Chronique à l’approche du quatrième dimanche de l’Avent

La semaine passée, j’espérais vous raconter ma dernière évasion capitale de l’année 2022 mais l’état de santé de notre Fantôme m’a tellement préoccupée et accaparée que je n’ai pas réussi à le faire. Tandis que je vous écris, le jour commence à baisser. Un feu crépite dans la cheminée et je sens le corps chaud de Fantôme contre mon pied droit. J’écoute sa respiration paisible. Le matin de mon départ à Paris, à cinq heures, j’avais été réveillée par Fantôme. Quand je l’avais découvert, il avait été malade et il tremblait comme une feuille tout en gémissant. J’avais été voir Stéphane qui m’avait dit être resté avec Fantôme la veille jusqu’à tard dans la nuit tant sa respiration l’inquiétait. J’hésitais à partir. Stéphane parvenait à me convaincre de ne pas renoncer à mon long week-end. J’avais consacré beaucoup de mon énergie à Fantôme me levant la nuit plusieurs fois dans la semaine. J’avais besoin de couper et de reprendre des forces. Finalement, je suis partie et ai pu profiter de ma soeur, de ses enfants et voir un peu notre ainée qui travaillait dans une maison de retraite. J’avais de la chance que le train ne soit pas annulé un jour de grève. Je partais de très bonne heure pour m’occuper de notre nièce tandis que sa maman travaillait au Louvre, que son frère était en cours et sa grande cousine à Colombes. Plus le train se rapprochait de Paris et plus je me sentais rentrer chez moi. Je me demandais si un jour ce sentiment d’appartenance à Paris disparaitrait. De la fumée s’élevait au-dessus de grosses cheminées. La circulation était déjà dense sur le périphérique. La Seine était brumeuse. Ce sentiment de solitude qui ne me quitte jamais vraiment sur le plateau se dissipait.

Notre nièce m’attendait chez la gardienne qui finit sa formation de pâtissière. Il lui arrive de laisser des pains qu’elle a confectionnés dans une corbeille dans l’entrée de l’immeuble. C’est elle qui avait réalisé mon gâteau d’anniversaire en 2021: une tarte au citron revisitée. Avec Charlotte, nous décorions des masques et lisions des histoires avant de partir au musée du quai Branly. J’aurais aimé entrer dans la cathédrale russe mais elle n’ouvrait pas avant 14 heures. La dernière fois, j’étais avec Victoire. Un semi-marathon se courait. L’ambiance était très festive et nous avions adoré l’exposition Black Indians. Avant d’aller découvrir les kimonos rassemblés par le musée, nous étions restés un long moment dans la boutique. Tout retenait l’attention de Charlotte! Sa maman nous avait rejoints et nous avions été déjeuner près du Louvre avant que son frère nous retrouve pour un saut dans l’univers des années 80 au MAD. La nuit était tombée quand nous en étions sortis plutôt déçus et les lumières de Noël éclairaient la ville. Sur la place du Palais-Royal, des jeunes migrants allaient dormir sous des tentes accompagnés par des bénévoles dont Rosalie la fille d’Anne-Sophie et de Patrice. Rosalie est très impliquée dans une association qui aide les mineurs migrants. Ses parents accueillent souvent des adolescents le week-end ou dans la semaine quand ils sont encore en attente d’une situation pérenne. Patrice m’a raconté sa joie d’échanger avec ces jeunes garçons. Nous nous frayions un passage dans la foule jusqu’au Printemps où je voulais voir les vitrines. Quelle déception! Plus rien de la magie et de la poésie qui nous avaient fait rêver quand nous étions enfants mais des décors plutôt vulgaires mettant en scène des vêtements ou des accessoires de luxe! Quelle est l’idée, Pervertir dés le berceau les enfants pour qu’ils aient plus tard pour rêve de consommer des produits Chloé, Saint Laurent, Dior ou Chanel?

Le soir, voici ce que je postais pour résumer ce samedi si agréable. « Sentir une petite main chaude qui se referme sur la vôtre dans une absolue confiance, ne marcher que sur les inscriptions lumineuses du couloir du musée du quai Branly, sourire et voir sourire les visiteurs en entendant les remarques si pleines de bon sens d’une petite fille de 5 ans « les femmes dans les kimonos, elles ne pouvaient rien faire! » ou encore « pourquoi elles portaient de telles chaussures? », reconsidérer le monde avec un regard pur, valser dans les salles de l’exposition consacrée aux années 80 globalement décevante, jouer à la sorcière tout en slalomant dans la foule compacté autour de l’Opéra Garnier, ne pas avoir à ajuster sa foulée tant Boucle d’or court sans cesse. Retrouver l’enfance est le meilleur des antidotes à la déprime et à la fatigue! »

Le dimanche, j’avais offert à Céleste de l’accompagner dans le métro car elle ne se sent pas très rassurée dans les escaliers qui n’en finissent pas et font penser à ceux qu’on peut trouver dans un phare. A 7h00, nous étions dehors. Le café Le Refuge était fermé. Cette institution du quartier où ma soeur et ses amis quand ils étaient chez Perimony se retrouvaient est en travaux. Les habitués ont peur que le refuge perde son âme et ne devienne un énième café branché pour bobos fortunés. Je pensais que Céleste souhaitait seulement que je sois avec elle jusqu’à la gare Saint Lazare mais elle désirait que je la suive à Colombes et marche jusqu’à la maison de retraite. Pas grand monde sur les quais à cette heure ni dans les rames. L’heure courageuse de celles et de ceux qui ont travaillé la nuit ou attaquent leur journée de très bonne heure. Je n’étais jamais monté à bord d’un transilien de la ligne J.

A Colombes, il fait très froid. Nous remontons une rue étroite bordée par des maisons en meulière plongées dans la nuit. Derrière les fenêtres, on devine des habitants plongés dans le sommeil. Je me revois au même âge que Céleste marchant dans la rue allant de la station du RER B à l’allée d’Honneur. L’air n’est plus le même tant les arbres apportent de l’oxygène. Je passais toujours devant la même maison qui me plaisait tant. Souvent, notre papa me guettait depuis la fenêtre de la cuisine. Son visage s’éclairait et il me faisait un signe de la main. Après qu’il soit parti, c’est notre maman qui a pris cette fonction de vigile et que j’ai vu m’attendre depuis le même poste d’observation. Nous passons devant la vitrine d’un lave-aumatique qui me rappelle celui de la rue Bréa où mon amie Sandrine s’était fait voler tous ses sous-vêtements restés dans une machine qui avait fini de tourner!

Je laissais Céleste devant l’entrée de la maison de retraite et repartais en sens inverse seule et dans la nuit. Plus de passagers dans le train. Pour ne pas faire de bruit, en sortant du métro, j’allais m’installer chez Ginette et commandais un petit-déjeuner. Je sortais mon carnet noir et commençais à laisser les mots former des phrases prenant vie sur la page d’un blanc crème. Avant d’aller à la Philarmonie, nous allions avec Charlotte et sa maman regarder les vitrines animées du BHV, plus jolies que celles de la veille, et rêver devant des canapés et des fauteuils très confortables, des manteaux et des chaussures hors de prix.

Récemment, Stéphane me demandait ce que je ferais si j’avais beaucoup d’argent. Je lui ai répondu que je voudrais aider des associations et des artistes. J’aimerais une fois entrer dans la boutique Ralph Lauren de la place de la Madeleine qui me tente depuis que je suis étudiante et devant laquelle le 84 passait, m’offrir une paire de bottes chez Hermès et une belle montre. Peut-être aussi une paire de lunettes de soleil adaptée à ma vue. J’aimerais encore faire refaire la peinture dans la maison et imaginer sur la mezzanine ce salon marocain auquel je pense depuis longtemps. J’aimerais aussi pouvoir, parfois, sur un coup de tête, prendre un avion pour découvrir une capitale européenne et aussi emmener notre maman dans des lieux qui la tente comme en baie de Somme ou à Venise.

Je ne sais pas ce que Charlotte, Valentin et ma soeur ont pensé de l’exposition Musicanimale que la Philarmonie consacrait aux sons émis par les animaux et que les hommes ont très vite chercher à reproduire mais cela m’a beaucoup plu. J’ai aimé le parcours qui suit les lettres d’un abécédaire, le brame du cerf, le chant des baleines, la veste couverte d’appeaux, les cloches et les sonnailles, les coucous. C’était amusant de réentendre le duo des chats de Rossini que nous écoutions souvent quand nous étions plus jeunes ma soeur et moi.

https://www.youtube.com/watch?v=i08Zsaldocc

Le tram nous a déposés porte de la Chapelle et nous sommes descendus à Jules Joffrin en quête d’une pharmacie de garde que nous avons trouvé fermée. Cela a été l’occasion d’entrer dans l’église Notre-Dame de Clignancourt que je ne connaissais pas et de répondre aux questions de Charlotte qui a allumé une petite bougie avec sa maman. Le soir, une amie très chère de ma soeur venait prendre un apéritif et nous raconter son quotidien d’institutrice dans une école privée de la Goutte d’Or.

Lundi, Charlotte part à l’école avec sa maman. Habituellement, elle est heureuse que ce soit moi qui le fasse mais pas cette fois. Céleste retourne à Colombes et Valentin retrouve sa prépa. Je vais rejoindre notre maman dans le Louvre. Lieu de rencontre: devant la boutique de Nature et Découvertes. Le Louvre me fait toujours penser à la tour de Babel: des gens du monde entier, une cacophonie de langues. L’exposition Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan nous donne à rêver sur ce carrefour de civilisations, au cœur de l’Asie centrale, où résonnent bien sûr les noms de Samarcande et de Boukhara. Bien d’autres oasis marchandes de ce pays ont révélé des œuvres aujourd’hui classées patrimoine mondial de l’humanité. Gengis Khan, Tamerlan, Avicenne, Marco Polo continuent de nourrir nos imaginaires. Pourtant, en déambulant dans les salles, nous mesurons combien l’Ouzbékistan, centre intellectuel, culturel, artistique au carrefour de l’Inde, de la Chine et de l’Iran, reste largement méconnu. L’exposition offre de remonter l’histoire sur dix-neuf siècles. Cette région a fasciné Alexandre le Grand mais aussi les khalifes de Bagdad. Je pense à notre cousin, Adrien, en poste à Tachkent que nous avions le projet d’aller voir au printemps. Cela fait de longs mois qu’il laisse mes messages sans réponse. J’espère que sa compagne et lui vont bien. L’IMA propose aussi une exposition « Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d’or » que j’espère découvrir l’an prochain. Si Stéphane m’avait laissé imaginer notre grand voyage, j’aurais aimé mettre mes pas dans ceux de Marco Polo mais remplacer la Chine par l’Inde. Le livre des merveilles que les enfants avait étudié en cinquième est exposé au Louvre. Les enluminures sont magnifiques!

Notre maman est trop fatiguée pour m’accompagner déjeuner. Elle reprend le métro et je marche jusqu’au Pain quotidien de la rue des Petits-Champs. Je passe par le Palais-Royal. Le jardin est triste comme abandonné. Des jardiniers élaguent les arbres. Je ne sens pas planer les esprits de Colette et de Cocteau. Je passe devant le Grand Véfour et, plus tard, ai la curiosité d’aller visiter leur site et d’y lire ceci: « Parmi les fervents adeptes de cette « nouvelle » cuisine, initiée par Raymon Olivier, deux brillantes figures du monde littéraire, Colette et Jean Cocteau, proches voisins du Véfour. Colette, la vigoureuse gourmande, habite rue de Beaujolais et règne sur le Palais-Royal ; Cocteau, le gourmet raffiné, loge contre le théatre du Palais-Royal, l’ancien fief de la Montansier, qui fait face au Grand Véfour. Très vite, le chef et les deux écrivains sont intimes : pour l’une, il concocte un roboratif koulibiac de saumon ; pour l’autre, des cocktails infiniment délicats. Cocteau fait du restaurant sa cantine ; chaque jour il s’assied à sa table réservée, près de la porte, d’où il peut guetter les entrées. Celle de Christian Bérard, par exemple, qui participe lui aussi au lancement du nouveau Véfour : Colette écrit une plaquette, Bérard griffonne un dessin et Cocteau rédige un article. Il n’en faut pas davantage pour ramener enfin dans ce lieu prestigieux les célébrités du monde des arts et des lettres : Marguerite Moreno, Marcel Schwob, Jean Giraudoux, Emmanuel Berl, Sacha Guitry, Louis Aragon et Elsa Triolet, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Marcel Pagnol, Jean Genet, André Malraux, Juliette Gréco et son ami Marc Doëniltz, locomotive du milieu du spectacle., Simone Berriau, Louis Jouvet, etc. Dans ce club très sélect, on ne rencontre que visages connus du grand public ! Les émissions de cuisine lancées à la télévision par Raymond Oliver et Catherine Langeais assurent au chef une célébrité mondiale. L’ère du cuisinier-star est ouverte : rois, reines, hommes politiques, femmes du monde, couturiers, financiers, se sont succédés dans les salons dorés pendant les trente-six années du règne de Raymond Oliver.

L’âge et la fatigue venant, le restaurateur cherche un successeur digne de présider au destin du Véfour. Malgré l’attentat stupide du 23 décembre 1983 – une bombe jetée par un iconoclaste illuminé qui fit plusieurs blessés graves et endommagea le cadre du plus vieux restaurant de Paris -, Jean Taittinger se présente en acquéreur. Un nouveau sauveur ! Plus de seize mille heures de travail seront nécessaires pour réparer les dégâts et restaurer le délicat écrin. Il faut saluer ici l’effort de mécénat du groupe Taittinger qui s’est donné pour mission de participer à la sauvegarde du patrimoine de l’hôtellerie de luxe de Paris. Après le Crillon qui renaît, plus gai et plus sémillant qu’il y a cinquante ans, Le Grand Véfour, armé d’une carte rajeunie – vive la cuisine « néo-classique » ! – et d’un décor rafraîchi, repart pour une nouvelle jeunesse. Souhaitons à ce toujours jeune vétéran bonne chance et longue vie.  »

A Paris, j’aime les restaurants qui racontent une histoire et, par-dessus tout, les brasseries et les petites tables chaleureuses de quartier. Au Pied de fouet, rue de Babylone, longtemps, les habitués ont eu leur serviette avec leur rond. Quand j’habitais chez notre grand-mère dans le 17ème nous marchions souvent du métro Courcelles au palais des Congrès. Place des Ternes, nous passions devant la brasserie La Lorraine, vénérable institution fondée en 1919. Je regrette que nous n’y soyons jamais allées ensemble.La mamie des enfants prend ses quartiers chez Lipp quand elle séjourne à Paris.

Mardi, gare de Bercy, le train part avec une heure de retard. Paris s’éloigne. Je ne me dis pas que je rentre chez moi mais je sais que je suis désormais attachée à la maison et au plateau.  La brume enveloppe la forêt encore feuillue. Fantôme se stabilise avant d’être à nouveau si mal que, samedi, j’appelle le vétérinaire pour savoir comment on peut l’aider à partir. Le soir, il est derrière la porte quand nous revenons d’un concert de poche. Le dimanche matin, quand il me voit enfiler mes chaussures, il me fait clairement comprendre qu’il a envie de m’accompagner. Le plateau est prisonnier du givre qui scintille dans le soleil. Fantôme est comme moi. Il aime par-dessus tout les temps froid et sec. A nouveau, l’espoir renait. Cette nuit, il a encore été malade. Il a faim, très faim mais nous sommes obligés de le rationner. Ce matin, il a voulu aller manger les miettes de pain que je jette sur la terrasse pour les oiseaux. Il a perdu dix kilos. Je lui ai enfilé un pull en mohair bleu pour qu’il ait le haut du corps protégé du froid piquant.

Le feu crépite. Les santons sont sages. Fantôme respire paisiblement. Le chat dort à l’étage. Notre maman, sur la route, doit se rapprocher de Lyon. La voiture était pleine. A l’arrière, un petit sapin et les cadeaux de Noël que nous lui avons confiés pour que Fantôme, lundi, ait le plus de place possible dans la voiture. Dix ans que nous attendons d’être à nouveau réunis dans la bonne et vieille maison de Pont. Elle n’a pas été ouverte depuis la fin septembre. La vieille chaudière est capricieuse et aime à s’éteindre quand le mistral souffle. Dans l’escalier, la température est glaciale. Autrefois, nous faisions du feu dans l’entrée et mettions des marrons à griller dans une large poêle.

Cette chronique est l’avant-dernière de l’année 2022. A mon retour, je vous raconterai notre séjour gardois et vous inviterai à revisiter cette année pour retrouver les meilleurs moments. Je vous souhaite de passer un joyeux Noël avec ou sans sapin, avec ou sans cadeau, avec ou sans lumière clignotante, avec ou sans des repas festifs mais avec beaucoup de joie et d’amour dans le coeur. Je partage avec vous cette très jolie phrase que Bénédicte depuis Chambéry sous la neige m’a écrite et qui me fait penser à du Christian Bobin: « Dieu écrit droit avec des lignes courbes ».

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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