Longtemps, les fins d’année scolaire des enfants m’ont rendue tristes, vraiment tristes comme si elles faisaient remonter des souvenirs anciens de ma propre enfance, comme si quelque chose de mon enfance n’avait pas été vécue et me faisait mal. C’était particulièrement fort quand les enfants étaient à l’école maternelle et primaire. Ma gorge se serrait en voyant que les réalisations des enfants avaient disparu des murs des classes et de la garderie. Ce n’est pas le fait que notre trio grandisse qui me plongeait dans cette tristesse mais vraiment quelque chose en lien avec mon passé et ma hantise des fins, des adieux, de la perte. Chaque année, je vivais presque un petit deuil que j’exorcisais en venant en renfort des parents merveilleux de l’APE pour la tenue de stands, le rangement et la préparation de gâteaux. Mon plus grand bonheur lié à ces années: l’organisation d’un campement pour les élèves de la classe de Céleste à la fin de l’année de CM2 et le film que Stéphane a réalisé. J’aurais voulu recommencer les années suivantes mais les épisodes de canicule et la crue centenaire ne l’ont pas permis. Rendre des enfants heureux, leur permettre de tisser des souvenirs magiques: quelle joie!
Ce matin, je relis une chronique ancienne écrite en 2009. Céleste avait 7 ans, Victoire 5 et demi et Louis, pas encore trois ans. Fantôme n’avait pas rejoint notre famille mais nous avions Sucrette, le poisson rouge que je devais, un été, en urgence, transporter dans ma petite Golf avec Louis à destination de l’Ain. Premier grand trajet pour moi en voiture avec une traversée inoubliable de la Bourgogne en pleine moisson. Les machines soulevaient une poussière dorée. Depuis, j’ai été visiter une magnifique exposition sur Degas et l’opéra de Paris au musée d’Orsay et notre maman a pu, pendant le jubilé de la reine Elizabeth, craquer devant les mimiques et la nature très active de l’un des petits-fils de la reine. Je lui ai expliqué que ce type d’enfants avait toujours existé comme ceux qui souffraient de troubles « dys » mais qu’ils devaient se fondre coute que coute dans le moule d’une société qui attendait des enfants qu’ils ne bougent pas, qu’ils ne parlent pas, qu’ils n’interrompent pas l’adulte et aient le bon goût de garder pour eux les abus en tout genre dont ils pouvaient être les victimes. S’ils avaient le malheur de bouger, de parler alors ils étaient de mauvais enfants mal élevés. Ils devenaient des cancres puis, plus tard, parfois malheureusement, des enfants délinquants.
Je dédie cette chronique à tous les professeurs qui, année après année, sont prêts à tout rejouer pour accompagner le mieux possible leurs élèves. Ce métier est un métier de passion. Si on n’a pas le feu sacré, on ne peut pas tenir la distance. On s’épuise, on perd pied, on court le risque de se perdre et de maltraiter ses classes. Il faut une énergie peu commune pour exercer cette profession. Les gens s’imaginent que les professeurs passent deux mois d’été les pieds en éventail à contempler les nuages. Un vrai professeur, quoi qu’il fasse, pense au lien qu’il pourra réaliser avec sa classe ou sa discipline. Son esprit, toujours curieux, nourrit le travail à venir. J’ai été une élève dyslexique, très active dont le corps souffrait sur une chaise. J’ai été un professeur qui arrivait à ne conserver d’une matière que la substantifique moelle et à capter ses étudiants qui ne regardaient pas l’horloge. Je suis une sophrologue qui accompagne des professeurs. Ceux qui passent le pas de ma porte appartiennent tous à cette famille exigeante, dynamique et curieuse. Ils sont là car ils sont épuisés ou pas reconnus! J’ai reçu également des factrices et des facteurs fabuleux qui avaient choisi la Poste non pour des raisons financières mais par amour des gens. Les malheureux, combien de souffrance avec une entreprise qui pressure son personnel et le contraint à monnayer le moindre de ses services! Tous nos services publics fichent le camp! Cela me révolte! La chronique postée en juin 2009.
Samedi dernier, nous assistions, en famille, après une après-midi piscine très réussie, au tout premier gala de gymnastique de notre aînée de presque sept ans. Trois jours avant, il avait fallu dénicher, en toute hâte, un short noir et un débardeur blanc, tenue imposée par les professeurs pour tous les exercices d’échauffement public. Dans les boutiques, les vendeuses s’amusaient des demandes plus que précises des mamans. Pour certaines, la mâtinée shopping obligé du mercredi prenait des airs de quête du Saint-Graal !
Dans le stade fermé, la chaleur suffocante le disputait aux odeurs peu engageantes de canalisations bouchées. Après un pique-nique dans les gradins et une séance de maquillage, le spectacle commençait. Les spectateurs, ruisselants, applaudissaient longuement les évolutions des gymnastes. Le plus jeune devait avoir trois ans et le plus âgé dix-huit.
Assis à côté de moi, notre seconde fille, ma nièce et mon neveu ne perdaient pas une miette du gala. Avec une impatience contenue, ils attendaient le passage de Céleste. Après l’entracte, Céleste et ses camarades investissaient le praticable au son de « Eve, lève-toi » de Julie Pietri. Le thème de la soirée était « La femme ». Numéro 1 au top 50 en novembre 1986 et ayant certainement fait danser les lycéens qui décrochaient leur bac cette année-là, la chanson a mal vieilli ! Qu’importe ! Les filles portaient des jupes et un haut réduit à sa plus simple expression. Les tenues avaient été découpées dans un tissu pailleté or. Elles évoluaient, avec grâce, tenant au-dessus de leurs têtes, un immense drap blanc ondulant comme une vague.
De nature timide et tête en l’air, une petite fille fournissait des efforts évidents pour rester concentrée sur la chorégraphie. Régulièrement, elle était soit en avance soit en retard. Dans les gradins, une maman était émue et, en même temps, elle riait, intérieurement, au souvenir de ses calamiteux premiers pas de petit rat classique. Quand toutes les petites filles portaient un chignon rond et serré, elle avait les cheveux courts. Quand les petites filles, à la barre, lançaient le pieds et la jambe à droite, elle était la seule à tendre le bout de son chausson à gauche ! Dans le public, sa mère semblait navrée tandis que sa grand-mère, une femme habituée à suivre les admissions des danseuses au corps de ballet de l’opéra de Paris, était très amusée. La petite fille, à sept ans, était toujours dans l’incapacité de distinguer sa droite de sa gauche.
La petite fille qui balançait, ce soir, sa haute queue de cheval au son de « Eve, lève-toi » avait, peut-être, un peu de mal à se situer dans l’espace et à se synchroniser sur les autres, mais elle maîtrisait parfaitement sa droite et sa gauche.
Le spectacle était à peine achevé que, déjà, nous nous précipitions sur au terrain de football de notre village, espérant avoir encore une petite chance d’admirer le grand feu de la Saint Jean. Un papa, sa fille et son neveu avaient pris un peu d’avance. Ils n’avaient pas attendu le final. Les enfants souhaitaient pouvoir rejoindre la procession marchant d’un village à un autre et tenir, fièrement, devant eux, le joli lampion confectionné et décoré à l’école, éclairé par une bougie blanche et suspendu à une longue perche.
A notre arrivée, la nuit était presque tombée. L’air était léger et chargé des parfums d’une nature s’enivrant d’un début d’humidité. Les pompiers venaient juste de mettre le feu aux immenses perches en bois, dissimulant des meules de foin. On aurait dit un tipi géant. Les grands et les petits étaient absolument fascinés par les flammes et les braises s’élevant dans le ciel bleu nuit en des milliards d’étincelles dorées. J’ai lutté du mieux que j’ai pu pour repousser cette idée mais, malheureusement, ce magnifique feu m’a fait penser aux bûchers du haut Moyen-Age et à tous ces malheureux condamnés, par les dignitaires fanatiques d’un clergé tout puissant, à endurer la soit disant brûlure purificatrice des flammes.
Les enfants ne regardaient plus le feu. Ils s’étaient mis à sauter, à tournoyer sur eux-mêmes, dans le grand champ. Les filles imitaient les gymnastes confirmées qui, tout à l’heure, avaient exécuté pirouettes, saltos et flips. Quelques rares stands étaient encore ouverts. Les enfants jetaient des balles en tissus sur des vieilles boites de conserve. Ils repartaient avec un Goldorak en miniature, des crayons de papier, un sachet de scoubidous et une baguette de fée. Le plus jeune des cousins manquait à l’appel. On avait renoncé à l’emmener au gala de gymnastique. La chaleur et la crainte qu’il ne se donne en spectacle, dans une volonté d’attirer tous les regards, avaient conduit ses parents à le confier à sa grand-mère. Il devait dormir. Les festivités seraient pour l’an prochain.
Seuls de jeunes enfants avaient investi la piste de danse. Les parents et les grands-parents, les oncles et les tantes se tenaient en retrait, debout ou, assis, s’amusaient des évolutions de leur progéniture. Les appels répétés du D.J à l’adresse des parents invités à rejoindre leurs enfants restaient sans réponse. Une maman entrainait, alors, son mari, son aînée, sa nièce et son neveu. La seconde dansait déjà avec une des ses petites camarades de classe. Le papa rejoignait vite le bord de la piste, la maman et les enfants, eux, étaient lancés. Comme les adultes à évoluer sur la piste se comptaient toujours sur les doigts d’une seule main, le D.J avait eu l’idée d’offrir un cadeau aux enfants dont les parents consentiraient à venir se déhancher sur la piste. Cette carotte, ajoutée au YMCA des Village People, avait eu raison des dernières hésitations. Les enfants étaient ravis de danser en compagnie de leurs parents. Malheureusement, la chanson terminée, le cadeau convoité obtenu, la plupart des adultes avait déserté la piste et les enfants s’étaient retrouvés avec leurs petits amis. A regret, une maman, ses filles, sa nièce et son neveu avaient quitté la danse. Ils seraient bien restés encore un peu mais, demain, une grande journée les attendait.
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Quand ils avaient passé le pas de la porte, les aiguilles de la grosse pendule de la cuisine indiquaient minuit passé de trente minutes. Dans son bocal, le poisson décrivait des ronds savants dans l’eau. Au lieu de se laver les dents, une petite fille s’était mis en tête de tailler ses crayons de papier gagnés au chamboule tout ! Une autre avait commencé un scoubidou. Un petit garçon pleurait le bras droit de son Goldorak arraché et quand son oncle le lui restituait recollé, il n’était pas consolé car il ne pourrait plus jamais l’actionner comme avant. Finalement, sa tante avait raison de son chagrin en lui promettant d’en choisir un autre dés demain.
La journée du dimanche passait vite, entre fête de l’école et sauts dans la grosse piscine ressemblant, du dehors, à une de ces énormes méduses translucides rejetées par les vagues sur les grandes plages atlantiques. A deux heures, sur le stade, près de la piste de danse, le soleil mordait les nuques, les dos et les épaules. Impassibles, des parents attendaient que leurs enfants aient présenté leur spectacle de fin d’année. Certains enfants n’étaient pas là. Un petit garçon refusait, obstinément, de se joindre à son groupe. Les élèves de maternelle s’exécutaient sans complexe. Les élèves du primaire étaient déjà plus contractés. Une maîtresse avait redonné vie à Chaplin et une vingtaine de Charlot faisait tourner leur canne, tout en remuant leurs fausses moustaches. Une autre avait mis sur pied une sorte de comédie musicale en miniature sur le thème de la plage.
Le spectacle fini, les enfants avaient pris d’assaut les stands toujours moins nombreux d’année en année. La faute en revenant aux parents qui, dans leur grande majorité veulent bien que leurs enfants profitent de la fête mais ne veulent plus donner de leur personne. Les enfants étaient passés du vieux manège enchanté au château gonflable, du chamboule tout aux tours de poney, du tire au but au virolet, du tire à la carabine à la pêche aux canards. C’était justement à la tenue de ce stand qu’une maman avait été affectée. La pêche aux canards a toujours autant de succès. La vingtaine de canards en plastique se promenaient tranquillement à la surface d’un vieil abreuvoir pour les vaches. La journée était déjà bien avancée. Dans les cartons, les enfants farfouillaient de plus en plus longtemps pour trouver leur bonheur après avoir retiré de l’eau six canards. Par cette chaleur, le pistolet à eau était le jeu le plus convoité.
Presque six heures. Dégoulinante mais ayant passé un très bon moment entre enfants et canards, une maman retrouvait sa voiture. Le cuir était brûlant et l’eau de la bouteille abandonnée sur le siège passager avait atteint la température idéale pour préparer un thé. Un thé. Elle en rêvait. A la maison, les enfants, fatigués, avaient trouvé refuge à l’étage et, collés les uns aux autres, la belle brochette des cinq cousins riait des aventures du petit Nicolas.
C’était il y a cinq jours et, ce soir, une nouvelle année scolaire s’achève avec sa ribambelle de conseils de classe, de bulletins trimestriels à signer, d’épreuves du brevet des collèges et de baccalauréat. Dans nos villages, les institutrices et leurs fidèles assistantes seront, comme toujours, énormément gâtées. J’ai même vu une maîtresse qui parvenait tout juste à refermer le coffre de son 4×4 sur tous les bouquets offerts ! Hier, notre ainée a rapporté la plupart de ses cahiers. La liste des fournitures scolaires est déjà accrochée sur le réfrigérateur, à la place du calendrier des vacances scolaires 2009/2010. Aujourd’hui, les enfants ne travaillent plus. Certains ont glissé, dans des sacs vides, des jeux de société. Depuis plusieurs jours, dans les écoles et les garderies, on retire, un à un, dessin et peinture, fresque collective et sculpture en pâte à papier. On fait place nette. On efface le souvenir visible d’une année tissée en trois trimestres. Les murs sont rendus à leur nudité. Dans les collèges et les lycées, les tableaux se couvrent de l’inscription « vivent les vacances ». Ce soir, les filles seront aux anges et je serai au diapason, même si, je n’aime ni les fins d’année scolaire ni les fins d’année civile.
J’imagine des mamans qui finissent de boucler des valises, des papas qui s’assurent que la voiture traversera les vacances sans problème technique. Demain, sur les routes, avec un peu de chance, il fera moins chaud et les arrêts le long des airs d’autoroute seront plus agréables. Au péage, on distribuera des sachets en plastique contenant des petits jeux pour les enfants. Les grands panneaux rappelleront, en lettres jaunes, que toutes les deux heures, la pause s’impose, qu’il ne faut pas téléphoner au volant et que les limitations de vitesse doivent être respectées.
Bonne route et bonnes vacances !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner