Le ciel est gris comme dans ma chronique écrite voici cinq ans, jour pour jour. Les pivoines ont perdu leurs pétales. L’air est lourd, la terre sèche, l’orge bientôt moissonnée et le blé arrivant à maturité. Un employé municipal fauche les bords des chemins. Une délicieuse odeur de foin fraîchement coupé s’invite dans mon bureau par la fenêtre ouverte. Elle s’unit à celle de ces deux gâteaux que j’ai faits ce matin pour la troupe de théâtre du collège qui répète sa pièce avant de la jouer ce soir. J’attends ma première patiente. Le soleil aura bientôt raison de la barrière nuageuse. Déjà, on le sent qui disperse le gris et donne aux épis de blé une couleur miel. Victoire est en Vendée, là, où, justement, vit actuellement notre ancien médecin traitant, Marc. J’écris « actuellement » car Marc aime bouger, voir du paysage. Il est une sorte de médecin baladin. Il pourrait tout aussi bien exercer son métier sur des tréteaux. Il nous avait quitté pour Belle-île (ce qu’on comprend aisément !) et le voici en Vendée. La mer, toujours, et la promesse de nouveaux départs !
Il y a deux cents ans, le 18 juin 1815, les Européens, en Belgique, s’entretuaient à Waterloo. D’un côté l’armée napoléonienne, de l’autre les forces alliées (britanniques, allemandes, belgo-hollandaises) du duc de Wellington et prussiennes du maréchal Blücher. Outre-Manche, notre ambassadeur en jupon passe de la commémoration de l’appel du Général de Gaulle à celle de la victoire des armées menées par le duc de Wellington et le maréchal Blücher.
Tandis que, dans ma tête, j’imagine Louis reconstituant, sur le tapis persan, à l’étage de la maison, la bataille de Waterloo avec des playmobils et non des petits soldats de plomb, à la salle des fêtes, les enfants répètent. Certains sont déjà angoissés à l’idée de jouer ce soir devant une salle comble. D’autres, dont notre fille aînée, vivent l’événement avec calme. Tout à l’heure, avant de déposer Céleste à la salle des fêtes, nous sommes allés embrasser une des anciennes maîtresses de notre grande. Elle était partie à Combloux avec sa classe et celle d’une collègue, l’institutrice de Victoire, actuellement à Saint Jean de Monts. Elle sera dans la salle ce soir avec sa famille. Céleste en est heureuse. Nous avons aussi vu deux amies qui encadrent les activités périscolaires, serré la main du directeur que Louis aimait tant et pu dire bonjour à des mamans que nous ne voyons plus depuis que Louis a basculé dans l’école de l’autre village, de l’autre côté de la rivière. Le garde champêtre était là. Il venait de suspendre les drapeaux tricolores devant l’école.
Tous les ans, à la même époque, je songe aux hommes de l’île de Sein qui ont répondu à l’appel du 18 juin, lancé par le Général de Gaulle depuis Londres, et dont le courage exemplaire tout au long des années de guerre a permis de laver le passé de naufrageurs des anciens. Autre temps, autres aspirations…Dans le Télégramme de ce matin, j’ai lu que les Sénans avaient lancé un appel : celui de se libérer du groupe EDF et de fonctionner à 100% aux énergies renouvelables. En effet, la société île de Sein énergies a monté un projet permettant de faire disparaître les quatre groupes électrogènes alimentés en pétrole. Un vrai bras de fer s’annonce entre les îliens et les lobbys pro-EDF ! On sait le Breton têtu et volontaire (les portiques et bornes écotaxes en ont fait les frais !), je pense que les Sénans ne désarmeront pas et que le mouvement des bonnets rouges pourrait se muer en bonnets bleus avec un emblème : celui d’une marie morgane.
Aujourd’hui, je porte une marinière achetée voici des années dans une coopérative du Guilvinec. J’ai un poisson articulé autour du cou. Il appartenait à notre grand-mère maternelle et j’y suis très attachée. Si mes jambes sont entrain de se transformer en queue de poisson, je ne m’en rends pas compte. Je n’ai qu’un appel à lancer : celui que les parents et les amis viennent nombreux ce soir voir les collégiens jouer et que leur travail, celui de leur professeur de lettres et de l’équipe qui les aura aidé tout au long de cette journée de répétition soit généreusement applaudi !
Que le spectacle commence !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner