Quand nous arrivons à hauteur de l’école, de nombreux parents sont déjà là avec leurs enfants. Une pluie fine fait perler de la rosée sur les joues. Le chèvrefeuille qui court le long d’un mur sent délicieusement bon. Des hirondelles volent au-dessus du clocher de l’église que le maire et un groupe de bénévoles ont récemment entièrement nettoyée en vue de la célébration d’un mariage prochain. Je gare la voiture non loin de l’école. Victoire met son sac sur le dos et un point d’honneur à tirer seule sa valise « little Marcel » offerte par une de ses tantes et un de ses oncles. La valise, elle, est prête depuis plus d’un mois et se promène, au gré de l’humeur de Victoire, dans la maison et dans le jardin. Victoire, aidée de sa sœur, en a vérifié le contenu encore une fois hier assise dans l’herbe. Sa grand-mère, réquisitionnée pour coudre toutes les étiquettes sur les vêtements, a été impressionnée par la façon dont Victoire avait rangé ses affaires et pensé à scotché, à l’intérieur de la valise, la liste des choses à emporter. Cette petite fille est méthodique, incroyablement méthodique comme l’étaient avant elle ses deux tantes, la sœur de son papa et ma sœur. Autant dire, l’exact opposé de ce que j’étais enfant ! Les deux grands-pères étaient également d’une grande rigueur intellectuelle et matérielle. Stéphane nous rejoindra dans quelques minutes. Il est resté à la maison pour préparer Louis qui n’avait pas fait son travail et a écopé d’un mot de la maîtresse du jeudi, dans son carnet de correspondance. Louis travaille bien, n’a aucun problème d’apprentissage, de mémorisation et de concentration mais c’est un clown. Il aime faire rire au risque de se faire gronder. Quant à notre grande, elle n’a pas pu partir pour le collège à 7h25. Hier, avec une de ses amies, elle a fait une mauvaise chute en rollers et est tombée lourdement sur les fesses. On ira voir le médecin ce matin.
Avant de quitter la maison, Victoire est allée embrasser sa sœur et son frère et, bien sûr, elle a aussi longuement caressé la grosse boule de poils, Fantôme, notre berger australien qui va être contrarié de compter une brebis de moins à son troupeau pendant dix jours. Nous vivons là notre sixième départ pour un séjour scolaire. Céleste, Victoire et Louis sont partis au bord de la mer quand ils étaient en grande section de maternelle. Céleste s’est initiée à l’escalade et a pratiqué l’équitation à Combloux quand elle était en CE2. Avant le départ, les parents avaient pu commander différentes variétés de fromages. Au retour des enfants, nous avions ainsi récupéré et la valise et un sac contenant abondance et beaufort, reblochon ou tome. Les filles ont également fait un voyage express de 48 heures dans le Massif central quand elles étaient respectivement en CM1 et en CE1. Dans mon bureau, j’ai conservé des pierres volcaniques ramassées par les enfants au puy du Pariou au terme d’une marche menée tambour battant par un animateur qui, tel que les parents accompagnateurs l’ont rapporté à leur retour, avait tout du légionnaire conduisant des cyrards en dernière année de formation dans la forêt amazonienne guyanaise pour un stage de survie! De sa semaine à Pénestin, Victoire avait rapporté un petit voilier en bois et, dans sa valise, un livre « Marlaine, la baleine » offert par Pierrette, la fidèle assistante de Véronique leur institutrice. Victoire et Léa avaient fêté leurs cinq ans pendant le séjour. Sur les photos, on les voit l’une à côté de l’autre soufflant les bougies des gâteaux. Les enfants se sont tous repassés des dizaines de fois le film de leur première classe de mer avec, toujours, les moments incontournables : la bataille contre la mer à marée haute, la visite au port de pêche et au port de plaisance, la découverte des dunes, le buffet de coquillages et la boum en pyjama.
Après avoir déposé Victoire pour son premier départ en classe de mer en avril 2010, vu le car s’éloigner dans un son de corne de brume tout à fait approprié en ce matin brumeux, des mamans émues repartir les yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil, je m’étais aperçue, en rentrant à la maison, que le doudou de Victoire, son ours fétiche, son grigri tout rapiécé digne de figurer en bonne place dans l’une des vitrines du musée du quai Branly, était resté sur un fauteuil à l’étage de la maison. Mon cœur s’était arrêté en le découvrant. Tout de suite, j’avais appelé le directeur du centre pour le prévenir de l’oubli du doudou et étais partie à la Poste pour l’envoyer dans le Morbihan. Victoire avait été bien triste, le soir venu, de ne pas s’endormir en caressant le bout de son nez avec l’une de ses pattes dont le tissu était imbibé de tout un monde rassurant d’odeurs.
Quand je vois Victoire monter dans le car avec Léa, je mesure le temps qui s’est écoulé depuis le premier départ : cinq ans ! Encore une année, et Victoire, Léa et tous leurs camarades quitteront l’école primaire pour le collège. Je n’ai jamais oublié ce conseil si souvent entendu dans la bouche de personnes devenues des grands-parents : « profitez bien de vos enfants ! Ils grandissent si vite ! ». Ce temps qui file et nous pousse tandis que nos enfants marchent pas à pas vers leur indépendance, je le mesure encore plus avec notre aînée, notre Céleste, qui entrera en cinquième à la rentrée. Elle sort de l’enfance sans être réellement pressée d’aborder le rivage sauvage de l’adolescence. A cette manière qu’elle a maintenant de me dire : « tu ne comprends rien » ou encore « je te déteste maman », je sais qu’elle fait route vers cette rive. Je ne lui en veux pas. Elle est seulement un peu en avance sur moi. Je ne me suis pas opposée à ma mère frontalement avant mes treize ans. Je sais qu’elle ne pense pas ce qu’elle dit. Je sais qu’au moment où elle est en crise, elle est en proie à une vraie détresse et que mes tentatives pour la raisonner, lui expliquer que j’ai traversé la même chose sensiblement au même âge, l’exaspérent car elle ne veut pas que je minimise la portée du drame qu’elle croit, alors, vivre.
Les années « collège » sont souvent des années difficiles et je suis pleine d’admiration pour les professeurs qui y enseignent. Ils voient entrer des enfants et sortir des adolescents. Le télescopage entre des élèves de sixième et des élèves de troisième peut être vraiment violent tant verbalement que physiquement. Comme c’est pénible de subir toute cette révolution hormonale, de sentir son corps tiraillé de toutes parts, de ne plus être ni un enfant ni encore un adulte, de se chercher dans les autres, de se rassurer dans le groupe tout en essayant de rester fidèle à soi-même ! Je me demande, parfois, dans quelle mesure les plus grands ne s’en prennent pas aux plus jeunes non seulement pour leur faire endurer ce qu’ils ont vécu quand ils avaient leur âge et qui correspondrait à une sorte de rite initiatique, de bizutage, mais aussi parce qu’ils jalousent cette enfance dont ils sont encore auréolés et qu’eux croient avoir perdue. Cette perte n’est qu’une impression. En grandissant, ils se rendront compte qu’en eux, toujours, l’enfant continue de pousser ses ailes. Mais alors, tout est dans la volonté de l’entendre, de le sentir et d’avoir envie de se relier à lui. L’attitude des plus grands collégiens vis-à-vis des plus jeunes m’évoque celle des enfants qui, ayant compris que le Père Noël n’existait pas, s’empressent de le dire aux autres. Si je me sens privé de magie, je souhaite que tous le soient aussi !
Lundi dernier, sur la scène de notre salle des fêtes, les enfants du CP jusqu’au CM2 présentaient à leurs familles les chansons et les danses apprises pendant l’année avec Laura, leur professeur. Ils étaient tous heureux et fiers de monter sur scène et on les sentait désireux de bien faire, de ne pas se tromper. Les plus timides s’étaient fait violence pour ne pas battre en retraite. Certains manquaient à l’appel. Toute la salle avait été conquise par les enfants rendant hommage à Chaplin en rejouant la scène des petits pains de « la ruée vers l’or » mais en version petits chaussons. J’observais les aînés des fratries, ceux qui étaient déjà au collège et tous étaient sensibles à la poésie et à la douceur de cette danse.
Tandis que je termine cette chronique, le car qui conduit les enfants à Saint Jean de Monts sera bientôt arrivé à bon port. Céleste qui est restée à la maison et a, dans le meilleur des cas, une simple fêlure du coxis, regarde encore et encore toutes les vidéos tournées et montées par son papa des vacances avec les cousins en Corse. Les cousins ne rentreront pas des Etats-Unis cet été et, sans eux, les vacances n’ont pas le même goût! Louis est encore à l’école. Une mouche tourne dans mon bureau. Elle n’a pas la grâce de cette hirondelle qui, hier, pendant la messe exceptionnellement célébrée dans notre petit village, volait d’un vitrail à un autre et semblait incarner la présence de l’Esprit saint. Les branches du sapin ondulent doucement avec le vent léger.
Jeudi, nous irons applaudir nos collégiens membres de la troupe de théâtre sur la scène de la salle des fêtes de notre village. Céleste a déjà remis à Cécile, le professeur de français qui a monté la troupe, sa tenue pour le grand jour. Victoire était très déçue de ne pas voir sa sœur mais Cécile l’a rassurée : le spectacle sera filmé. Vendredi, Louis aura sa remise de ceinture au judo et, le soir, Céleste et Pauline iront à leur première boum organisée par les parents d’élèves du collège. Il restera encore le montage et la tenue des stands de la kermesse avec sa traditionnelle marche aux lampions qui, tristement, ne se termine plus sur un incroyable feu de la saint Jean, l’organisation et l’encadrement du campement des CM2 et on pourra souffler jusqu’au premier septembre.
Ce soir, quand nous irons nous coucher Stéphane et moi, que nous entrerons dans la chambre où les enfants veulent absolument dormir tous ensemble, nous serons surpris de n’en trouver que deux ! Dans le centre, en Vendée, les yeux de Victoire se seront fermés sur une grande journée et elle sera ravie d’avoir à côté d’elle Léa, sheyllie et Lali.
Pour finir, ce poème de Gérard de Nerval que j’ai découvert en première avec ses filles du feu et qui s’appelle « L’enfance ».
Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
je coulai ma douce existence,
Sans songer au lendemain.
Que me servait que tant de connaissances
A mon esprit vinssent donner l’essor,
On n’a pas besoin des sciences,
Lorsque l’on vit dans l’âge d’or !
Mon coeur encore tendre et novice,
Ne connaissait pas la noirceur,
De la vie en cueillant les fleurs,
Je n’en sentais pas les épines,
Et mes caresses enfantines
Étaient pures et sans aigreurs.
Croyais-je, exempt de toute peine
Que, dans notre vaste univers,
Tous les maux sortis des enfers,
Avaient établi leur domaine ?
Nous sommes loin de l’heureux temps
Règne de Saturne et de Rhée,
Où les vertus, les fléaux des méchants,
Sur la terre étaient adorées,
Car dans ces heureuses contrées
Les hommes étaient des enfants.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner