plus loin, je peux écrire qu’il a, en effet, soulevé des montagnes !
Je me suis mariée sur le tard. J’allais avoir trente ans. Heureusement pour moi, on était loin de ce drame vécu par le passé par les jeunes femmes qui, à vingt-cinq ans, le 25 novembre, n’avaient pas encore convolé en justes noces. On les appelait les catherinettes. Notre arrière-grand-mère maternelle, la mère de la mère de notre mère (les femmes étaient ultra présentes dans cette branche de notre famille !) avait coiffé sainte Catherine et elle en avait souffert. C’était terrible de se préparer à une vie de femme célibataire à une époque où les femmes étaient si peu nombreuses à se réaliser autrement que dans une vie de famille.
Ces femmes sans mari et sans enfant étaient condamnées à devenir des « vieilles filles ». Quelle horrible expression à laquelle s’attachaient de si forts préjugés comme la rigidité, l’amertume et le renoncement à tout plaisir physique. C’était une époque où on ne pouvait pas concevoir que la vie d’une femme, sans conjoint et sans enfant, puisse relever d’un choix profond et permettre un réel épanouissement. Deux des trois sœurs de notre arrière-grand-mère restèrent sans mari. L’une d’entre elles, que j’aimais beaucoup, tante Lili, ne s’était pas mariée. Elle avait subi l’ablation d’un sein et elle pensait que cette amputation d’une partie de sa féminité lui barrait la voie d’un bonheur à deux. Alors, elle avait administré, avec passion et fermeté, un collège de jeunes filles dans les Vosges avant de s’installer à Nice.
L’autre sœur, la benjamine, dont le père était mort quand elle était enfant, ne semblait pas avoir rencontré l’âme sœur. Sa mère la couvait beaucoup. Elle avait dû transférer sur elle l’amour qu’elle ne pouvait plus donner à son mari. Tante Dienne, diminutif d’Adrienne, avait consacré sa vie à l’enseignement du français, du latin et du grec. Elle avait fait l’acquisition de cet appartement à Sceaux qui donne sur le lycée Lakanal et dans lequel vit notre mère. J’aimais beaucoup cette grand-tante. Dans les tiroirs de ses commodes, elle rangeait toutes sortes de petits objets qu’elle offrait à ses neveux de passage. Elle réalisait avec une paire de ciseaux, dans du papier, d’incroyables œuvres dentelées, des farandoles de petites poupées qui me faisaient rêver. Nos parents l’ont accueillie à la fin de sa vie. Elle est morte chez nous, heureuse. Tante Dienne est la première personne que j’ai vue morte. Je me rappelle son visage paisible, ses jolies mains fines croisées sur son ventre et ses lunettes posées sur sa table de chevet. Mon cœur était gros. Si je l’aimais, je pouvais aussi être très méchante avec elle. Je me demande si sa présence ne finissait pas par m’agacer.
Je m’éloigne de mon sujet par cet esprit d’escalier très marqué chez moi ! Je me suis mariée. J’ai choisi ma robe en cinq minutes, dans la première boutique dont nous avions franchi le seuil. Une robe ultra simple et confortable. Ma mère était déçue ! Elle aurait tant aimé que nous fassions le tour de tous les magasins dédiés aux robes de mariées, que je devienne son modèle, que j’en essaie des dizaines. Mais, sincèrement, cela ne me passionnait pas ! J’étais assez déprimée. Je m’étais tant épuisée dans des navettes incessantes entre la Loire où vivait mon futur mari et Paris alors que j’avais un poste à temps plein à la faculté, une thèse à terminer et des centaines de copies à corriger que j’avais fini par craquer. Par ailleurs, une petite voix ne me quittait plus depuis que j’avais fait la connaissance de Stéphane, chez une amie d’enfance, au pied du Sacré-Coeur. Cette petite voix me soufflait que mon père allait mourir. C’était inexorable. Et, en effet, je le voyais dévisser de jour en jour. Je devenais dur avec lui alors que j’avais toujours été si bienveillante. Pour la toute première fois de ma vie, ses fragilités résonnaient si fort en moi qu’elles me faisaient vaciller. Mon père ne voulait pas choisir de costume. De toutes façons, il avait toujours eu envie de porter une queue de pie aux mariages de ses filles. Il avait un petit côté anglais ! Ce qui est piquant pour un Breton qui avait eu l’Angleterre en horreur si longtemps ! Il avait adoré « quatre mariages et un enterrement ». Il me réservait une incinération et un mariage !
Il est mort le 9 mai 1999. Stéphane et moi nous sommes mariés le 31 juillet 1999. Je ne lui en ai pas voulu. Je comprenais qu’il était trop fatigué, qu’il ne pouvait plus lutter. Un jour, je vous raconterai, sur le ton de l’humour, le climat dans lequel Stéphane et moi nous nous sommes unis ce fameux 31 juillet 1999, dans l’Ain, par une magnifique journée d’été. Nous étions deux aînés et nous étions les premiers à nous marier. Comme l’a toujours dit notre mère avec le ton direct qui la caractérise « nous allions essuyer les plâtres ». Il faudrait une thèse et de sociologie et de psychologie pour raconter tout ce qui se joue autour du mariage des aînés de fratrie! Malgré le chagrin qui était le mien, j’estime avoir été d’un calme à toute épreuve. J’ai traversé les turbulences les unes après les autres. J’ai, le jour de notre mariage, essuyé plusieurs orages aussi violents que ceux qui déchiraient les ciels de notre enfance après le 15 août. Je sais que mon père m’a portée toute la journée. D’autres observateurs pourraient dire que j’étais anesthésiée. Peu importe !
Avec le temps, j’arrive à repenser à des moments agréables comme ces odeurs merveilleuses qui nous ont assaillis quand nous avons découvert la pièce dans laquelle nous allions dîner et danser. Ma belle-mère avait laissé carte blanche à l’une de ses amies, fleuriste et décoratrice. Cette dernière avait fait venir de la Martinique des fleurs tropicales. Le décor était magnifique ! Nous avions l’impression de pénétrer dans l’une des grandes serres du jardin des plantes. La Martinique où j’ai passé quatre années enfant et où Stéphane a effectué son service militaire en qualité d’officier juriste avec option planche à voile nous réunissait en ce jour si particulier. C’est avec beaucoup d’émotion, aussi, que je me rappelle le discours que ma mère a prononcé. Un discours enlevé, fin, drôle. Elle s’adressait à Stéphane et elle lui expliquait ce qui l’attendait si, d’aventure, il avait des enfants qui ressemblent à leur mère. J’ai admiré la force de ma mère capable de dire ce texte sans jamais se laisser envahir par la peine. Stéphane a souvent repensé à ce discours depuis que nous avons nos enfants. Heureusement, aucun de nos enfants n’a égalé sa mère en bêtise ! J’ai aimé, aussi, notre départ en calèche, les tambours du Burundi, clin d’œil appuyé à Esaïe que les Suisses n’avaient pas laissé sortir du territoire, notre départ, tard dans la nuit, emmené par le grand-père de Stéphane qui nous déposait à notre chambre d’hôtel et les pétales de rose qui avaient macéré entre ma peau et ma robe.
Nous fêterons dimanche nos noces de rose. Nous n’avons jamais pensé que notre vie à deux ressemblerait à un chemin couvert de pétales de rose. Il y a eu, souvent, des passages escarpés, des corniches, des crevasses, des névés et des ronces qui marquaient nos peaux. Mais, après dix-sept ans de marche à deux, avec, maintenant, nos trois alpinistes en herbe et notre Fantôme tout terrain, je peux dire que nous avons de la chance. Nous avons su persévérer là où d’autres ont jeté l’éponge. Nous avons su nous heurter, parfois très violemment, et nous retrouver. Nous étions très différents. Nous le sommes encore mais nous partageons davantage. Stéphane a toujours son bureau au fond du jardin mais il est capable de survivre à une fête d’anniversaire avec quinze enfants à la maison sans avoir envie de larguer les amarres ! Stéphane m’a, par étapes, éloignée de Paris que je ne pensais plus jamais quitter. Je l’ai rejoint dans la Loire. Nous avons voyagé un an autour du monde, vécu quatre années dans le Gard et posé nos bagages dans le Loiret. Si Stéphane m’a privé de ma vie parisienne qui me correspondait tant, il m’a aussi appris à canaliser mon énergie. Il est le garde-fou qui m’empêche de me consumer. Paris est une ville très dangereuse pour des êtres qui, idéalement, ne voudraient jamais dormir !
Je dédicace ma chronique à mon mari (qui pensera peut-être à la lire…) qui est toujours le même (il reste fidèle à son Van Houten du matin et à ses Danone nature) et toujours un autre (il boit désormais du vin rouge, aime le jazz, dort moins et lit maintenant presqu’autant que moi), que j’aime (même quand il fait semblant de m’écouter et somatise), qui m’aime (même quand je ronfle et prends la mouche), que je comprends (sauf quand il me parle d’une énième invention), qui me comprend (sauf quand je lui parle de généalogie) qui m’a fait découvrir le monde (parce qu’il avait trouvé en moi un bon Sherpa !) et a accepté de fonder, avec moi, cette famille merveilleuse avec laquelle on ne s’ennuie jamais et grâce à laquelle on ne pourra jamais s’endormir !
Si tu me lis, je te propose en 2019, qu’on se remarie et qu’on fête nos cinquante ans ! Une soirée Cotton Club, pleine de légèreté et de folie ? Une soirée années 70 pleine de pantalon pattes d’eph et de robes à fleurs ? Une soirée préhistorique pleine de fourrures et de massues?
Je reviens à cette veille de 31 juillet 2019, à cette veille de noces de porcelaine. Nous ne nous remarierons pas cette année comme nous ne fêterons pas nos cinquante ans. Nous attendrons l’an prochain. Nous le ferons pour faire plaisir à Boris Vian qui aurait trouvé bien plus bath de célébrer ses 21 ans de mariage et ses cinquante-et-un ans!
Je m’y perd toujours dans ces anniversaires avec des noms de métaux rares et de plumes de paons et de pétales de tulipes. Mais chiche pour une méga teuf des 51 ans! Je t’aime toujours … semble-t-il (lol)
Chère Anne-Lorraine,
je vous souhaite encore de nombreux bols de Van Houten sur la table du petit déjeuner et des piles de Danone dans votre réfrigérateur.
Je crois que vous connaissez la recette et que vous saurez la suivre .
Je connais bien le village de l’Ecot, je suis touchée de savoir que nous avons suivi les mêmes sentiers.
Je vous embrasse.
Dominique