Chronique autour de l’histoire de la valise de Victoire

Lundi, 7h46. Mon portable sonne. Je décroche. C’est Victoire qui m’appelle depuis le bureau de la vie scolaire. Sa voix est tendue: « Maman, je n’ai pas ma valise. Elle est restée dans la soute du car. Pendant le trajet, elle a glissé de l’autre côté. Le temps que je fasse le tour du car et la conductrice était repartie. J’ai couru en faisant des signes mais elle ne s’est pas arrêtée. Je te donne le numéro vert du transporteur ». Je rassure Victoire. On va retrouver sa valise et son précieux contenu: son ordinateur portable et son travail. 8h00. On ne peut pas joindre le transporteur avant 8h30. Je sais où est le dépôt. La nuit s’achève. Fantôme, Muguette et Pépette devront attendre.

8h20. Je suis au dépôt. J’entre dans un hangar où j’ai vu un monsieur. C’est un conducteur. Il me dit que les bureaux vont ouvrir dans 10 minutes. Nous discutons. Depuis vendredi, la classe de sa fille est fermée en raison d’élèves malades du Covid. Il redoute que ce soir, Jean Castex et Olivier Véran annoncent le début des vacances de Noël avec une semaine d’avance. Dans ce cas-là, les conducteurs perdent une partie de leur salaire. La lumière est apparue dans les bureaux. Je rentre. Une grande dame blonde vient à ma rencontre. Elle ne peut pas m’aider. Ici, ce sont les bureaux du transporteur Darbier et non pas de Rémi. Il faut absolument que j’aie le numéro vert. Un mouvement social depuis ce matin. Cela ne va pas être simple.

8h30. Je demande à Stéphane de joindre le numéro vert et de me dire où et comment je vais récupérer la valise de Victoire. Il me demande si la grande dame blonde m’a donné le numéro vert. Non (je réponds sèchement. Je sens monter mon exaspération) mais ce ne sera pas difficile de le trouver sur le site Internet. Je suis à côté d’une grande surface. Je vais en profiter pour aller faire des courses. Presque personne dans les rayons que du personnel réapprovisionne. Noël n’est pas passé que déjà les serviettes et les draps sont installés. J’ai en horreur ces temples de la grande distribution. J’aimerais pouvoir faire mes courses uniquement au marché et dans de petites épiceries mais je n’en ai pas les moyens.

9h00. J’ai rangé les courses dans le coffre étroit de la voiture. J’échange avec un couple de retraités très sympathiques sur la mauvaise qualité de ces caddies en plastic dont les roues sont souvent grippées. Pas de nouvelle de Stéphane. Je rentre. Alors que je franchis le pont qui enjambe le canal de Briare, Stéphane essaie de me joindre. Je me gare et je décroche. La conductrice est au dépôt avec la valise. Elle s’appelle Elianne. Elle va m’attendre quinze minutes. Ensuite, elle laissera la valise dans les locaux de Darbier. Je repars en sens inverse. Je me gare sur le parking. Je retrouve les bureaux dont les murs sont verts. Une dame, charmante, ni blonde ni grande, me dit qu’elle n’a pas entendu parler de la valise et qu’elle ne connait pas Elianne. Elle ne sait pas si le car de la ligne 13 stationne chez eux. Les deux transporteurs sont indépendants.

9h15. Stéphane me donne un numéro à Giens où une dame me dit que le car de la ligne 13 stationne bien sur le parking de Darbier et que la conductrice va arriver. Je n’ai plus qu’à attendre. Debout, sur le parking, je vois arriver une dame tirant la valise de Victoire. Je marche vers elle. Je lui explique ce qui s’est passé ce matin. Elle est vraiment désolée pour cet incident. Elle n’y est pour rien. La valise de Victoire a roulé seule dans la soute et la nuit, on ne peut pas voir un piéton qui fait de grands signes à l’arrière d’un car. Je découvre le visage de la dame qui conduit nos enfants au lycée. Elle n’est pas très loin de la retraite et a un regard très doux. Elle me raconte que lors de la première vague de Covid son fils a contracté le virus ainsi que sa belle-fille et ses trois petits-enfants. Son fils a mis de longs mois à se relever et il a perdu 25% de sa capacité respiratoire. Il vient seulement de reprendre son travail. La conductrice est vaccinée. Nous parlons de Noël qui approche, un Noël bien triste dans beaucoup de familles tellement fragilisées par la pandémie. J’envoie un sms à Victoire pour la rassurer et lui dire que je lui rapporterai sa valise ce soir au lycée.

9h30. Je repars avec la valise de Victoire et les courses. Je passe à nouveau au-dessus du canal de Briare. Certains de mes patients sont éclusiers ou filles ou femmes d’éclusiers. Grâce à eux, j’ai beaucoup appris sur la vie des canaux. Je ne me rappelle plus si ma patiente vient à 10h00 ou à 10h30. Stéph m’aide à sortir les courses du coffre et il va promener Fantôme. Je troque mes bottes pour mes sabots rose doré. Je range les courses. J’ai le temps de me donner un coup de brosse, de me faire couler un café et de me couper une tranche du gâteau au yaourt que j’ai fait en pensant à Muguette. Ma patiente m’appelle. Elle a quinze minutes de retard. Cela m’arrange!

Déjeuner sur le pouce. A 14h00, je montre mon passe sanitaire à l’une des dames qui organise l’après-midi théâtre à destination des adhérents de la MSA. La pièce porte sur la retraite et le bien vieillir. Les jeunes de la MFR accueillent les spectateurs. Ils ont préparé de délicieux cookies qui seront offerts après la représentation avec un verre de jus de pomme. Je fais le tour des associations qui sont représentés, retrouve plusieurs personnes que je connais bien que ce soit en lien avec les enfants, le collège, l’éveil à la foi ou la troupe de théâtre du village. Je prends place à une table non loin de l’estrade. On m’a demandé d’intervenir pour aider des adhérents à préparer leur retraite. Un rapide coup d’oeil aux spectateurs et il est évident qu’ils sont tous déjà bien installés dans ce nouveau temps de la vie qui, pour certains, peut vraiment être un commencement. Eliane qui m’a contactée et que j’apprécie beaucoup n’est pas partie en vacances pendant 39 ans. Son mari et elle avaient une exploitation avec des vaches laitières. La salle est plongée dans l’obscurité. Les comédiens sont très justes et le texte, enlevé, aborde avec humour et finesse tous les aspects du départ à la retraite et du fait de se sentir avancer en âge. A la demande de la MSA, j’ai animé deux cycles de séances de sophrologie. D’anciens participants viennent me voir. J’échange longuement avec Alain. Ancien sous-marinier ayant vécu entre Toulon et Brest, il est venu vivre ici à la retraite. Ses parents, parisiens, y avaient une maison de campagne. Alain a présidé pendant plus de 10 ans une association qui organisait une fête d’Halloween dans le village voisin. A la fin, il pouvait compter sur 120 bénévoles pour tout prépare. Le 31 octobre, le village était débaptisé. Gy-les-Nonains devenait Gy-les-Démons. Toutes les personnes qui y sont allées m’ont dit que le spectacle était incroyable. Une partie était réservée aux adolescents et aux adultes. L’entrée coutait 1 ou 2 euros. L’argent récolté était en partie reversé à l’APE. Alain envisage de relancer l’association à condition de trouver assez de bénévoles.

17h00. Je remercie les organisateurs de cette journée, les comédiens, les jeunes de la MFR et repars à la maison avant d’aller rapporter sa valise bleue à Victoire. La nuit est tombée. Il pleut. Je pense à la chanson de Blues trottoir « Un soir de pluie ». J’attends devant les grilles du lycée. Une maman est venue faire essayer à son fils, interne, un blouson avec une capuche en fourrure. La maman prend des photos. Il doit s’agir d’un cadeau de Noël fait par un membre de la famille. Le garçon repart avec son nouveau manteau. Victoire arrive. Elle me dit « merci » et disparait dans la nuit. Un soir de pluie s’efface au profit de « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? » dont les comédiens, cette après-midi, avaient réécrit les paroles.

https://www.youtube.com/watch?v=TOD_2YoK2U8

18h15. Cette journée menée tambour battant m’a littéralement épuisée. Quand je rentre à la maison, Louis finit de dîner. Jean Castex et Olivier Véran n’ont pas décidé d’avancer les vacances de Noël. J’allume les bougies devant la crèche. Samedi prochain, à Sceaux, avec notre maman, je me réjouis d’aller à la foire aux santons. Pas encore de sapin dans la maison. Je n’aime pas les faux sapins qu’ils soient des ersatz des vrais ou fabriqués dans des planches de bois. Je n’aime pas plus les nordmann. Je n’aime que les épicéas dont l’odeur est si forte qu’en fermant les yeux on a le sentiment d’avancer dans une forêt. Je n’ai pas envie d’acheter un petit sapin qui a à peine atteint l’âge de sept ans. Tous nos essais pour replanter des sapins se sont soldés par des échecs. Il fait trop chaud dans les maisons. Enfant, le petit sapin, conte d’Andersen, m’a beaucoup marquée comme Michka que notre maman n’a jamais pu nous raconter sans avoir les larmes aux yeux. La première fois que Céleste a vu son papa découper un sapin, elle s’est mise à pleurer. L’animisme se transmet de mère en fille. J’a toujours attendu que les enfants soient à l’école pour déshabiller les sapins de leur habit de fête et les rendre à la nature. Récemment, nous avons vu un documentaire terrible (le temps des forêts) qui raconte comment les sociétés privées traitent les arbres destinés à la coupe: comme des épis de maïs! Les machines, monstrueuses, les soulèvent comme de vulgaires brindilles et arrachent tous les centimètres de substrat permettant à la vie de reprendre. Dans ces fausses forêts, pas d’oiseau car le sol ne contient aucune nourriture. Nos chênes sont vendus aux plus offrants: les Chinois. Nos artisans en arrivent à importer le bois dont ils ont besoin pour travailler. Quant aux poêles à granules, ils n’ont rien d’écologique. Un Noël sans sapin, c’est ce vers quoi je m’oriente.

https://www.youtube.com/watch?v=QT560lu9GXo

Mardi, je me faisais une joie de raconter à Muguette mes aventures avec la valise de Victoire mais quand nous arrivons Simone est là et je sens que Muguette a oublié que Simone l’emmenait commander une dinde dans une ferme. Muguette est de mauvais poil. Je dépose mon morceau de gâteau au yaourt et repars sans avoir pu caresser Pépette. Simone sourit. Muguette et Simone étaient à l’école ensemble et Simone s’occupait des vaches dans le lieu qui est devenu la maison où nous vivons. Simone déteste les animaux. Elle leur a consacré trop de temps volé sur son enfance ou son adolescence.

Je n’ai pas eu le temps de dire à Muguette que Fantôme avait onze ans aujourd’hui. 11 ans d’amour, de tendresse, de promenades, de vacances, de réunions familiales et de facéties. Un animal est vraiment un membre de la famille à part entière! Je ne sillonne plus la campagne en vélo avec Fantôme. Nous marchons le plus souvent tous les deux. Je dois à Fantôme d’avoir pu accepter notre vie sur le dos du plateau. Fantôme sera notre seul chien et pour moi, le troisième depuis que je suis née. Je vais lui trouver une douceur pour le dîner. Pour Noël, je l’ai déjà abonné à Télérama!

Je vais proposer aux enfants que nous décorions notre petit mandarinier et l’arbre exotique de Céleste. Passez une belle semaine.

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.