Etant par essence une personne optimiste et lisant des entretiens accordés à des journalistes par des professeurs de médecine se montrant objectivement rassurant, je ne décolérais pas contre le battage médiatique, l’état de psychose ambiant, la ruée sur des produits de première nécessité, l’envol du prix du gel hydroalcoolique, le vol de masques dans les hôpitaux et les maisons de retraite et l’arrivée évidente du décrochage de l’économie mondiale. 2008 est encore présent dans mon esprit et j’ai souvent croisé le fer avec des amis très chers ayant, à la fin de leurs études, fait le choix de carrières dans des banques d’affaires. En écoutant le discours imaginé par Alice pour le maire de Lyon dans le film « Alice et le maire », j’ai d’ailleurs beaucoup pensé à eux!
Tout en me voulant optimiste, je me disais que si la Chine, suivie quelques semaines plus tard par l’Italie, avait pris des mesures de confinement aussi radicales, ce n’était pas uniquement parce qu’il s’agit d’un pays dont dépend désormais tout un pan de l’économie mondiale et dans lequel les droits de l’homme demeurent une sorte de concept occidental flou mais, aussi, parce que ce virus devait être grave. On a su assez vite qu’il se propageait à toute vitesse. On a su ensuite que les enfants et les adolescents pouvaient être infectés sans développer de symptômes ce qui les rendaient particulièrement dangereux pour des personnes fragiles.
Maintenant que nos médecins commencent à avoir un début de recul sur le Covid-19, ils se rendent compte que ce virus est plus grave qu’on l’avait imaginé. Si une large majorité des sujets malades guérissent vite et bien, certains développent des formes beaucoup plus sévères nécessitant une hospitalisation pouvant aller jusqu’à 20 jours en réanimation. Le pourcentage de létalité est plus important que pour la grippe et des sujets assez jeunes et en bonne santé peuvent en mourir.
C’est grâce au courage du docteur Li Wenliang, ophtalmologiste à l’hôpital central de Wuhan, que le monde a découvert l’existence de ce virus alors que les festivités du Nouvel An chinois allaient commencer. Les premiers cas avaient été observés dés le début du mois de décembre mais la déclaration publique s’est faite presque deux mois plus tard. Depuis, on sait comment le gouvernement communiste chinois a voulu endiguer la propagation du virus et comment, maintenant que l’épidémie semble derrière lui, le Parti communiste chinois cherche déjà à re-raconter l’histoire autour du foyer de l’épidémie: le marché de Wuhan. On a tous lu des témoignages de Français interdits de rentrer en Europe et confinés à Wuhan avec des proches infectés. On sait que des Français potentiellement malades ont fait en sorte de passer le cordon sanitaire chinois en se gavant de Doliprane. On savait tous que le virus se développerait dans d’autres régions du monde. Les virus ont toujours voyagé. S’agissant de la redoutable grippe espagnole ayant fait entre 50 et 100 millions de morts, on pense qu’elle est arrivée via les contingents de soldats américains envoyés en renfort sur le front en 1918. Les virus voyagent de mieux en mieux car, avec les moyens de transports modernes, le monde est à portée d’avion. A l’époque de Concorde, New-York était à 3h00 de l’Europe!
Hier, en écoutant le chef de l’Etat, il me semblait que nous étions véritablement entrés en guerre. Louis était si triste d’apprendre qu’il allait être séparé de ses amis. Les filles comprenaient rapidement que l’Education Nationale allait s’organiser pour les faire travailler à distance. Céleste devait penser: j’aurai vraiment tout traversé! Elle a déjà connu toutes les réformes de l’école et, cette année, passé une partie des E3C tant décriés. Victoire voulait surtout savoir si elle pourrait voir son amoureux. Nos enfants sont grands. Ils peuvent se garder seuls mais comment feront les parents qui ont encore de jeunes enfants et ne pourront pas appeler en renfort des grands-parents qui doivent se tenir à distance des petits-enfants? Comme me l’écrivait ma soeur hier soir: « On va tous péter les plombs! ». Recevoir mes patients quand j’ai nos trois enfants à la maison, c’est ce que je redoute le plus. Il m’est arrivé l’été de les avoir un mois complet tout en travaillant et j’étais épuisée. Je passais de mon cabinet à la cuisine pour mettre en route le déjeuner ou le dîner, ranger ce qui traînait et accueillais aussi des enfants surnuméraires pour que mon trio ne s’ennuie pas.
En ville, les jeunes peuvent sortir et se retrouver. A la campagne, sans permis de conduire, ils se sentent vraiment confinés! En ville, dans les transports, les jeunes sont plus exposés aux virus. A la campagne, ils vivent au grand air (quand ils sortent de leur chambre), un air libéré des pesticides.
Hier, après les annonces faites par la BCE, toutes les bourses européennes ont dévissé. La bourse de Paris a clôturé à son plus bas record historique. Les compagnies aériennes vivent leur pire crise depuis la seconde guerre mondiale! Tous les pays, les uns derrière les autres, annoncent qu’ils ferment leurs frontières pour se protéger et protéger les autres. J’ai entendu des témoignages bouleversants de médecins et d’infirmières en Italie. Ils appelaient les Italiens à ne pas venir engorger des hôpitaux au bord de la rupture. Si l’Italie du Nord est riche, l’Italie du Sud ne possède pas les mêmes infrastructures et ne pourra pas soigner correctement les personnes qui en ont vraiment besoin. Les images des villes italiennes désertées par leurs habitants font froid dans le dos. J’ai entendu un couple d’universitaires, parents d’une petite fille handicapée. Ils ne sortent plus de chez eux redoutant par dessus-tout de contracter le virus et de le transmettre à leur fille. Une de mes amies « virtuelles », Sabine, a, hier, en catastrophe, réussi à exfiltrer son fils, âgé de 20 ans, de Prague où, pendant les vacances, elle l’avait aidé à s’installer pour un semestre d’étude dans le cadre du programme Erasmus. Elle l’a fait car la République tchèque venait d’annoncer qu’elle fermait ses frontières. En la lisant, on s’imaginait dans un roman d’espionnage en pleine guerre froide! Cette maman ne voulait pas courir le risque que son fils tombe malade à l’étranger.
Dans l’allocution du chef de l’Etat, j’ai entendu à plusieurs reprises que c’était ENSEMBLE que nous réussirions à dépasser cette crise sanitaire majeure dont les conséquences pour l’économie seront effrayantes. ENSEMBLE, cela veut dire en s’aidant les uns les autres. ENSEMBLE, cela veut dire en restant chez soi quand on est malade. ENSEMBLE, cela veut dire vraiment protéger les personnes les plus fragiles. ENSEMBLE, cela veut dire appliquer à la lettre les consignes d’hygiène que nous devrions déjà tous connaître et, quand c’est possible, préférer un vrai lavage des mains à l’utilisation du gel hydroalcoolique.
Ce soir, nous allons voir un spectacle de danse. Nous en profitons avant que, sans doute, tout soit fermé et que la vie, suspendue sur le plateau, devienne vraiment difficile. Rien ne dit que mes patients ne vont pas annuler leurs rendez-vous. Rien ne dit que je ne ferai pas partie de ceux qui seront infectés et s’appliqueront alors le principe de la quatorzaine avec une perte sèche de revenus. J’ai eu deux fois la grippe. La première fois, j’étais enceinte de sept mois de Victoire. Je toussais tant que les contractions avaient provoqué un début de décollement du placenta. Je suis au nombre des personnes chez lesquels les virus évoluent vers une toux assez forte. Nous ne verrons ni ma mère ni celle de Stéphane avant de longues semaines.
Ce matin, alors qu’il est encore bien tôt et que je ne dors plus depuis longtemps, je pense tout particulièrement à notre corps médical, à toutes celles et à tous ceux qui sont sur le front jour et nuit, qui font preuve de tant de courage et d’abnégation et ce, depuis déjà de longues années! Je pense à ceux qui vont être rappelés en renfort et qui répondront présents comme un seul homme, comme une seule femme! Je pense à notre unique oncle qui, médecin retraité depuis plus de vingt ans, s’est rendu au domicile de sa fille pour ausculter son petit-fils, jeune homme de dix-neuf ans, grand sportif, dont la fièvre était montée en flèche et qui toussait énormément. Comme le 15 avait enjoint au jeune homme de rester chez lui, son grand-père lui a prescrit des antibiotiques.
Hier soir, celui qui, en très grand communicant, appelait dans un discours en Anglais, après que Trump ait annoncé la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, à « make our planet great again, » annonçait que cette crise sanitaire conduirait à des transformations de notre monde. Si cette crise permet, enfin, d’assainir réellement le monde de la finance, d’entrer de plain-pied dans une économie verte, de relocaliser une partie des unités de fabrication, de repenser notre mode de consommation alors, tout ceci n’aura pas été seulement un immense drame humain! Pendant que notre vieille Europe vacille, les familles syriennes continuent de se presser à la frontière turque. Les îles grecques explosent sous le nombre de migrants vivant parqués comme des animaux attendant de partir à l’abattoir! L’Europe et la Turquie proposent de renvoyer les familles chez elle…A Idlib? Sous les bombes? Avez-vous remarqué que si le Covid-19 tue en Syrie, personne n’est au courant! Dans tous les cas, il n’y a plus d’hôpitaux dans les zones de conflit…
Ce matin, tous les enfants et étudiants de France vont aller en classe et en cours pour la dernière fois avant longtemps. Ce soir, toutes les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités seront fermés. Demain, pas de portes ouvertes au lycée de Céleste et, la semaine prochaine, pas de conseil de classe. J’avais commencé à préparer celui de notre aînée et n’avais pas encore la date pour celui de Louis. Je suis parent délégué depuis maintenant dix ans. Dimanche, nous irons voter avec Fantôme comme à chaque élection. Dans les bureaux de vote, nous retrouverons des amis. Nous ferons en sorte de ne pas nous embrasser. A partir de lundi, place au système D qui fonctionnera d’autant mieux que nous serons ENSEMBLE!
Bon courage à tous et haut les coeurs! Pour rappel: la peur ne protège de rien! Seule l’action permet de lutter contre l’angoisse!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Oui nous allons apprendre à vivre différemment, pourvu que la solidarité l’emporte sur la bêtise.
Erratum, les conseils de classe et autres instances sont maintenues aux mêmes horaires pour permettre aux parents d’élèves d’être présents.
Ma chère Fari, merci pour ton message. Demain, avec les enfants, nous mettons en place la feuille de route pour qu’ils travaillent régulièrement et ne commencent pas à se décaler dans leurs horaires. Dans le lycée de Céleste, les conseils de classe se tiennent à huis clos sans parent ni élève. Pour le collège, je n’ai pas encore d’information. On va certainement renoncer à notre semaine spiripontaine en avril. Nos enfants auront vraiment tout traversé!