Chronique H1N1

Après mille et une tergiversations, je suis
finalement décidée à sauter le pas. La nuit est déjà tombée, épaisse et
pluvieuse. Dans ma tête tourne en boucle « a foggy day in London
town ». Naïvement, je pensais en avoir vite fini en jouant l’ouverture. Mais
non, le parking est plein. Je parviens, tout de même, à me faufiler entre deux
véhicules. Je détache Louis et le prends dans mes bras. Inutile de sortir la
poussette du coffre, il refusera de s’y installer. Je me range dans la file
d’attente. Grâce à Dieu, cette dernière est bien loin de ressembler à ce boa
constrictor, aimant à déplier tous les anneaux de sa longue queue, dans la
grande cour  du château de Versailles. Ayant pressenti que l’attente pourrait
être longue, j’ai glissé dans mon sac à main qui déborde, en plus de quelques
petits Lu et une bouteille d’eau, deux livres. Louis commence à tourner les
pages de son « attrape-moi » pop-up. Le chat Méphisto et la sorcière
à trois dents, le drôle d’oiseau et le gnome repoussant, l’énorme grenouille et
le dragon menaçant, la douce princesse et le valeureux chevalier prennent vie.
Ils attirent l’attention des grands et retiennent celle des plus jeunes.

 

Dans la file, nous nous
lions d’amitié avec le couple qui attend juste derrière nous. La femme et le mari
doivent se rapprocher des soixante ans. Elle, yeux verts pétillants et cheveux
mi-longs, a tout de la lectrice assidue de « Télérama » mais en en
moins rigide, capable, donc, de ne pas prendre pour argent comptant toutes les
critiques de leur armée de journalistes janissaires. Lui, visage rond et
souriant sous un bonnet de laine noire, serait plutôt un abonné de l’Equipe. En
tout cas, ils sont sympas, détendus et plaisent à Louis.

 

Ce vendredi 27 novembre,
muni d’un bon pour mon fils, adressé par la sécurité sociale, je suis devant le
centre de vaccination installé dans la salle des associations de la ville. Un monsieur vient
coller un tract sur une des portes et lance à la cantonade : « C’est
bien ! Ils les ont trouvé leurs cobayes, les laboratoires ! ». Ses
paroles glissent sur moi comme les embruns sur le ciré jaune du marin breton. Nous
entrons. Tout de suite une impression générale domine : nous sommes en
guerre et nous venons de pénétrer dans un hôpital de campagne. Les grandes
toiles accrochées sur le mur ajoutent à cette curieuse sensation d’un pays en
danger. Elles figurent des scènes de la grande guerre de 14/18. On peut y voir
des poilus, jambes et bras en moins, bandeaux blancs autour du front, se tenir
droits et fiers, malgré tout. Le décor est planté !

 

Nous tendons nos bons à
des employées de la mairie que je connais bien. Elles travaillent au service de
l’enfance. Elles nous remettent un questionnaire médical à remplir et la notice
d’utilisation du « Panenza » de Sanofi Pasteur. Panenza, ça sonne un
peu comme panzanella,
panacotta,
bonanza. Dans tous les cas, c’est plus sympathique que ROR ou Priorix. Ca fait
presque vacances ! Bien sûr, nous sommes invités à prendre connaissance
des effets secondaires du vaccin qui continue à être testés sur des personnes
consentantes. Le corps médical est constitué de deux médecins, une femme relativement
jeune et un homme au fort accent étranger, tous deux volontaires pour aider à
la campagne de vaccination et d’une dizaine d’infirmières. Les infirmières sont
divisées en deux catégories. Dans l’une, les infirmières retraitées et supervisant
les opérations dont les déplacements de la foule d’une chaise bleue à une autre
chaise bleue. Il ne leur manque plus que le voile blanc ou la coiffe. On les sent à
deux doigts de nous faire aligner en rangs parfaits, le petit doigt sur la
couture du pantalon. Elles ne sont pas très détendues au niveau de la zone
zygomatique. Dans l’autre catégorie, les infirmières qui piquent.  Elles sont
jeunes, souriantes, et particulièrement douces avec les tout-petits.

 

Il fait une chaleur
suffocante. Après que le médecin ait estimé Louis apte à la vaccination, une
jeune infirmière lui injecte une demie dose de Panenza, avec adjuvant. Il
pleure et refuse catégoriquement le ballon gonflé dans un gant chirurgical. Sur
les conseils du médecin, je fais éditer des bons pour les filles et moi.
Maintenant que je suis lancée, tout le monde doit y passer ! Je rentre à la maison. Les filles
sont à peine rentrées de la garderie que je les fais monter dans la voiture. La nuit est
toujours épaisse et pluvieuse. L’air de la série Bonanza a
chassé celui de « a foggy day » des époux Gershwin. Les filles
admirent les premières décorations de Noël : les bambis clignotant, les
Père Noël, candidats au suicide, le long des façades des maisons, les
guirlandes lumineuses.

 

Sur le parking de la
salle des associations, moins de véhicules. Nous pénétrons sans attendre. Il
est dix-neuf heures : l’heure idéale pour une petite injection la veille
du week-end et aussi l’heure sociale. Nous rencontrons plusieurs couples et
leurs enfants que nous connaissons. La mairie aurait pu songer à un buffet avec
remontants et petits fours ! Tous les parents essaient de se persuader
qu’ils ont fait le bon choix. Peu semblent des convaincus de la première heure.
Intérieurement, je me rappelle que j’étais la première à répéter, haut et fort,
que jamais je ne me ferais vacciner et que nous étions, sans doute,  manipulés
par les laboratoires pharmaceutiques ravis de vendre leurs vaccins quand
certains de leurs médicaments stars ne sont plus protégés par des brevets leur
garantissant une exclusivité commerciale.

 

Je me prenais pour une sorte d’héroïne de X
files. Nous étions les pauvres victimes d’un complot planétaire ourdi par des
multinationales. Je reprenais à mon compte le célèbre : « on nous
cache tout, on nous dit rien ». Je m’attendais à voir surgir l’homme à la
cigarette.

 

Et puis, après cents
coups de téléphone maternels alarmistes ajoutés à la lecture d’articles signés
par des médecins, des philosophes et des sociologues, je tendais mon épaule
gauche après avoir sacrifié, à la dame en rose et à l’industrie pharmaceutique,
mon fils, ma seconde fille et déterminée à leur livrer, aussi, mon aînée !

 

Le lendemain, nous avions
tous mal au point d’injection. Louis et Victoire étaient fiévreux. Quant à moi,
ma tête était très lourde et j’avais des courbatures.

 

Maintenant que notre
médecin m’a redit qu’il pensait que ce vaccin ne servait à rien, que la grippe
saisonnière était infiniment plus mortelle que la grippe A, je prie pour
qu’il ait raison et que, surtout, ma chère mère ne me harcèle plus au rayon
santé publique !

 

Une dernière chose :
vendredi dernier, dans la nuit épaisse et pluvieuse, je l’ai guetté, l’homme à la cigarette. Je ne
l’ai vu nulle part !

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 


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2 commentaires sur “Chronique H1N1

  1. Sacrée scène… j’avoue que tu la racontes joliment et que c’est exactement mes pensées en arrivant dans le gymnase de ma commune. Quel stress ! je préfère encore l’histoire de la sorcière à trois dents lol

  2. Chère Stéphanie,
    merci pour le petit mot. C’est vrai que c’était stressant. J’y retourne le 18 au soir pour la seconde et dernière injection. Cette fois-ci, j’espère que les enfants n’auront « que » mal à l’épaule gauche. A bientôt.

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