Ce matin, en ouvrant les yeux, la maman de trois se demande s’il a neigé dans la nuit. Elle pense aux enfants des plaines qui espèrent si fort ces épisodes neigeux. Et oui, il a neigé. Les météorologues ne se sont pas trompés. Tout est blanc et le vent continue à faire voler des flocons. Numéro un, levée la première, sans doute à l’appel de la neige, se précipite à la fenêtre de la chambre parentale. Elle a enfilé une robe de chambre en polaire bien trop courte. Elle s’arrête au-dessus des genoux. Elle est pieds-nus. Elle ne bouge pas. Elle est toute à la contemplation silencieuse du spectacle offert par une nature immaculée. La vitre se couvre de buée formée par l’air chaud expiré de ses poumons.
Tandis qu’au dessus de la tête des parents se dessinent des bulles contenant des groupes de mots tels que « habiller les enfants chaudement », « sortir après-ski », « chercher moufles », les enfants, eux, songent « sauter dans la neige », « bataille de boules de neige », « aider papa à déneiger la voiture ». Depuis qu’on est passé à l’heure d’hiver, les enfants s’extraient avec peine de la chaleur des lits douillets, la maman doit battre le rappel des troupes à plusieurs reprises mais, ce matin, en un temps record, le trio est prêt. Numéro un a même choisi pour numéro trois des vêtements dans le placard et l’a aidé à s’habiller. Si on les laissait faire, ils sauteraient bien volontiers l’étape du petit-déjeuner pour être au plus vite dans le jardin. Ce matin, aucun des trois enfants ne l’a appelée dans sa chambre pour lui faire partager l’image découverte derrière la septième case de son calendrier de l’Avent. Les filles qui, avant de prendre place autour de la table de la cuisine, passent, traditionnellement, un certain temps devant le miroir en pied de l’entrée à se coiffer, démêlent leurs cheveux en toute hâte et se bornent à les retenir en une couette haute. Pas de chichi, pas de tralala : la neige est là !
Le petit-déjeuner est expédié à toute vitesse. Comme trop souvent, numéro deux n’a presque rien bu, numéro trois a fait croustiller des céréales entre ses dents et numéro un a mangé quelques gâteaux. Impossible, ce matin, de leur demander d’aller se laver les dents. Ils ont déjà consenti à se débarbouiller ! Les enfants se jettent sur les manteaux, les bonnets, les écharpes et les gants et les voilà dehors, rapidement rejoints par un papa qui, exceptionnellement, s’est offert de conduire le trio à l’école et est talonné par la grosse boule de poils pas du tout impressionnée par quelques centimètres de neige. Les enfants trouveraient merveilleux d’aller rebondir sur la toile du trampoline toute blanche. Comme ils sont devenus sages et raisonnables, ces parents qui le leur interdisent ! Ils ont du oublier qu’ils avaient été des enfants qui aimaient sauter à pieds joints dans les flaques d’eau, se rouler dans la neige, précipiter dans les airs les feuilles mortes assemblées en tas par le vent d’automne, rêver devant les animaux dessinés par le givre sur les carreaux comme dans le poème de Maurice Carême.
Les enfants observent les traces fraîches laissées par les animaux puis, ils aident leur papa à retirer le manteau neigeux qui recouvre la voiture. Hier soir, après son cours de gymnastique, numéro un, les joues rosies et par le froid et par la joie, faisait irruption dans la cuisine où sa sœur et son frère finissaient de dîner en s’exclamant : « maman, c’est génial ! Avec papa, on a vu un renard. Il était dans le petit chemin. Il était magnifique avec des oreilles pointues, un corps fin et une grosse queue touffue, comme celle de Fantôme ». Ce matin, monsieur renard doit rester au chaud dans sa tanière. Ce matin, parce qu’il neige, numéro trois pense que le Père Noël sera bientôt là.
La voiture du papa démarre. De la fenêtre de l’entrée, elle adresse un petit signe aux enfants qui, de loin, avec leur bonnet, ressemblent à des lutins. Voilà, le calme tombe brutalement sur la maison, après la tempête d’émotions liée à la neige. La boule de poils est déconfite. Elle aurait aimé être du voyage. Elle s’installe dans la grande pièce à vivre, la tête tournée vers la baie vitrée. Elle semble observer le ballet des oiseaux venant chercher les graines cachées sous la neige. Dans la crèche installée le 1er décembre, les santons sont figés, délicatement déposés sur un lit de feuilles que les enfants ont ramassées au début de l’automne et que la maman a mises à sécher entre les pages de son vieux Larousse, un dictionnaire grâce auquel les filles ont réussi à percer les mystères de l’ordre alphabétique. Le ravi a déjà les bras en l’air. Le petit Jésus est caché, dans le vaisselier, entre un plat à cake et des tasses à thé. Gaspard, Melchior, Balthazar et leur unique dromadaire, dissimulés derrière une pile d’assiettes, attendent leur heure. Les enfants aiment les faire progresser pas à pas. Numéro trois aimait jouer avec les santons jusqu’à ce que le tambourinaire chute et se brise une jambe. La maman de trois a été très affectée par l’accident survenu au tambourinaire car il était de ceux qu’elle avait rachetés dans le Gard pour redonner un peu de lustre à des santons offerts à sa naissance et tous assez mal en point, après presque quarante-trois Noël !
Déjà, il ne neige plus. Elle espère que les enfants pourront au moins s’amuser à faire des boules de neige à la récréation du matin. Elle se dit qu’une maîtresse s’est peut-être servie de cet épisode neigeux pour expliquer à ses jeunes élèves les différents états de l’eau. Il ne fait pas assez froid. La neige fond vite laissant derrière elle des flaques sur les graviers et de la boue sur les petites routes. La magie blanche n’a pas duré plus d’une matinée. Des bonshommes de neige, à cette heure, il ne doit plus rien rester que des pipes et de vieux chapeaux, des nez-carottes et des boutons-marrons.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner